
Le crowdfunding en péril

En 2021, les plateformes de crowdfunding françaises ont collecté près de 2 milliards d’euros : +84% par rapport à 2020. Quels autres secteurs d’activité connaissent un tel dynamisme ? Mais voilà, l’entrée en application en novembre dernier du règlement UE 2020/1503 qui crée le statut de Prestataire de Services de Financement Participatif (PSFP) pourrait tuer le secteur du financement participatif.
Un règlement européen loin des réalités terrain
L’objectif de ce règlement est louable : démocratiser le financement participatif à l’échelle européenne, imposer un cadre juridique commun afin de protéger les investisseurs, faciliter le passeportage des plateformes en Europe… Mais à quel prix !?
Les institutions européennes ne semblent pas avoir pris en compte les pratiques existantes dans la mise en place de ce cadre règlementaire. Pourquoi n’avons-nous pas été davantage consultés ? En 2014 la création en France des statuts d’intermédiaire en financement participatif et de conseiller en investissements participatifs avait eu l’avantage de se faire main dans la main avec le secteur. Le règlement européen nous tombe dessus, alors même qu’en France – pays qui collecte les plus gros volumes avec l’Italie (1) et est le 1er à avoir mis en place un cadre spécifique – la règlementation a été éprouvée et a prouvé son efficacité.
Par ailleurs, les plateformes disposent de 12 mois pour se mettre en conformité : à partir du 11 novembre, celles qui n’auront pas obtenu le statut de PSFP ne pourront plus exercer. Une période de transition bien illusoire si on considère que les normes techniques attendues n’ont toujours pas été officiellement publiées, et que persiste un flou sur des questions très structurantes. D’autant plus que près d’1/3 des 300 plateformes européennes devant obtenir le nouvel agrément sont françaises. On imagine assez bien l’embouteillage que cela risque de provoquer auprès de l’Autorité des marchés financiers. Quel est l’objectif ? Epurer le marché ? Mettre en difficulté les investisseurs existants sur les plateformes en activité ? Rendre l’accès au financement participatif plus difficile pour les entrepreneurs ?
Le test de connaissances et la simulation de la capacité à supporter des pertes sont supposés protéger l’investisseur non averti, mais leur répétition et leur lourdeur risquent surtout de les convaincre d’abandonner le process avant de concrétiser leur investissement. Alors même que le règlement n’évoque pas d’obligations de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme ! Les plateformes perdent leur rôle de conseil en investissement pour devenir de simples intermédiaires qui n’ont plus la possibilité d’être « user friendly ». Les règles de communication promotionnelle, élément structurant d’une campagne de crowdfunding, sont laissées à la main des régulateurs nationaux : de quoi créer un vrai déséquilibre entre les pays en termes de contraintes pour les plateformes, et de protection de l’investisseur.
Les holdings intermédiaires créées pour fédérer les investisseurs et les représenter auprès de l’entreprise qui lève des fonds ne peuvent pas être détenues par les plateformes sous peine d’être en contradiction avec l’Article 8(1) du règlement relatif aux conflits d’intérêt, mais n’y a-t-il pas un conflit d’intérêt plus grand si ces sociétés intermédiaires sont détenues par les porteurs de projet eux-mêmes ? D’autre part, le modèle économique de beaucoup de plateformes repose sur une plus-value à la sortie, ce qui les incite à accompagner l’entreprise sur la durée. Ces règles de conflits d’intérêts remettent en cause à la fois le modèle économique des plateformes, et l’alignement des intérêts entre le PSFP et ses clients.
Le Règlement européen impose un seuil de 5 millions d’euros en financement participatif par porteur de projet sur 12 mois. Une régression regrettable pour les plateformes françaises dont le seuil actuel est de 8 millions d’euros par projet. Et comment vérifier qu’aucune autre levée en prêt ou en capital n’est effectuée par l’entreprise sur une autre plateforme à l’échelle européenne !?
Une règlementation inadaptée pour les plateformes de don
Autre point regrettable : la mise à jour du cadre national – indue par l’entrée en vigueur du Règlement européen – pour les intermédiaires en financement participatif octroyant des dons ou des prêts gratuits. Celle-ci n’a pas été l’occasion d’une révision intelligente de la règlementation applicable. Pire, la nouvelle rédaction des textes vient soumettre les plateformes de don à des obligations qu’elles n’avaient pas préalablement ! Il semblerait qu’une plateforme de don doivent mettre en place un contrat avec un agent de Prestataire de Services de Paiement pour la gestion extinctive de son activité. Mais quelle gestion extinctive ? Ce n’est pas comme si un don devait être remboursé dans le temps !? De même, les personnes physiques qui dirigent ces plateformes doivent désormais justifier de compétences professionnelles dans les domaines financiers qui n’étaient jusqu’alors réservés qu’aux plateformes de prêt !
A l’heure où les citoyens sont demandeurs de plus de transparence, de proximité et de digitalisation dans leurs investissements, il est urgent de revoir la copie et de donner les moyens aux plateformes de crowdfunding de financer des entreprises de toutes tailles grâce à la mobilisation de l’épargne des citoyens, tout en garantissant leur modèle économique !
(1) The 2nd Global Alternative Finance Market Benchmarking Report – Cambridge Center for Alternative Finance – June 2021