IMMOBILIER

Coliving, tous gagnants ?

Gaétan Pierret
Les promesses de rendement plus important que le résidentiel classique et de loyers moins chers attisent l’appétit de tous les acteurs du marché immobilier.

Comme bien souvent, le concept nous vient du monde anglo-saxon. Et comme bien souvent, il est loin d’être nouveau. Mais saupoudré d’une couche d’anglicisme pour le rendre plus cool et plus moderne, il suscite beaucoup plus l’attention… Et les millions d’euros.

Encore embryonnaire en France il y a moins de six ans, le marché du coliving attire les capitaux et les investisseurs. La promesse est alléchante : un meilleur rendement que le résidentiel classique, sans les soucis de gestion. Forcément, les bailleurs tendent l’oreille. Et même les promoteurs immobiliers commencent à s’y mettre.

La coloc « all inclusive »

Petit à petit, le coliving fait son nid dans l’Hexagone. Pas moins de 440 millions d’euros y ont été investis en 2021 (voir ci-contre), par de grands noms de l’investissement immobilier (Amundi, La Française, Primonial, Ivanhoé Cambridge…). Bailleurs privés, exploitants de résidences, investisseurs professionnels et surtout locataires : tous sont censés se retrouver dans cette nouvelle formule de la colocation. Sur le papier, au moins.

Les montants investis dans le coliving en France sont croissants depuis 2019

Source : JLL

Fini la « coloc à la papa » ! Les disputes sans fin pour le ménage, la répartition des étagères dans le frigo et les fêtes jusqu’à pas d’heure en pleine période d’examens. Le coliving donne un sérieux coup de jeune au mode de vie en communauté. Les résidences allient espaces privés et communs et incluent dans le montant payé chaque mois par les locataires des services annexes au loyer, comme l’abonnement internet, un service de ménage, une laverie... Les opérateurs ont pour seule limite leur imagination et peuvent aller beaucoup plus loin dans les prestations proposées (salle de cinéma, de fitness, cours de langue, coaching divers, organisation d’apéros, livraison de panier repas…). « Il ne suffit pas de mettre des espaces communs à disposition des habitants pour qu’ils échangent, appuie Ségolène Desplanques, directrice des investissements de l’exploitant Kley. Il faut les animer pour qu’ils puissent créer du lien plus facilement. » Selon BNP Paribas, la moitié des résidences de coliving proposent au moins neuf activités ou services à ses habitants (1).

La majorité des exploitants de coliving ne sont pas propriétaires des murs des résidences. « Plusieurs modèles existent. L’opérateur de coliving prend à bail le logement auprès d’un propriétaire ou signe un contrat de prestations de services. Les locataires peuvent soit signer un bail classique loi 89 incluant des services, soit un contrat de prestations de services également », explique Maxime Armand, directeur des opérations d'Urban Campus. L’offre est ainsi très diversifiée entre les 69 opérateurs recensés en France par le cabinet JLL (voir ci-dessus).

D’un côté, les exploitants tels DoveVivo, La Casa ou bien encore Colodge, qui se fournissent en logements auprès des propriétaires privés. Leur objectif est de maximiser le moindre m² en créant plus d’espaces privatifs. La transformation des biens est ainsi leur principal levier de rentabilité (ils se rémunèrent en conservant les loyers d’une ou des nouvelles chambres). De l’autre côté, des acteurs qui s’associent à des investisseurs professionnels ou des promoteurs pour passer à la vitesse supérieure, tels que Colonies, qui a signé un engagement de 1 milliard d’euros d’Arès Management en mai dernier.

La colocation a bien changé donc et s’adresse à un public différent également, plus diversifié que les seuls étudiants en manque d'argent. Les résidences de coliving font en réalité le plein de jeunes actifs plutôt trentenaires, possédant « un bon pouvoir d’achat » et présentant « une tendance naturelle à la consommation de services », explique le cabinet JLL (2).  Comprendre : de jeunes cadres dynamiques avec une bonne rémunération. Souvent, les « colivers » sont en transition de vie. La formule « tout compris » attire beaucoup de personnes de passage dans une ville pour quelques mois et/ou qui ont besoin d’un pied-à-terre le temps de retrouver une situation plus stable (après un divorce par exemple).

La diversification des profils des locataires est justement un des enjeux du marché. « Les modèles proposés ciblent principalement des actifs de type cadres, jeunes ou en transition. Est-ce que, demain, pour élargir leur clientèle, des offres plus abordables pourraient être développées ? », s’interrogeait déjà l’Institut de l’épargne immobilière et foncière (IEIF) en mai 2022 (3). La réponse se fera attendre mais déjà des déclinaisons apparaissent (lire l'encadré).

Mapping des principaux opérateurs en France

 

Source : JLL

Les vents porteurs

Plusieurs facteurs sont à l’origine de la dynamique du coliving. A commencer par la situation du marché immobilier. Sous-offre de location, pénurie de biens à vendre, flambée des prix, problématiques de financement... Les aspirants acquéreurs sont à la peine et bien souvent contraints de rester locataires plus longtemps que prévu. La conjonction de tous ces éléments accroît la tension dans certaines villes et pousse les habitants à trouver des solutions alternatives, y compris les jeunes actifs qui n’ont d’autre choix que de se tourner vers la colocation. Sans oublier les tendances sociétales structurelles, comme l'augmentation des carrières professionnelles hachées.

La politique de logement de l’Etat contribue également à dynamiser la croissance du coliving. « Les promoteurs, qui voyaient le Pinel s’éteindre progressivement, avaient besoin de trouver d’autres solutions pour soutenir la construction », relève Vincent Evenou, directeur de la gestion d'actifs de Keys REIM. D’où le fait que les plus gros acteurs s’y mettent à travers des filiales (Bikube pour Vinci Immobilier, Kumkwat pour Bouygues Immobilier ou encore Nexity, qui a pris des parts dans l’opérateur Urban Campus).

Autre facteur : le rendement aiguise l'appétit des investisseurs. Selon le cabinet JLL, ils y trouvent un taux prime intéressant, compris entre 4 % (Paris et petite couronne) et 4,50 % en région. « La création de valeur provient à la fois des actifs immobiliers et de l'activité de l'opérateur. Ce type d’investissement nous donne aussi accès à des projets de développement, un savoir-faire et un management avec lequel nous pouvons dialoguer pour orienter la stratégie », explique Karim Habra, responsable de l’Europe et coresponsable de l’Asie-Pacifique d'Ivanhoé Cambridge, entré en novembre au capital de l’opérateur bruxellois Cohabs.

Du résidentiel géré donc, avec quelques spécificités. « Le coliving répond aux besoins de sécurité des investisseurs. Les contrats sont de plus courte durée que dans le résidentiel classique et plus facilement résiliable que ceux de la loi 89 », souligne Vincent Evenou. A noter enfin que le coliving apporte de la sécurité aux propriétaires puisque les loyers sont généralement garantis par les opérateurs.

Les points de vigilance

Assurément, le coliving continuera à croître, mais attention à ne pas se prendre les pieds dans le tapis. La transformation des biens pose inévitablement la question de la réversibilité des travaux. Une maison avec huit chambres et autant de salles de bain peut avoir du mal à se vendre sur le marché classique… Son salut devra probablement passer par un acheteur professionnel, qui conservera l’exploitation en coliving ou aura les moyens financiers d’engager des travaux de reconversion. « Pour la reconversion, la réversibilité la plus naturelle est du résidentiel au sens large, et plus particulièrement du géré », estime Florence Semelin, directrice du pôle résidentiel de JLL.

Certains acteurs espèrent également une éclaircie au niveau local. Comme tous les professionnels de l’immobilier, ils sont soumis au bon vouloir des élus locaux, dont certains sont plus que réticents à laisser ce type de colocation s’installer sur leur territoire. Plus d’habitants, plus de nuisances, estiment-ils. D’autres ont des inquiétudes plus politiques et craignent que le cœur de cible de ces acteurs ne soient pas des électeurs actifs… et encore moins acquis !

Malgré un marketing parfois un peu poussif, le coliving a su prouver son intérêt. Résultat : les capitaux affluent. Le sujet revient dans la bouche de nombreux gérants immobiliers. Les bailleurs privés ont une place à prendre sur ce marché. Leurs appartements, maisons, hôtels particuliers, sont la proie des opérateurs. La gestion professionnelle simplifie leur investissement et est censée la rentabiliser davantage. A condition de garder un œil vigilant sur les travaux. n

(1) Etude « Le marché du coliving en France », BNP Paribas, 2021.

(2) Etude « Le marché français du coliving, T2 2022 », JLL.

(3) « Résidences étudiantes, résidences seniors, coliving... quelles dynamiques pour ces actifs en sortie de crise sanitaire ? », mai 2022, IEIF.


LE COLIVING SE DÉCLINE... DÉJÀ !

A l’instar de La Case, certains des opérateurs thématisent leurs résidences (bien-être, cinéma…) grâce à des services et installations adéquates. D’autres préfèrent cibler une catégorie de locataires spécifique. C’est le cas de l’opérateur Fratries, qui a ouvert en décembre dernier sa deuxième résidence inclusive à Colombes (92). Sur les dix colivers hébergés, la moitié est atteinte d’un handicap mental. Les autres ne sont pas pour autant des aidants. L’idée est de permettre à tous de vivre ensemble, peu importe son handicap. Son concurrent Urban Campus a opté pour les familles. L’opérateur ne cible que les immeubles en bloc, ce qui lui permet de proposer à ses locataires des appartements classiques, meublés ou non, avec des prestations et parties communes au niveau des résidences en lien avec la thématique (aire de jeux d’enfants, babysitting, etc.).