
Réforme du courtage : «Un dispositif non conforme aux directives et anticonstitutionnel»

L'Association nationale des conseils diplômés en gestion de patrimoine (ANCDGP) vient de déposer un recours gracieux devant le Premier ministre pour demander l'annulation des textes d'application de la réforme du courtage en assurance et en opérations de banque. Fidèle à sa position depuis que la réforme du courtage est discutée sur les bancs des deux assemblées, elle considère que les associations professionnelles agréées à adhésion obligatoires vont à l'encontre du droit national et européen. Trois questions à Philippe Loizelet, son président.
L'Agefi Actifs : Pourquoi avoir déposé ce recours ?
Philippe Loizelet : Il s'agit d'un recours gracieux avant un recours pour excès de pouvoir. Par courtoisie, nous tenons à ce que le Premier Ministre et ses services prennent acte de nos réserves et soit l’assument, soit corrigent. Pour la réponse ou la non-réponse, les services du Premier Ministre vont interroger Bruno Le Maire et le Trésor. Or, Lionel Corre, sous-directeur des assurances à la direction générale du Trésor, vient de quitter ses fonctions et il était le principal promoteur du texte. Son successeur va devoir assumer et endosser les réponses aux recours.
Sur le fond, nos arguments n'ont pas changé. Les textes règlementaires instituent, contradictoirement aux engagements du gouvernement pris pendant les débats, une procédure de sanction au niveau des associations, notamment en cas de non-réponses à la collecte d’informations initiée par l’ACPR. C'est en réalité une véritable délégation de contrôle sur pièces. Un membre qui refuserait de transmettre, dans le format imposé, les informations demandées par l’ACPR via l’association, serait exclu, donc interdit d’exercice, puisque l’inscription à l’association conditionne le renouvellement ORIAS. Or, le pouvoir de sanction n’est possible qu’au niveau de l’ACPR : c’était un engagement du gouvernement lors des débats, engagement d’autant plus fort que respectueux des dispositions des Directives.
La majorité a voté le texte, il est donc peu probable que le gouvernement revienne sur sa ligne. Le futur recours envisagé devant le Conseil d'Etat a-t-il des chances d'aboutir ?
Nous aurons, pour la première fois, la possibilité de sortir de la sphère d’influence du Trésor, qui n’a eu de cesse d’imposer ce dispositif, soi-disant, consensuel. Rappelons que le Trésor a refusé que les associations contre son projet soient conviées aux réunions de place organisées pour les travaux préparatoires aux décrets, seules les associations candidates étaient invitées.
L’ANCDGP entend réitérer ses réserves sur un dispositif, présenté comme une simple transposition des textes européens, alors qu’il se révèle contraire à l’esprit et à la lettre des directives, mais aussi unique en Europe et sanctionnable pour non-conformité, anticonstitutionnalité flagrante, et enfin engendrant une distorsion entre intermédiaires.
Nos recours sont publics, dès lors l’ensemble des avocats spécialisés de la Place aura, à disposition, nos arguments pour intenter une QPC et espérer une annulation partielle ou totale du dispositif. Les recours devant les instances communautaires ne viendront qu’après avoir épuisé les recours nationaux.
Vous faites un parallèle entre la capacité de radiation des associations et une récente décision du Conseil constitutionnel restreignant les pouvoirs de sanction de l'AMF...
Cela fait plusieurs années que l’ANCDGP, sans nier le rôle important du régulateur, s’inquiète du déséquilibre procédural dans les procédures devant l’AMF. Nous avons toujours pensé qu’il fallait un débat entre le régulateur et les CIF et que seul un juge pourrait trancher dans le respect du contradictoire. Imaginons-nous un policier ou un gendarme, avoir non seulement l’opportunité des poursuites, de puissants moyens d’investigations et ensuite le choix des sanctions ou de compositions administratives, sans contrôle d’un juge ?
La décision n° 2021-965 QPC du 28 janvier 2022 du Conseil Constitutionnel semble bien confirmer notre analyse : les autorités de contrôle doivent faire confiance au juge pénal pour sanctionner le délit d’entrave et ne peuvent donc le sanctionner administrativement. Or, précisément, ici, sur demandes de l’ACPR, les associations agréées devront collecter des renseignements, documents, informations dont l’absence de production sera sanctionnée par une radiation et, de fait, une interdiction d’exercice, soit la sanction la plus lourde.