Taux - Crédits

Des taux durablement bas sans effets sur le niveau des crédits accordés par les banques

Ces derniers mois, les niveaux exceptionnellement bas des taux d'intérêt n'ont pas eu de conséquences sur les taux de crédit immobilier offerts par les banques aux particuliers Jean-François Boulier, directeur des investissements chez Aviva Investors, et Patrice Matagne, directeur du développement chez In&Fi Crédits, expliquent les raisons de cette situation.

L’Agefi Actifs. - Ces derniers mois, les banques centrales ont baissé leurs taux directeurs jusqu’à des niveaux rarement atteints. Cette situation a-t-elle vocation à durer ?

Jean-François Boulier. - Nous sommes aujourd’hui dans un contexte de taux durablement bas dans l’ensemble des pays développés. La baisse des taux, enclenchée depuis la faillite de la banque d’affaires Lehman Brothers, est donc maintenant pérenne. Cet élément transforme radicalement le paysage sur les marchés financiers.

En effet, alors que les rémunérations courtes constituaient, jusqu’à il y a quelques mois, un bon placement d’attente, les investisseurs n’ont maintenant pas d’autre solution, s’ils veulent obtenir une rentabilité, que de prendre des risques. Les placements monétaires ne sont donc plus source de rendement.

Il est d’ailleurs important pour l’équilibre des marchés que les rémunérations offertes aux investisseurs par des placements de court, moyen, ou long terme retrouvent une certaine cohérence. Dans nos économies, des situations de courbes de taux trop plates ou inversées ne peuvent pas durer longtemps.

Le président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, dispose-t-il encore de marges de manœuvre pour injecter des liquidités ?

- En Europe, l’épargne des particuliers sur des placements comme le Livret A demeure très importante. En conséquence, les Banques centrales doivent agir prudemment faute de quoi les épargnants risqueraient de ne pas comprendre les actions des autorités monétaires. Il faut noter aussi que les banques centrales disposent d’autres moyens d’actions que les simples baisses ou hausses de taux pour agir sur la liquidité du marché. Ces actions ne restent qu’un instrument de politique monétaire parmi d’autres.

Malgré cela, et bien que les taux soient déjà à un niveau très bas, ils continueront encore à baisser, même si le danger de la déflation est moins important en Europe qu’aux Etats-Unis.

La situation difficile des banques a eu non seulement tendance à bloquer les crédits accordés aux particuliers et aux entreprises, mais aussi à paralyser les marchés obligataires ces derniers mois au profit des emprunts d’Etat. Cette situation est-elle maintenant terminée ?

- La situation sur le crédit pourrait se détendre. En effet, le marché interbancaire commence à envoyer quelques signes positifs. Par ailleurs, dans le courant de l’année, nous pourrions aussi constater certaines manifestations d’une amélioration de la situation économique, notamment sur le segment de l’immobilier américain.

En conséquence, avec ce retour progressif de la liquidité sur l’ensemble des produits de taux, les mouvements de « flight to quality  » (fuite vers la qualité) de ces derniers mois, qui ont eu tendance à surévaluer les emprunts d’Etat de long terme, ne perdureront pas à moyen terme. Au final, avec une tendance à la baisse des taux courts et à la stabilité - voire la hausse à long terme - des taux longs, la pente de la courbe des taux devrait certainement encore s’accentuer dans les prochains mois.

En tant qu’investisseur, sur quels produits de taux êtes-vous positionnés ?

- Aujourd’hui, nous sommes à des niveaux de spread (l’écart entre les taux sans risque et les emprunts risqués) très importants. Cet écart est, par exemple, de 550 points de base pour les émetteurs notés BBB (c’est-à-dire à la limite des meilleures notations), ce qui confère à ces titres une prime de risque qui se rapproche de celle des actions alors qu’ils restent tout de même beaucoup moins risqués. Même si la situation reste exceptionnelle, elle ne justifie pas une telle décote sur les signatures de bonne qualité.

En revanche, nous restons prudents sur le crédit à haut rendement (les titres entreprises les moins bien notés) car les sociétés qui connaissent déjà des difficultés importantes de financement risquent d’être celles qui souffriront le plus dans les prochains mois.

L'Agefi Actifs. - Après la période de turbulences de la fin de l’année 2008, les conditions d’attribution de crédit par les banques se normalisent-elles aujourd’hui ?

Patrice Matagne. - Certes, des restrictions de crédit existent, mais les banques continuent à prêter. Aujourd’hui, le taux de transformation des crédits passant par nos agences de courtage a diminué de seulement 15 % par rapport au premier semestre de l’année 2008. Les banques appliquent simplement plus strictement des critères prudentiels qui existaient déjà. Evidemment, aujourd’hui, il est préférable pour un emprunteur de disposer de 15 % d’apport car les banques ne financent plus d’opérations à 100 ou 110 % comme ce fut le cas ces dernières années.

Les organismes prêteurs exigent aujourd’hui systématiquement que les droits de mutation et que les frais hypothécaires soient pris en charge par l’emprunteur. Les banques sont aussi très vigilantes sur le taux d’endettement. Alors que celui-ci pouvait facilement atteindre plus de 40 % il y a deux ou trois ans, la limite de 33 % d’endettement est aujourd’hui quasiment toujours respectée. La durée des prêts tend également à se raccourcir. Il est maintenant plus rare de voir des échéances au-delà de 25 ans.

Enfin, les banques restent prudentes sur les prêts relais consentis. Actuellement, ces derniers ne dépassent plus 70 % de la valeur du bien qui devra, dans beaucoup de cas, faire l’objet d’une attestation notariée. Mais il faut noter que la grande majorité des propriétaires français préfère aujourd’hui acheter un bien seulement après avoir vendu celui détenu, sans avoir recours à ce type de financement.

Cette plus grande prudence explique-t-elle la baisse du nombre de transactions?

- Le tassement de l’activité dans l’immobilier est peut-être un peu trop souvent attribué au resserrement des conditions de crédit par les banques. En effet, une partie du ralentissement provient des clients eux-mêmes. Ainsi, l’allongement de la durée de la vente des biens reste liée à la frilosité des vendeurs qui ne sont pas obligés de vendre et se réservent en attendant un marché plus favorable. D’autre part, les acquéreurs sont convaincus que les prix vont continuer de baisser et diffèrent leur décision d’achat en attendant une diminution du prix.

Cet allongement de la durée des ventes se conjugue avec un allongement de la durée de traitement des dossiers par les établissements financiers, plus vigilants sur les vérifications des informations fournies. D’ailleurs, pour être acceptés, les dossiers doivent être beaucoup plus soignés qu’avant.

Les taux appliqués par les banques sont-ils attendus en baisse ou en hausse?

- Même si les prêts demeurent des produits d’appel pour les banques, ces dernières sont aujourd’hui dans une politique de reconstitution de leurs marges. Nous n’anticipons donc pas un retour immédiat vers des actions commerciales agressives sur les taux proposés sur les crédits immobiliers. L’application d’un taux favorable demeure, plus que jamais, corrélée à la qualité des dossiers. Quoi qu’il en soit, les taux appliqués aujourd’hui restent intéressants par rapport à leur moyenne historique.