Assurance emprunteur : les banques préparent la riposte face aux assureurs alternatifs

Les assureurs comptent profiter de la résiliation à tout moment qui entre en vigueur ce jeudi pour le stock de prêts. Ils pourraient amener les banques à ajuster leurs tarifs.

Alors que Bruno Le Maire demande aux banques de limiter la hausse des taux de crédit, elles se préparent à une nouvelle bataille commerciale, sur l’assurance emprunteur. Un marché sur lequel elles détiennent aujourd’hui une position dominante. Malgré les lois Hamon et Bourquin, ouvrant la possibilité aux clients de résilier leurs contrats lors de la première année de l’offre de prêt puis à sa date anniversaire, la part de marché des assureurs dits «alternatifs» stagne à près de 12%, avait révélé le rapport du Comité consultatif du secteur financier (CCSF) publié en octobre 2020. Pourtant, ces acteurs sont connus pour leur agressivité tarifaire.

A compter du jeudi 1er septembre, l’entrée en vigueur de la loi Lemoine risque de bouleverser la physionomie du marché. La résiliation du contrat d’assurance sera possible à tout moment pour le stock de prêts. «Les banques ont jusqu’ici pu jouer sur certains artifices pour retenir la clientèle, en invoquant les délais ou la date d’envoi du courrier de demande de résiliation qui n’étaient pas appropriés. La réforme mettra fin à cette situation», explique Christophe Vanhuyse, directeur du département emprunteur de Swiss Life. L’assureur s’attend à en bénéficier directement. «Nos agents généraux et nos courtiers ont anticipé l’entrée en vigueur de la loi Lemoine pour un certain nombre de leurs clients désireux de changer d’assurance», ajoute-t-il.

Près de la moitié des clients se montrent favorables à un changement d’assureur, selon une étude du cabinet Sia Partners réalisée au mois d’avril. Autant d’opportunités commerciales à saisir. «La fenêtre de tir restreinte pour la résiliation empêchait jusqu’ici les assureurs d’organiser des campagnes commerciales efficaces. La résiliation à tout moment peut ouvrir une bataille très dense pour les acteurs qui ont déjà des clients en assurance habitation, par exemple, et pourront réaliser des ventes croisées», juge Pierre Etchegoyen, consultant assurance chez Sia Partners.

Bombarder le stock des banques

«On ne s’attend pas au grand soir à très court terme, tempère Sébastien Limousin, directeur distribution et digital du courtier grossiste April, qui figure parmi les alternatifs les plus agressifs. Cette réforme s’inscrit dans un contexte où les conditions d’accès au crédit se durcissent, la part de marché des alternatifs ne devrait pas beaucoup évoluer dans son ensemble. Le volume de délégation sur les nouveaux prêts va mécaniquement baisser, en revanche nous avons une véritable opportunité à saisir sur la reprise du stock de contrats auprès des banques.»

François-Régis Bernicot, le directeur général de Suravenir, la filiale d’assurance du Crédit Mutuel Arkéa, ne s’attend pas non plus à «un tsunami». «Il y aura mécaniquement une hausse des résiliations mais il est impossible de prédire les volumes. On sous-estime beaucoup l’attachement du client à sa banque. Certains concurrents se préparent toutefois ardemment à bombarder le stock des banques pour piller les bons risques», reconnaît-il.

Les jeunes de moins de 40 ans, empruntant des sommes comprises entre 200.000 et 500.000 euros, sont plus enclins à réaliser des économies en changeant d’assureur, révèle l’étude de Sia Partners, alors qu’ils sont aujourd’hui noyés dans la mutualisation des contrats collectifs bancaires. «On s’attend à ce que les alternatifs réussissent à attaquer le stock des contrats. Le taux de délégation d’assurance pourrait progresser de 2% à 3% en 2023», estime Pierre Etchegoyen.

Des banques aux aguets

Pour l’heure, les banques françaises guettent l’attitude des assureurs alternatifs avant d’ajuster leurs réactions. «L’une des hypothèses est que les banques rognent sur leurs marges pour jouer sur le levier tarifaire. Les contrats groupes des banques sont très margés, de l’ordre de 70%», analyse Sébastien Limousin.

Leader du marché, CNP Assurances a ainsi annoncé, au printemps, avec son partenaire et actionnaire La Banque Postale, un gel des tarifs de l’assurance emprunteur sur les nouveaux contrats, «alors que la sinistralité va s’accroître du fait de la suppression du questionnaire de santé pour les prêts en dessous de 200.000 euros», souligne Thomas Chardonnel, directeur des partenariats France.

S’ils ne peuvent pas augmenter leurs tarifs pour suivre l’évolution du coût du risque, les bancassureurs peuvent revoir leurs marges à la baisse. Mais l’équation économique dans un groupe bancaire est plus complexe. «La commission rémunère le réseau bancaire pour la distribution des contrats et cela va être difficile de rogner dessus. Cela joue dans l’attentisme que l’on observe chez les banques pour le moment : leurs priorités, ce sont l’inflation, la hausse des taux et le durcissement des conditions de crédit», explique Pierre Folk, associate partner insurance chez Sia Partners.

Une offre et des tarifs à revoir

Les bancassureurs ne restent pas, pour autant, les bras croisés. «Les demandes de résiliation vont peut-être augmenter. Et la meilleure réponse que nous pouvons y apporter réside dans la qualité de nos offres et de nos services», précise Thomas Chardonnel.

Suravenir a pris les devants en retravaillant sa tarification. «Depuis juin, notre système est basé sur le capital restant dû par l’emprunteur, afin de nous prémunir face à la concurrence des assureurs alternatifs. Nous avons aussi changé la segmentation de notre offre sur les moins de 40 ans. Nous pensons aussi revoir notre offre sur les contrats groupes afin que les personnes en bonne santé ne soient pas pénalisées par la mutualisation, nous envisageons par exemple de les segmenter pour les clients fumeurs. Ce n’est qu’un premier acte car notre ambition est de coller au marché et de nous ajuster», explique son directeur général.

Le Crédit Mutuel Arkéa s’est aussi préparé sur le plan opérationnel. «Nous formons les conseillers bancaires et nous adaptons notre ‘process’ pour être capables de formuler une réponse au client en dix jours avec un avenant à son crédit comme l’impose la loi Lemoine», précise François-Régis Bernicot. Les prochains mois promettent une bataille rangée.