Fonds fermés immobiliers allemands : la part de secrets de Fairvesta en France

La société Fairvesta - « Fair » comme fair-play et « vesta » comme investissement -, qui compte 60 salariés et qui vient de fêter ses dix ans, connaît un certain succès auprès des investisseurs français depuis 2009. Sur les 630 millions d’euros collectés auprès de plus de 12.000 clients, environ un tiers ont été levés en France. Qui plus est, 50 % du chiffre d’affaires est, selon la société, désormais réalisé dans l'Hexagone, 100 millions d'euros ayant ainsi été collectés en 2011. Fairvesta compterait déjà plus de 4.000 clients français. Trois produits sont proposés en France, le placement phare étant le fonds fermé Mercatus, à côté de Robustus, un contrat d’assurance vie qui vient d’être lancé, et des obligations Maximus. « Depuis le mois de février dernier, nous avons levé 90 millions d’euros pour notre fonds Mercatus », indique Charles Jeandupeux, le représentant en France de la société. Pourtant, des réserves sont émises sur le produit qui promet un rendement à deux chiffres.

Achat décoté. Pour un minimum de 10.000 euros - le ticket moyen s'élevant à 50.000 euros -, le souscripteur investit dans un fonds fermé immobilier allemand, c'est-à-dire qu'en pratique, à l'inverse du droit français, il devient l'un des commanditaires d'une société en commandite simple, le commandité étant Fairvesta qui achète, gère et vend des immeubles. Le savoir-faire de Fairvesta reposerait dans l'achat d'immeubles aux enchères ou provenant de liquidations bancaires. Ce marché de niche représente plus de 70.000 immeubles pour 13 milliards d’euros de transactions en 2011. « Qui plus est, nous recevons une centaine de demandes par jour de la part des banques qui se séparent des biens car elles ne peuvent conserver les immeubles de leurs clients en difficulté », indique Charles Jeandupeux. A noter que le prospectus permet au fonds de participer aux autres fonds du groupe. Selon la société, seuls les fonds Fairvesta II et III auraient utilisé cette faculté. Ainsi, Fairvesta achèterait des logements et des commerces avec une décote de l’ordre de 30 à 50 % de leur valeur. Selon ses critères, le prix d'achat ne devrait ainsi pas dépasser 70 % de la valeur vénale du bien et le rendement locatif ne devrait pas être inférieur à 10 %. « Un contrôleur permanent de l’utilisation des fonds assermenté et assuré - qui n'a pas d'équivalent en France - avalise tous les flux financiers conformes au cahier des charges,relève Charles Jeandupeux.Les actifs sont achetés en bon état sans rénovation et, surtout, sans recours à l'emprunt. »

Rendement à deux chiffres.Sur ce fonds, les actifs immobiliers sont revendus dans un délai moyen de trois ans et les bénéfices réalisés sont réinvestis. « Dès l'achat, l'actif présente des plus-values latentes, il est en moyenne revendu à 90-95 % de sa valeur initiale d'expertise, souvent à des institutionnels auxquels nous ne communiquons pas le prix d'achat ! », indique Charles Jeandupeux. Le directeur prend l’exemple simple d’un bien valant 1 million d’euros au loyer annuel de 70.000 euros, soit procurant un rendement locatif de 7 %, qui est acheté au maximum à 700.000 euros et apporte donc un rendement de 10 % auquel s'ajoute la plus-value réalisée lors de la vente.

85 % des bénéfices sont reversés aux investisseurs. Ces derniers peuvent effectuer des prélèvements dont le taux varie en fonction de la durée de détention et qui se présentent non pas comme des revenus locatifs mais comme une avance sur le capital. Le prospectus indique que le rendement final visé est compris entre 13 et 27 % par an avant impôts. Quant aux charges, elles s’élèvent à 5 % pour les frais d’acquisition payés par l'investisseur en plus du prix de souscription.

Le reste est plus difficile à appréhender. Ainsi, selon la société, les autres frais s'élèveraient à 21 %. « Ce sont les seuls frais », assure Charles Jeandupeux. C’est donc seulement 79 % de la souscription qui serait investie en immobilier.« Mais comme nous achetons à 60 % de la valeur de l’immeuble, le client est copropriétaire d’un immeuble qui vaut environ 30 % de plus de ce qu’il a versé. Lorsque nous vendons cet immeuble, cette plus-value s’ajoute au minimum de 10 % de rendement locatif annuel », se justifie-t-il.

Placement non garanti. L’investisseur s’engage pour une durée indéterminée et pour au minimum cinq ou dix ans selon le type de participation. C’est seulement après cette période qu’il pourra quitter en sachant qu'il s'écoulera un long délai de 16 mois entre sa demande de sortie et le versement de son capital. Bien que présenté comme un placement sécurisé, le paiement du capital lors du départ n’est pas garanti. Toutefois, Mercatus X propose pour la première fois une garantie de rachat à hauteur de 80 % de la valeur comptable à condition d'exprimer sa volonté de revendre trois mois avant la fin du trimestre suivant l'échéance du délai de résiliation et sous certaines conditions. Conformément à son objet, le fonds Fairvesta II a été dissout et a rapporté un résultat annuel brut fiscal de 12,37 %.

Perplexité.Si, sur le papier, le placement attire l’œil, il laisse perplexes des conseillers qui préfèrent s'abstenir de le proposer à leurs clients. Des CGP s'interrogent sur les raisons pour lesquelles le produit n'est pas davantage plébiscité par les Allemands et pourquoi les actifs décotés ne sont pas plus recherchés par ces derniers. « Les Allemands achètent ces immeubles décotés puisque nous ne levons que 200 millions par an sur les 13 milliards d'euros que représentent les ventes aux enchères chaque année. Comme en France, tous les investisseurs ne se positionnent pas sur ce type de biens, mais tout se vend », estime Charles Jeandupeux.

Et surtout, comment un acquéreur accepte-t-il de payer un bien à un prix beaucoup plus élevé que celui payé par Fairvesta quelques mois plus tôt ? « Les acheteurs ne sont pas au courant de nos prix d’achat, se fient aux expertises et nous leur vendons légèrement en dessous de la valeur d’expertise », explique Charles Jeandupeux.

Par ailleurs, le fonds s'appuie sur un marché immobilier différent du marché français. En effet, selon BNP Paribas Real Estate, les tensions sont plus faibles qu’en France car le marché qui présente une plus grande solidité se caractérise par son morcellement, quatre villes se distinguant en termes de volumes de transaction. Ainsi, le rendement locatif d’un commerce en pied d’immeubles prime (actif de premier plan) est de l’ordre de 4,5 % à Berlin et à moins de 4,25 % à Munich et à Hambourg. Les prix restent moins élevés que dans l’Hexagone et ont augmenté beaucoup moins vite ces dix dernières années, à l’instar du logement qui a progressé de 10 % depuis dix ans. Seuls 40 % des Allemands sont propriétaires de leur habitation. Les rendements locatifs d’appartements oscillent entre 3 et 4,5 % à Berlin, Francfort et Munich.

« Pour notre part, nous investissons dans des actifs situés dans des régions où les prix sont moins chers et qui procurent déjà au vendeur un rendement de 6 à 8 % », précise Charles Jeandupeux. On est donc loin des taux de rendement des principales villes allemandes. Or, lorsqu'un actif présente un rendement élevé, parallèlement, son risque l'est également, ce qui se traduit sur le marché immobilier par un taux de vacance plus important entre deux locataires ou un délai de vente allongé et une espérance de plus-value moindre.« Nous prouvons depuis dix ans qu'un placement peut être très rentable tout en étant sécurisé, affirme le responsable France de la société.Le bureau d'analyse Check nous a accordé les meilleures notes en termes de rendement et de risque. »

Confidentialité. De plus, il est difficile d'en savoir davantage sur le secret de fabrication qui reste bien caché par la société. Pour preuve, le prospectus du fonds prévoit une obligation de discrétion particulière de la part du souscripteur et des partenaires commerciaux qui perdure pendant trois ans après la fin de la participation et sous peine d’une pénalité conventionnelle de 25.000 euros. Sans compter que les rapports de gestion des fonds ne sont pas accessibles. Il faut donc se fier à ce que veut bien déclarer la société, notamment concernant la situation des biens, les caractéristiques des locations et les ventes réalisées. Ainsi, au dire de la société, le taux d'occupation est de 98 % pour les appartements et les magasins à 100 %. Elle compterait plus de 3.000 locataires répartis sur 106 emplacements dans toute l’Allemagne.

Alerte de l’AMF.A deux reprises, en 2011 et cette année, l’AMF a alerté le public sur les activités de cette société. De même, certaines associations de conseil en investissements s’en sont remises au régulateur dès 2010 afin de savoir si les titres émis par cette société pouvaient être commercialisés et/ou conseillés en France. Tout en admettant que les fonds fermés ne relèvent pas de la réglementation des titres financiers, l’AMF recommande la plus grande vigilance aux investisseurs face à des propositions d’investissement concernant les titres de cette société ainsi qu’aux CIF qui les proposeraient à leurs clients.

La réponse de Fairvesta ne s’est pas fait attendre : « Les placements Mercatus - pour lesquels la carte de transaction immobilière est requise - sont assujettis aux réglementations allemandes et autrichiennes et sont à ce titre soumis au contrôle des équivalents de l'AMF, à savoir la Bafin en Allemagne et le FMA en Autriche. Robustus Privileg est un produit d'assurance émis par Wealth Assurance AG et distribué en France par Robustus SARL. Les actifs sont gérés par la société de gestion Fairvesta Vermögensverwaltung International AG, qui dispose de toute l'expérience, la compétence et les autorisations requises à ce titre. »

Implantation française.

La société, qui travaille avec ses partenaires sous la forme de licence, compte ainsi 428 licenciés en Europe, dont déjà plus de 200 en France qu’elle n’aurait pas été chercher, selon elle. A la suite des communiqués de l’AMF, Fairvesta a décidé d’être physiquement présente en France, davantage pour répondre aux inquiétudes que suscitent les alertes de l’AMF auprès des intermédiaires que pour véritablement commercialiser ses produits en France. Elle compte d’ailleurs douze responsables régionaux chargés d’animer son réseau de licenciés.

Si Fairvesta n’exclut pas, dans le cadre de la transposition de la directive AIFM, d’avoir une société de gestion en France, pour l’heure, elle s’accommode parfaitement du schéma de commercialisation actuel de ses produits. En effet, ne pouvant ni démarcher, ni vendre en France, son modèle repose sur la vente à distanceviale site internet de la société pour Mercatus. De même, Fairvesta étant PSI en Allemagne et au Liechtenchien, elle n’envisage pas pour le moment de le devenir en France dans la mesure où elle vend ses produits par l’intermédiaire des CIF pour ses obligations, des détenteurs de la carte T pour ses fonds fermés et de courtiers pour son assurance vie luxembourgeoise.