
Immobilier : disruption en vue

Fintech, assurtech, adtech et maintenant proptech ! Comme la majorité des secteurs économiques, l’immobilier ne résiste pas à sa digitalisation. Apparus depuis peu, de nouveaux acteurs sont bien décidés à jouer les trublions dans ce milieu assez rigide, quitte à déranger les mastodontes historiques.
Les néo-agences misent sur les commissions fixes
Elles s’appellent Liberkeys, Hosman, Welmo ou bien encore Les agences de papa et entendent profiter du désamour des Français pour les agents immobiliers traditionnels. Selon un sondage d’Harris Interactive pour la néo-agence Imop réalisé en février 2021, 85 % des Français les jugent trop chers et seulement 53 % les trouvent honnêtes. Le constat fait mal mais ne semble pas totalement infondé. Les taux d’honoraires pratiqués par les acteurs historiques sont en moyenne compris entre 3 % et 8 % du prix de vente du bien, soit environ 16.000 euros (1). Difficile de rivaliser avec les concurrents de la proptech qui affichent des commissions oscillant aux alentours de 5.000 euros.
Le secret pour casser les prix n’a rien d’original : la majorité des nouveaux acteurs a opté pour une présence entièrement dématérialisée, avec des représentants locaux dans les villes où elle veut s’implanter. Mais le modèle économique de ces jeunes pousses est encore en plein développement et beaucoup ont dû revoir progressivement leurs tarifs à la hausse pour se maintenir à flot (voir interview).
Autre astuce : mettre le client à contribution. Sur plusieurs plateformes, les propriétaires sont priés d’organiser eux-mêmes leurs visites et sont invités à mettre la main au porte-monnaie s’ils veulent la présence d’un agent professionnel. Chez Liberkeys, on assume avoir pris cette direction au départ avant de se raviser. « De manière générale, beaucoup de propriétaires veulent vendre sans intermédiaires, mais peu y parviennent car c’est très difficile, reconnaît Thomas Venturini, son dirigeant et co-fondateur.Les visites font partie intégrante du métier d’agent et de sa plus-value d’où l’absolue nécessité de les internaliser ». Aujourd’hui, c’est donc une soixantaine d’agents qui gèrent les visites de ses clients. Pour Jean-Marc Torrollion, président de la Fédération nationale des agents immobiliers (Fnaim), le modèle des néo-agences fonctionne « quand le marché profite à l’offre. Tant qu’il n’y a pas de difficultés à trouver des acquéreurs, elles peuvent laisser les clients réaliser une plus grande partie de leur chaîne de valeur ».
En la matière, Homeloop se distingue de ses concurrents avec une offre forcément séduisante pour les vendeurs pressés. La société créée en 2016 leur promet une vente éclair en rachetant directement leurs biens moyennant une décote de 8 %. L’acquisition se faisant en partie en fonds propres (grâce à la présence de la société d’investissement Crescendix à son capital) et en dette (Homeloop a noué trois partenariats bancaires), la vente définitive peut intervenir dans un délai compris entre trois semaines et trois mois. La jeune pousse revend ensuite les biens au prix du marché, en quatre mois maximum. « Les clients sont davantage intéressés par la sécurité que par la rapidité de la vente car ils peuvent décider de la date de signature », assure Aurélien Gouttefarde, fondateur et président d’Homeloop. Il explique ce besoin de sécurité par le fait qu’en France, les acheteurs ont « beaucoup de portes de sorties pendant le processus d’acquisition, d’autant qu’ils sont nombreux à se lancer dans leur projet sans s’être assurés de la viabilité de leur dossier au-préalable ». Résultat : selon lui, 5 % des acheteurs arrêteraient les processus de vente à cause d’un problème de financement tous les ans. Une part qui s’est élevée à 10 % l’année dernière.
L’investissement locatif plus accessible
Les agences ne sont pas les seules à se mettre au diapason du digital. Sont apparues depuis peu des plateformes en ligne proposant des projets d’investissement locatif. Elles adressent le marché du neuf comme de l’ancien. C’est sur ce dernier que s’est lancée Masteos en 2019. Malgré une concurrence bien établie, son co-fondateur, Thierry Vignal, a vu un boulevard. « Le catalogue des agences est réduit car elles proposent exclusivement leurs biens en stock, attaque-t-il. De plus, les agents ne sont pas forcément des spécialistes de l’investissement locatif et de toutes ses subtilités, notamment les arbitrages fiscaux à réaliser. » Les banques ne trouvent pas meilleure grâce à ses yeux et hériteraient même des promoteurs des « pires produits Pinel ». Les conseillers en gestion de patrimoine ne sont pas non plus épargnés : « Plus les biens sont durs à vendre et plus les commissions augmentent. Les conseillers ont donc une incitation naturelle à pousser les biens de moins bonne qualité ». La messe est dite.
Face à ce constat sévère, il a voulu proposer aux investisseurs en herbe une solution clé en main. Sur son application mobile, les clients peuvent consulter ses offres, sélectionner leur bien après une visite virtuelle et suivre l’avancée de leurs projets. La société s’occupe de tous les travaux éventuels grâce à ses trois architectes et sa quarantaine d’ouvriers internalisés. En plus de l’accessibilité, Masteos veut miser sur les prix cassés : la société facture 5 % du prix net vendeur à ses clients (soit 10.000 euros en moyenne). 20 % de son chiffre d’affaires provient de l’aménagement intérieur des logements. L’entreprise cible ainsi tous les profils de particuliers, au fait ou non des particularités de l’investissement locatif. Selon Thierry Vignal, une part non négligeable des clients de la plateforme serait encore locataire. De quoi inverser la hiérarchisation des projets : en général, il est plutôt conseillé d’acheter sa résidence principale avant de se lancer dans le locatif. D’autant que dans l’accession aussi, de nouveaux acteurs changent la donne.
Des « co-investisseurs dormants »
C’est ce qu’on pourrait appeler l’indivision 2.0. Il y a quelques mois, la start-up Virgil se lançait pour aider les primo-accédants. Elle a depuis été rejoint par un concurrent, Eliosor. Les deux sociétés complètent l’apport de leurs clients (jusqu’à 100.000 euros pour Virgil, 150.000 euros pour Eliosor). Pour chaque pourcentage d’apport, ils deviennent « co-propriétaires dormants » - à hauteur de 1,5 % du prix du bien pour Virgil, 1,55 % pour son concurrent - et récupèrent leur participation sur le fruit de la vente. Le propriétaire est libre de vendre quand il le souhaite, mais s’il ne le fait pas dans un délai de 10 ans, il devra racheter leur quote-part. L’objectif est de donner un coup de pouce aux profils solides qui manquent un peu d’épargne pour séduire les banques. « Nous aidons les jeunes actifs à devenir propriétaires et à arrêter d’être esclaves de leur loyer », confiait Saskia Fiszel, co-fondatrice de Virgil, dans nos colonnes en mars dernier. Si sa société a fait le choix de se consacrer exclusivement à l’achat des résidences principales, Eliosor accepte les projets d’investissement locatif. Surtout, il a ajouté une autre corde à son arc qui peut séduire les propriétaires immobilier en mal de liquidités. Il peut racheter jusqu’à 20 % de leur logement pour leur dégager du cash (dans la limite de 150.000 euros également).
(1) Etude PwC et Real Estech, septembre 2019
« Les amateurs baissent les prix »
Laurent Vimont, président de Century 21 France
L’Agefi Actifs : - Comment percevez-vous cette nouvelle concurrence ?
Laurent Vimont : - Elle ne m’inquiète pas trop. J’ai beaucoup de réserves sur les performances réelles des agences digitales. Beaucoup font évoluer leur modèle économique, ce qui fait penser qu’il n’est pas encore totalement viable. La visite physique n’est qu’une partie du métier. Le travail en amont pour aller chercher le client et se constituer un stock de biens fait toute la différence et repose sur la notoriété.
Les agences en ligne cassent les prix. Les tarifs des acteurs traditionnels sont-ils toujours justifiés ?
On peut toujours trouver un prix trop élevé, mais ce modèle existe depuis une quarantaine d’années. Chacun cherche l’argument qu’il peut pour démonter le modèle de l’autre. La question est de savoir le service que l’on a pour le prix que l’on paie.
Les agences traditionnelles s’aligneront-elles sur les tarifs des acteurs en ligne ?
Je pense que ce seront eux qui s’aligneront. Les amateurs baissent les prix, les professionnels augmentent leurs services. Je parie que dans cinq ans, il y aura davantage d’agences en ligne qui auront disparu que de réseaux physiques. D’autant que pour l’instant, comme elles ne publient pas leurs résultats, nous ne pouvons pas comparer.