Vers un renouveau de la gestion conseillée

Philippe Bruneau, Associé PhB Conseil, et Nicolas Gonzalez, CEO Fundvisory
L’arrivée du digital provoque une forte baisse des coûts de la gestion conseillée tout en augmentant la qualité du service offert au client
L’aspect interactif de la GC permet de mieux connaître les clients, de leur proposer des offres adaptées
DR, Philippe BRUNEAU, Associé PhB Conseil et Nicolas GONZALEZ, CEO Fundvisory

A l’heure où l’univers de la gestion privée est confronté à de profondes mutations, est-il pertinent pour un établissement financier ou un CGP de proposer une offre de gestion conseillée (GC) ?

Cette formule s’adresse à des épargnants qui veulent rester maîtres de leurs investissements et de leurs arbitrages tout en bénéficiant de l’avis d’un expert. Selon les conditions de marché, les convictions de l’expert et /ou le changement du projet et de la situation du client dans le temps, l’expert propose une allocation/réallocation plusieurs fois par an, et le client décide de suivre ou non cette proposition.

I – Une rentabilité érodée par une baisse des revenus et une hausse des coûts : Après la crise de 2008, les établissements financiers ont promu la GC, espérant ainsi conserver les actifs de leurs clients qui avaient résilié les mandats de leurs comptes titres. Pour ce faire, ils n’ont pas hésité à « casser les prix », proposant une offre de GC au tarif de la  réception- transmission d’ordres, très en deçà de la gestion sous mandat (GSM). Or, à la différence de la GSM, par nature centralisée (la gestion est effectuée dans la société de gestion, sans implication du client ni de son conseiller), impersonnelle (souvent trois fonds dans lesquels on gère l’ensemble des clients quelque soient leurs projets et leur granularité de tolérance au risque) et réduisant les interactions entre conseillers et clients au strict minimum (entrée en relation, souscription et rapport de performance standard), la GC telle que pratiquée dans le conseil traditionnel « purement physique » est très consommatrice de temps et de compétences humaines. Ainsi, baisse des revenus et maintien de coûts élevés ont fortement érodé la rentabilité de la GC, d’où le désamour que lui portent de nombreux acteurs de la Place.

Cette situation intervient alors que MiFiD II va entrer en application en janvier 2018. Cette directive aura un impact non négligeable sur la GSM en supprimant les rétrocessions que les gérants perçoivent de la part de sociétés de gestion externes. En revanche, son impact sur la GC est plus ténu puisqu’il dépendra du statut que les acteurs auront adopté. Le caractère « indépendant » impliquera de renoncer aux rétrocessions et donc de basculer sur un mode de rémunération sous forme d’honoraires. A l’inverse, le caractère « non-indépendant » permettra de conserver la possibilité de percevoir des commissions sous certaines conditions : adéquation entre la commission et le service fourni et transparence totale de la répartition des frais vis-à-vis du client. A ce jour, la grande majorité des acteurs de la Place optent pour le caractère de « non-indépendants ».

II – Mais revigorée grâce à l’impact du digital : L’arrivée du digital bouleverse la donne. Elle provoque une forte baisse des coûts de gestion tout en augmentant la qualité du service offert au client. Associé à une tarification adéquate, tenant compte du fait que le client a un conseiller à sa disposition, assise à la fois sur le montant des actifs et le nombre de transactions, la GC peut espérer retrouver une rentabilité élevée (augmentation de la rentabilité des actifs et baisse du coefficient d’exploitation). Ainsi, la mise en conformité de la GC peut de prime abord apparaître complexe et coûteuse. Il n’en est rien. Les acteurs qui optent pour le statut de « non-indépendant » devront justifier la valeur ajoutée de leur service rendu, ce qui suppose entre autres que tous les flux puissent être tracés. Cela représente a priori un bouleversement technique important du point de vue des systèmes d’information. Or, c’est là qu’intervient l’apport essentiel du digital, qui permet, premièrement, de tracer précisément jusqu’au simple clic du conseiller ou de son client sur n’importe quel élément du parcours proposé en souscription/profilage/conseil/acceptation/refus/rachat. Ce traçage permet aussi de connaître précisément les étapes du conseil et de la relation conseiller/client qui nécessitent du temps, qui sont plus complexes que d’autres. Elles participent aussi à l’éducation du client par un ensemble de visuels, d’explicatifs, d’argumentaires, qui sont aujourd’hui partie intégrante des recommandations sur le bon devoir de conseil au sens de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.
En second lieu, le digital permet également de conserver en base de données sécurisée l’ensemble de ces éléments. Quoi de mieux pour justifier d’un devoir de conseil que de pouvoir apporter la preuve de chaque étape, depuis la justification du conseil, la modification de celui-ci, l’approbation client et l’ensemble des
rapports envoyés au client, qu’un outil en ligne qui trace un simple clic ? Quoi de mieux que de faire signer électroniquement au client et de valider par SMS sécurisé à chaque étape du conseil afin de placer le curseur de la responsabilité au plus près de son réel détenteur ?

L’aspect interactif de la GC intensifie les points de contact entre le gérant et son client. Il multiplie les occasions de mettre à jour les données règlementaires des clients (rappelons que Priip et MiFiD II vont totalement dans le sens de cette mise à jour régulière), ainsi que celles de voir les clients (en physique ou dans son espace en ligne) et donc de mieux les connaître d’un point de vue marketing. Il sera ainsi plus facile de les segmenter, de leur proposer des offres adaptées, d’opérer un cross-selling avec les entités partenaires internes ou externes, au lieu de laisser cette fréquence d’interaction, et donc cette connaissance client, aux seuls réseaux sociaux et moteurs de recherche américains.

Il est cependant important de bien distinguer les offres des différentes fintechs et séparer ainsi le bon grain de l’ivraie. Car sous le label GC se cachent souvent de simples parcours de souscription qui orientent les clients vers un nombre limité de fonds profilés, sans aucun conseil au fil du temps, ou vers des portefeuilles gérés sous mandat par des sociétés de gestion reconnues. A rebours de ces approches industrialisées, l’offre de GC ici évoquée est personnalisée, dynamique et flexible. L’objectif n’est pas de mettre des clients dans des cases ; c’est chaque client qui a sa propre case. Dans le même esprit, l’intérêt de la GC en matière d’assurance vie est double : lisser et monitorer la migration euro/UC des clients surexposés aux fonds euro, et opérer cette migration avec une grande pédagogie (nécessaire en France…) et un réel suivi.

III - Conclusion : La GC ne peut plus être perçue comme elle le fut ces dix dernières années. Depuis peu, l’immixtion du digital a clairement changé la donne. Ainsi, quel que soit le prisme, de la rentabilité à la conformité, en passant par la connaissance client ou la qualité de service, l’intérêt pour la GC doit être reconsidéré.