
Airbnb : un encadrement réglementaire à géométrie variable

Les locations de logements meublés de très courte durée via les plateformes communautaires telles qu’Airbnb ne cessent de défrayer la chronique, entre défense de la liberté économique et nécessité de régulation. Depuis quelques années, ces locations à la nuitée ou à la semaine ont le vent en poupe auprès des voyageurs qui y trouvent souvent un moindre coût et une plus grande liberté au regard des modes d’hébergement touristique traditionnels. Les loueurs y voient pour leur part une possibilité de s’adjoindre un complément de revenu non négligeable, voire, pour certains, de constituer une véritable activité à part entière. Oui mais voilà… face au développement exponentiel de ce système et à la croissance des récriminations fusant de toute part, celui-ci était dans le collimateur des pouvoirs publics depuis quelques temps. En effet, il est apparu nécessaire de garantir l’accès au logement, notamment dans les grandes villes, afin d’éviter que ne prime sur les baux d’habitation classiques (ceux de la loi du 6 juillet 1989) la location meublée saisonnière, qui peut s’avérer beaucoup plus rentable économiquement pour les propriétaires. Ainsi, la mairie de Paris, essentiellement touchée par ce phénomène, a tiré à plusieurs reprises la sonnette d’alarme en raison du nombre croissant d’appartements inoccupés et à une pénurie de logements qu’elle impute à cet engouement pour les locations touristiques de courte durée. De la même manière, il a fallu répondre aux critiques de concurrence déloyale formulées par les hôteliers dont le lobby n’est pas resté inactif. Enfin, il convient de citer également les doléances de plus en plus marquées de la part des copropriétaires, lorsque le logement concerné se trouve dans un immeuble soumis au statut de la copropriété, doléances qui commencent à générer un véritable contentieux dont se trouvent saisis les tribunaux.
Dès lors, le législateur est intervenu pour encadrer de plus en plus strictement la mise en location par le biais des plateformes électroniques de réservation et a, ces derniers mois, considérablement renforcé les procédures d’accès pour garantir un contrôle plus efficace de la réglementation à ce sujet. Ainsi, la mise en location de meublés via Airbnb s’est largement complexifiée ces derniers temps et il n’est plus possible aujourd’hui de se lancer dans ce mode de mise à disposition rémunérée de logements sans appréhender quelque peu les contraintes qui l’entourent, et ce sous peine de sanctions qui peuvent parfois s’avérer sévères (au premier trimestre 2017, le montant des amendes écopées par les loueurs parisiens de la plateforme de location touristique se serait élevé à 615.000 euros, soit 13 fois plus qu’en 2016, selon Le Parisien). Aux fins de mieux cerner les différentes exigences réglementaires en la matière, prenons le cas d’un couple, M. et Mme Rent, copropriétaires d’un appartement dans un immeuble situé à Paris et souhaitant placer celui-ci en location meublée de courte durée via Airbnb. Quelles sont les différentes obligations à respecter ? comment s’y prendre ? quels sont les risques auxquels ils s’exposent en cas de non-respect ?
Un tour d’horizon des différentes réglementations et règles applicables s’imposent pour mieux cerner les formalités à remplir, les autorisations à obtenir et les précautions à prendre. A ce titre, il convient de bien distinguer les autorisations administratives dont les procédures varient en fonction de la nature du bien mis en location, des règles de droit privé, applicables quel que soit le logement en cause dès lors que celui-ci se situe au sein d’un immeuble en copropriété.
Du point de vue des autorisations administratives
Alors que le régime paraît assez souple pour ce type de location lorsque l’appartement constitue la résidence principale du loueur, elle peut rapidement devenir un véritable parcours du combattant lorsqu’elle porte sur une résidence secondaire. Deux hypothèses dès lors :
I - L’appartement de monsieur et madame Rent constitue leur résidence principale
Il n’existait, jusqu’à récemment, aucune démarche préalable à effectuer auprès de l’administration. Il convient cependant de s’assurer en tout état de cause que le bien donné en location concernait effectivement leur résidence principale. Cela sera le cas si monsieur et madame Rent occupent personnellement le logement, sauf obligation professionnelle, raison de santé ou force majeure, au moins huit mois par an (article 2 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs). Ainsi, ils doivent, pour bénéficier des règles applicables à la résidence principale, louer leur appartement moins de 4 mois par an, soit 120 jours, peu importe que ceux-ci soient consécutifs ou non. Au-delà, le logement ne sera plus considéré comme la résidence principale du loueur, et il faudra alors appliquer les règles beaucoup plus contraignantes des résidences secondaires. En effet, le dernier article L. 631-7-1 A du Code de la construction et de l’habitation relatif à l’autorisation de changement d’usage ainsi que l’article L. 324-1-1 du Code du tourisme visant la déclaration préalable des meublés de tourisme
(cf encadré ci-dessous) prévoient une exception lorsque le logement concerné constitue la résidence principale du loueur au sens de l’article 2 de la loi du 6 juillet 1989. Ainsi, l’absence d’autorisation administrative pour la mise en location de courte durée de la résidence principale ne constitue qu’une exception et doit, à ce titre, être appréciée strictement.
II - L’appartement de monsieur et madame Rent constitue leur résidence secondaire
Au-delà de cette période, consécutive ou non de 4 mois par an, et donc pour les résidences qualifiées de secondaires, la mise en location du local peut donner lieu jusqu’à 3 procédures distinctes.
(a) La déclaration préalable d’un meublé de tourisme (article L. 324-1-1 du Code du tourisme)
L’article L. 324-1-4 I du Code du tourisme prévoit que « toute personne, qui offre à la location un meublé de tourisme, que celui-ci soit classé ou non au sens du présent code, doit en avoir préalablement fait la déclaration auprès du maire de la commune où est situé le meublé ». Il convient de préciser que l’article D. 324-1 du même Code définit les meublés de tourisme comme des « villas, appartements, ou studios meublés, à l'usage exclusif du locataire, offerts en location à une clientèle de passage qui y effectue un séjour caractérisé par une location à la journée, à la semaine ou au mois, et qui n'y élit pas domicile ». Dans cette hypothèse, un formulaire Cerfa est à remplir et à adresser à la mairie de la commune dans laquelle se situe le bien préalablement avant toute mise en location de ce type.
(b) L’autorisation de changement d’usage (articles L. 631-7 et suivants du Code de la construction et de l’habitation)
Après la déclaration, certains loueurs doivent solliciter une demande d’autorisation de changement d’usage de leur logement à la mairie. C’est le cas dans les grandes municipalités : à Paris, dans les départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, dans les communes de plus de 200.000 habitants ainsi que dans celles de plus de 50.000 habitants dites en « zone tendue ». En effet, l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation prévoit que « le changement d'usage des locaux destinés à l'habitation est, dans les conditions fixées par l'article L. 631-7-1, soumis à autorisation préalable ». Cette autorisation préalable de changement d’usage n’est pas toujours évidente à obtenir et peut faire l’objet, dans les grandes villes, de règles de compensation. Dans cette hypothèse, tel que cela est le cas à Paris, la délivrance de l’autorisation est notamment subordonnée à une compensation sous la forme de la transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage et situés dans le même arrondissement. La surface compensée doit être au moins égale aux mètres carrés d’habitation supprimés, voire égale au double dans certains arrondissements classés comme « sécateurs de compensation renforcés ».
Monsieur et madame Rent ont dès lors deux solutions :
- soit transformer des locaux non habitables (commerces, bureaux) qu’ils détiennent dans leur patrimoine propre en logements ;
- soit acheter un titre de compensation (ou commercialité) à un tiers (ex : bailleur HLM) qui possède de tels locaux et va les transformer aux mêmes fins.
L’autorisation de changement d’usage est accordée à titre personnel, elle ne sera pas donc cessible avec le logement, notamment en cas de revente. Cependant, et lorsqu’elle a été subordonnée à une compensation, l’autorisation sera, dans ce cas, attachée au local concerné.
(c) L’autorisation de changement de destination (PLU et article R.421-17 du Code de l’urbanisme)
Enfin, un risque peut exister en cas de mise en location meublée de courte durée quant à un éventuel non-respect des règles d’urbanisme locales définies au plan local d’urbanisme concerné. En effet, l’article R. 151-27 du Code de l’urbanisme donne une liste limitative des destinations des constructions (habitation, commerces et activités de service, exploitation agricole et forestières, équipements d’intérêt collectif et services publics, autres activités des secteurs tertiaire et secondaire). Lorsque le local concerné passe d’une catégorie à une autre, une autorisation d’urbanisme apparaît ipso facto nécessaire en raison du changement de destination. Le plan local d’urbanisme relatif à Paris range les locations meublées, ne relevant pas des articles L. 632-1 et suivants du Code de la construction et de l’habitation, parmi les hébergements hôteliers, ce qui nécessitent dès lors l’obtention d’une telle autorisation.
Il peut s’agir d’une déclaration préalable de travaux s’il n’y a pas de modification des structures porteuses ou des façades des bâtiments et ce même si le changement de destination ne s’accompagne d’aucuns travaux. L’article R.421-17 du Code de l’urbanisme prévoit ainsi que : « Doivent être précédés d'une déclaration préalable lorsqu'ils ne sont pas soumis à permis de construire en application des articles R*421-14 à *R. 421-16 les travaux exécutés sur des constructions existantes, à l'exception des travaux d'entretien ou de réparations ordinaires, et les changements de destination des constructions existantes suivants :
b) Les changements de destination d'un bâtiment existant entre les différentes destinations définies à l'article R. 151-27; pour l'application du présent alinéa, les locaux accessoires d'un bâtiment sont réputés avoir la même destination que le local principal et le contrôle des changements de destination ne porte pas sur les changements entre sous-destinations d'une même destination prévues à l'article R. 151-28 ».
Un permis de construire sera lui nécessaire en cas de réalisation de travaux de grande ampleur. Monsieur et madame Rent devront, en plus de l’autorisation d’usage, solliciter cette autorisation de changement de destination, en l’espèce par le biais d’une déclaration préalable s’ils n’effectuent aucuns travaux, dès lors que ces autorisations ne se confondent pas.
(d) Des sanctions loin d’être négligeables
En cas de non-respect de ces procédures de déclaration et d’autorisation, les amendes prononcées peuvent s’avérer lourdes, notamment pour un particulier. Le défaut de déclaration préalable en mairie pour un meublé de tourisme expose le loueur à une amende qui peut aller jusqu’à 450 €. L’absence d’autorisation de changement d’usage est passible d’une amende qui peut s’élever à 25.000 € assortie d’une astreinte de 1.000 € par m² jusqu’à la régularisation. Il convient également de relever que des sanctions pénales peuvent être prononcées en cas de fausse déclaration, dissimulation ou tentative de dissimulation de locaux soumis à déclaration (1 an d’emprisonnement et 80.000 € d’amende) selon l’article L. 651-3 du Code de la construction et de l’habitation.
Du point de vue des règles relatives à la copropriété
Ces éventuelles déclarations et/ou autorisations d’urbanisme préalables obtenues, ou dans l’hypothèse où celles-ci ne sont pas requises, Monsieur et Madame Rent peuvent-ils alors donner en location meublée de courte durée par le biais de la plateforme d’hébergement en toute tranquillité et sans risquer d’être inquiétés ? Rien n’est moins sûr… et il reste encore quelques précautions à prendre et vérifications à effectuer. Il convient en effet de tenir compte du fait que l’appartement concerné se trouve dans un immeuble soumis aux règles régissant la copropriété, et donc aux dispositions de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété ainsi qu’au règlement de copropriété propre à l’immeuble. Si, comme on l’a vu, les pouvoirs publics ont cherché ces dernières années à encadrer et réglementer strictement le recours à un tel système de location, les plaintes de voisins d’appartements « Airbnb » se sont également multipliées, donnant lieu à une certaine évolution de la jurisprudence.
En effet, il est manifeste que les locations de courte durée introduisent un mode nouveau d’occupation de l’immeuble, générant de ce fait certains inconvénients supplémentaires : augmentation de la fréquentation de l’immeuble, nuisances sonores, locataires peu respectueux de la tranquillité d’autrui, fréquentation nocturne… Dès lors, l’engouement croissant pour ces locations de très courte durée ainsi que les nuisances qui en découlent pour l’environnement immédiat ont conduit la jurisprudence à, semble-t-il, infléchir quelque peu sa position s’agissant de la faculté de donner en location touristique de courte durée. En tout état de cause, et en cas de nuisances avérées au sein de l’immeuble, les copropriétaires voisins peuvent toujours avoir recours à une action fondée sur la théorie prétorienne des troubles anormaux de voisinage, bien que celle-ci ne soit pas toujours évidente à mettre en œuvre.
I - Le respect du règlement de copropriété
La première étape pour monsieur et madame Rent est de procéder à une lecture, certes parfois fastidieuse, du règlement de copropriété qui régit leur immeuble aux fins de vérifier si celui-ci proscrit ou non ce type de location. Il importe ainsi de vérifier que celui-ci ne contient pas une clause de destination excluant de ce fait une telle pratique. L’article 8 de la loi du 10 juillet 1965 précise en effet que « le règlement de copropriété ne peut imposer aucune restriction aux droits des copropriétaires en dehors de celles qui seraient justifiées par la destination de l’immeuble, telle qu’elle est définie aux actes, par ses caractères ou sa situation ».
Plusieurs cas de figurent sont possibles :
(a) Une clause de destination mixte qui autorise à la fois l’habitation et les activités commerciales
Cette clause ne pose aucune difficulté et la location touristique de courte durée sera bien évidemment autorisée.
(b) Une clause de destination dite d’habitation bourgeoise simple
Le règlement de copropriété pourra contenir une clause dite d’habitation bourgeoise dite simple, c’est-à-dire qui peut autoriser ou tolérer l’exercice d’une profession libérale si celle-ci ne génère pas de nuisances trop importantes. En pareil cas, il peut être admis que la location meublée de courte durée à une clientèle de passage soit autorisée en tant qu’assimilable à une activité libérale en termes de nuisances éventuelles. La Cour de cassation a, dans un arrêt en date du 8 juin 2011, considéré « qu'ayant relevé que le règlement de copropriété autorisait expressément l'exercice d'une profession libérale qui entraînait des inconvénients similaires à ceux dénoncés par le syndicat pour la location meublée de courte durée, il n’y avait pas lieu de restreindre les droits de copropriétaires sur leur lot et d’empêcher une location meublée de courte durée » (Cass. 3e civ., 8 juin 2011, n°10-15.891 : Bull.civ. III, n°97).
(c) Une clause d’habitation bourgeoise exclusive
Une clause d’habitation bourgeoise stricte prévoit spécifiquement que les appartements seront réservés exclusivement à l’habitation, à l’exclusion de toute autre usage, en ce compris l’exercice d’activités libérales. Là encore, la rédaction d’une telle clause semble ne pas poser de difficulté en ce qu’elle proscrit, à mon sens, toute location touristique saisonnière qui ne procède pas d’un strict usage d’habitation à proprement parler. La discussion porte donc aujourd’hui en réalité sur l’appréciation de la possibilité d’avoir recours à des locations meublées de très courte durée en présence d’une clause d’habitation bourgeoise simple. En effet, et depuis quelques temps, la jurisprudence apporte quelques nuances eu égard à l’arrêt de la Cour de cassation précité de 2011 et face aux critiques d’assimilation d’un tel mode de location à une activité libérale. Ainsi que le relève le professeur Périnet-Marquet, « le parallèle fait par la jurisprudence de l’époque entre les inconvénients générés par les va-et-vient des clients des professions libérales, d’une part, et des locataires de meublés touristiques, d’autre part, était loin d’être totalement convaincant. Il ne prenait, en effet, pas en compte un élément important. Sauf exception, aujourd’hui rarissime, les professions libérales ne reçoivent pas leurs clients la nuit. Les va-et-vient dans l’immeuble sont donc cantonnés à la sphère diurne » (Les meublés touristiques dans les immeubles en copropriété, évolutions jurisprudentielles récentes, in JCP N, 2007, n°26, p. 23).
Il y a lieu de noter que les arrêts les plus récents s’attachent à vérifier spécifiquement les circonstances particulières de chaque cas et semblent tendre au demeurant à assimiler l’activité de location meublée de courte durée à une activité commerciale, donc exclue, que l’on soit en présence d’une clause d’habitation bourgeoise simple ou stricte. Ainsi, dans un arrêt du 21 mai 2014, la cour d’appel de Paris a jugé qu'« une location en meublé n'est pas, en elle-même, contraire à la destination de l'immeuble, à moins qu'elle ne s'exerce, comme ici, pour des locations de courte durée avec fournitures de services annexes (ménage, fournitures de literie, transferts vers l'aéroport) qui apparentent cette exploitation à une activité commerciale et non plus civile ». La juridiction d’appel a, en conséquence, considéré que ce type de location était contraire à la clause d’habitation bourgeoise qui, certes autorise l’exercice de professions libérales, mais non l’activité commerciale (CA Paris, 21 mai 2014, n°12/17679).
Il convient cependant, à mon sens, d’éviter toute généralisation quant à la portée de cet arrêt et de se garder d’affirmer péremptoirement que désormais les locations Airbnb seront proscrites en présence d’une clause d’habitation bourgeoise simple. En effet, et dans cette espèce, la mise en location était faite par un tiers qui avait reçu mandat à cet effet et proposait, de surcroît, un certain nombre de services annexes. L’ensemble de ces éléments ont pesé dans la balance pour faire basculer, en l’espèce, et eu égard à ces modalités particulières, l’activité de location mise en cause, par nature civile, en activité commerciale. On est ici loin de l’hypothèse de départ de monsieur et madame Rent qui donnent ponctuellement à bail leur appartement.
Récemment, la cour d’appel de Paris a encore eu à se prononcer sur l’interprétation d’une clause de destination figurant dans un règlement de copropriété et sa compatibilité avec la pratique de locations saisonnière touristique. Elle reprend dans cette décision la motivation retenue dans l’arrêt précité du 21 mai 2014 en jugeant qu'« une location en meublé n’est pas, en elle-même contraire à la destination bourgeoise d’un immeuble, à moins qu’elle ne s’exerce pour des locations de courte durée avec fournitures de services annexes (ménage, fournitures de literie, transferts vers l’aéroport), qui apparentent cette exploitation à une activité commerciale et non plus civile, étant observé que si l’activité de louer en meublé est juridiquement de nature civile, elle est fiscalement de nature commerciale, étant imposée au titre des bénéfices industriels et commerciaux, en sorte que c’est sans abus ni dénaturation que le syndicat fait valeur que l’activité exercée par la SCI (…) est contraire, dans l’esprit et dans les faits, aux prohibitions du règlement de copropriété » (CA Paris, 15 juin 2016, n°15/18917).
Là encore, il ne s’agissait pas d’une location très ponctuelle via une plateforme collaborative de réservation mais d’une SCI qui avait donné 7 appartements à bail commercial à une société chargée de les donner en location saisonnière touristique de courte durée avec services annexes. On n’est donc à nouveau nullement dans le cas de monsieur et madame Rent pris à titre d’exemple. Il ressort de ces décisions que si la jurisprudence n’hésite plus à qualifier, dans certaines hypothèses, une location touristique saisonnière d’activité commerciale et à considérer celle-ci comme illicite eu égard à une clause d’habitation bourgeoise qu’elle soit simple ou stricte, cette question n’apparaît aujourd’hui pas définitivement tranchée. Ne serait-ce que parce que la cour de Cassation ne s’est pour sa part pas encore prononcée et que la dernière décision rendue par celle-ci dans ce domaine tendait plutôt à un certain libéralisme. Il conviendra donc de surveiller l’actualité jurisprudentielle de ces prochains mois et de guetter l’intervention de la haute juridiction…
Marie Letourmy, avocate, cabinet Cornet Vincent Segurel
II - Les troubles anormaux de voisinage
Enfin, et quand bien même le règlement de copropriété se trouverait respecté, monsieur et madame Rent sont toujours susceptibles d’engager leur responsabilité sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage. Cette responsabilité sans faute suppose la démonstration d’un lien de causalité entre un fait et un préjudice constitué par une nuisance anormale, notion appréhendée de façon objective par les tribunaux. Il n’est cependant pas évident à prouver pour les copropriétaires dès lors que le trouble subi doit affecter l’immeuble dans son ensemble et pas seulement un lot (par exemple les parties communes) et être considéré comme anormal. Sur l’appréciation du caractère anormal dans un immeuble parisien en copropriété, citons un arrêt récent rendu par la cour d’appel de Paris qui précise « que les bruits de pas, d’impact, de fonctionnement ponctuel de machines à laver ou autres en provenance de l’appartement de Mme … ne constituent pas des nuisances de nature à caractériser des troubles anormaux de voisinage, dès lors que la vie dans un immeuble d’habitation collectif parisien suppose de supporter les contraintes inhérentes à la vie en commun et une tolérance accrue aux bruits de voisinage par rapport aux conditions d’habitation dans une maison individuelle, qu’il est normal pour les occupants d’un appartement d’y circuler de jour, comme de nuit d’ailleurs, sauf à éviter de porter des talons dans ce dernier cas, de s’y déplacer, d’y prendre des repas avec des invités ou non, de faire fonctionner des appareils ménagers, qu’il s’agit là d’inconvénients normaux de voisinage » (CA Paris, 11 mai 2016, n°15/04007).
Monsieur et madame Rent devront donc être vigilants à bien rappeler à leurs locataires les règles de vie aux fins de limiter les éventuelles nuisances pour les copropriétaires mais une action sur le fondement des troubles anormaux de voisinage, sauf abus caractérisé, ne sera qu’un risque limité. Celle-ci n’est néanmoins pas un cas d’école puisque dans l’arrêt précité du 15 juin 2016, la cour d’appel de Paris avait retenu la responsabilité du loueur sur ce fondement en soulignant qu’il ne pouvait « dénier les troubles de voisinage dérivant des allées et venues incessantes, diurnes comme nocturnes, de touristes en nombre circulant avec leurs valises dans les parties communes de l’immeuble, peu soucieux de la tranquillité et du repos des occupants, de l’usure accentuée des parties communes, escalier, ascenseur, couloirs, portes, résultant de leurs va-et-vient, de l’aggravation des charges de gardiennage » (CA Paris, 15 juin 2016, n°15/18917).
Précisons simplement que dans cette espèce, le loueur en question était propriétaire de 7 appartements aux derniers étages d’un petit immeuble, qu’il avait intégralement restructurés aux fins de location saisonnière touristique de courte durée par l’intermédiaire d’un tiers, et ce de manière exclusive. Dans l’hypothèse où monsieur et madame Rent ne mettent en location leur appartement que de manière ponctuelle et raisonnée, il y a peu de chances que des troubles anormaux de voisinage puissent être caractérisés.
En conclusion, un vent spéculatif a soufflé sur l’économie collaborative ces dernières années conduisant le législateur à durcir les règles applicables afin d’encadrer les locations meublées de courte durée. Cependant, celles-ci apparaissent moins sévères qu’il n’y paraît, du moins pour ceux qui se contentent de louer ponctuellement leur résidence principale en vue d’obtenir un petit complément de revenu, à l’inverse des investisseurs ou autres propriétaires pratiquant la location meublée de manière professionnelle ou quasi professionnelle.