
Réforme du courtage : les acteurs sur la ligne de départ

Le temps est compté et tous les candidats le savent bien. Les textes d’application de la loi relative à la Réforme du courtage de l’assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement, attendus depuis la mi-septembre, ne sont parus que le 2 décembre au Journal officiel (JO). Un arrêté décrit la procédure à suivre pour devenir l’une des associations professionnelles agréées auxquelles l’adhésion deviendra obligatoire pour les Intermédiaires en assurance (IAS) et ceux en Opérations de banque et en services de paiement (IOBSP). Pour les courtiers déjà en exercice, ce sera fin 2022, au moment du renouvellement de l’immatriculation à l’Orias, mais à partir du 1er avril 2022 pour les nouveaux entrants dans la profession. Sachant que l’ACPR a trois mois pour se prononcer à partir du dépôt du dossier, les candidatures ont dû se faire dès la parution des textes. Ils sont pour le moment sept sur la ligne de départ : Votrasso poussée par Zenioo et Leader Insurance ; Endya pour Planète CSCA, l’Apic et le CGAB ; l’Afib et les quatre associations historiques de CIF (Anacofi, CNCGP, CNCEF et la Compagnie des CGP). Le principe de la réforme est bien sûr salué par les postulants.
«Aujourd’hui, plus de 60 % des intermédiaires n’adhèrent pas à une association et la majorité n’ont pas de service médiation, appuie Géraud Cambournac, directeur général de l’Afib. De trop nombreuses structures opèrent dans l’illégalité alors que depuis le 1er août 2016 il faut obligatoirement offrir la possibilité au client de recourir à un médiateur en cas d’insatisfaction.» Une obligation dont la plupart des intermédiaires n’ont pas connaissance. La mise en place des associations permet ainsi de s’assurer que les courtiers travaillent dans le respect de leurs obligations légales et assurent l’image de la profession. «La réforme évitera que quelques indélicats soient placardés dans les médias et supprimera des médiateurs imaginaires, telle que l’ACPR, comme je le constate encore sur des sites internet de mes confrères», fustige Géraud Cambournac. En réponse à ceux qui craignent une chute du nombre de professionnels, le dirigeant rappelle que l’adhésion obligatoire pour les CIF en 2003 a au contraire accéléré le développement de la profession.
Texte à trous
C’est plutôt dans les modalités d’application de la loi que des réserves surgissent. L’avant-projet de décret décrivant les modalités d’exercice des missions des associations avaient suscité des interrogations chez certains acteurs. L’ACPR a organisé deux réunions de cadrage avec les candidats potentiels afin de lever les doutes relayés dans nos publications. Ni ces réunions, ni la rédaction finale du texte n’ont suffi à les dissiper totalement. Sur la procédure de vérification quinquennale des membres par exemple (RC pro, capacité financière, formation initiale et continue et honorabilité), les postulants avancent à tâtons. «La garantie financière repose également sur du déclaratif, elle est calculée par rapport aux fonds encaissés, détaille Patricia Pietriga, déléguée générale de la Compagnie des CGP. Le chiffre d’affaires sera éclaté entre les différentes activités du cabinet pour voir si la RC pro et la garantie financière sont adéquates. »
Une vérification plus fine nécessiterait l’accès au bilan financier du membre, impossible en l’état du droit. A l’Afib, on prévoit d’établir une corrélation entre chiffre d’affaires, fiches de poste et nombre de postes déclarés. Côté Anacofi, le parti a été pris de demander un questionnaire certifié par l’expert-comptable du membre, qui s’engagera sur le champ d’application, le montant des garanties et les franchises. « Les procédures de vérification n’ont pas vocation à rester figées, les associations les enrichiront au fur et à mesure de l’expérience acquise, rassure Geoffroy Goffinet, directeur des autorisations de l’ACPR. En raison des délais courts, l’ACPR mettra en œuvre une approche proportionnée et pragmatique au moment de l’examen des dossiers d’agrément.»
Quant à la prévention des conflits d’intérêts, certaines des associations de CIF historiques comptent bien calquer ce qu’elles pratiquent déjà. «Les permanents établissent la liste nominative des membres à contrôler sans intervention des élus, apprend Stéphane Fantuz, président de CNCEF Assurance. Pour autant, les salariés indiquent aux membres du conseil d’administration la volumétrie des professionnels à contrôler.» Ainsi, les élus poseront des questions sur l’organisation de ces vérifications sans s’immiscer dans le choix des cabinets vérifiés afin d’éviter tout risque de conflit d’intérêts. Si ce processus paraît aller de soi, les avis sont plus partagés du côté de la commission de discipline, qui peut prendre des sanctions contre un courtier en cas de manquement pouvant aller jusqu’au retrait de l’agrément. Si la présidence de la commission présente toutes les garanties d’indépendance, des membres du conseil d’administration et de l’assemblée générale de l’association y siègent également, ce qui pose la question de l’accès aux données confidentielles. «La commission demande au contrevenant des éléments lui permettant d’assurer sa défense, ou bien des documents attestant de sa mise en conformité, explique Géraud Cambournac. Elle peut également demander aux opérationnels des justificatifs pour regarder la concordance avec la réalité des faits.»
En attente
Ces questionnements auraient pu être balayés par l’ACPR, mais la communication semble pour le moment insuffisante. «Les contacts que nous avons avec l’ACPR sont très réduits, hormis avec la direction des autorisations qui est très réactive», rapporte Patricia Pietriga. Pire, la notion de dialogue permanent entre les associations et l’ACPR a été effacée du décret dans sa mouture finale. «J’y voyais un moyen de pouvoir répondre aux interrogations qui persistent, regrette Pascal Labigne, vice-président d’Anacofi courtage. Seuls les salariés couverts par le secret professionnel semblent devoir être en lien avec l’ACPR, sans que l’association ne puisse l’interroger directement.» Bruno Rouleau, président de l’Apic, renchérit : «Nous avions une attente très forte et clairement exprimée vis-à-vis de l’ACPR en termes d’échanges. Or la sortie des textes définitifs a limé cette composante du projet, pourtant largement mise en avant par le Trésor.» En creux, l’inquiétude que les associations ne deviennent des extensions de l’ACPR, exerçant les missions de contrôle qui lui sont normalement dédiées. «Les réglementations concernant la banque et l’assurance ne comportent pas de telle mention mais je peux vous assurer que nous dialoguons régulièrement avec les établissements et organismes, répond Geoffroy Goffinet. En tout état de cause, il y aura bien des points réguliers d’échanges avec les associations.»
Un seuil de représentativité minimum
Les associations, pour conserver l’agrément, devront rassembler au moins 10 % du nombre total de professionnels tenus à l’obligation d’adhésion. «Le seuil doit être atteint avant les deux ans fixés, mais s’il ne l’est pas avant l’horizon 2023, cela paraît compromis car la mobilité inter-association sera certainement très faible, confie Emmanuel Legras, président fondateur de Votrasso. Les 3.300 adhérents doivent être obtenus rapidement.»
La marche est moins haute à franchir pour les associations de CIF que pour les nouveaux entrants, puisque le seuil est abaissé à 5 % pour celles qui sont déjà reconnues comme représentatives dans leur secteur. Fortes de leur assise, elles s’appuieront sur leur savoir-faire d’association intégrée. «Ce qui sera mis en avant par la CNCGP, ce seront essentiellement des services qui ont déjà fait leurs preuves auprès des conseillers financiers et des CGP. Notamment le suivi et l’accompagnement des adhérents, la proposition d’offres de formations et la délivrance d’outils réglementaires utiles à l’exercice de leur activité professionnelle ainsi que la formalisation de leur devoir de conseil», partage Julien Séraqui.
Votrasso compte se distinguer par une communication différente des associations adossées à une fédération, en ciblant les courtiers de proximité plutôt que les gros intermédiaires : quel que soit le poids du cabinet, un code Orias vaudra une voix lors des votes en AG. Pour Endya, le mystère reste entier à l’heure où nous écrivons ces lignes. «Tout va se jouer sur le positionnement tarifaire lors de la première vague d’inscription, indépendamment de l’offre de services», tranche Géraud Cambournac.
Le prix d’adhésion avant tout
Quelles que soient les nouveautés, ils sont comme lui plusieurs à penser que le montant des cotisations sera le premier argument de vente, bien avant les services fournis. «Le marché des IOBSP n’est pas habitué à payer des cotisations, puisqu’il n’y a pas de récurrence dans notre profession, remarque Bruno Rouleau. La qualité de service devra pourtant être à la hauteur des attentes.» Si les tarifs étaient trop compressés, le risque existe de dégrader la qualité de l’accompagnement et ainsi de brouiller le message initial qualitatif de la réforme. «Les associations seront challengées sur les effectifs permanents qu’elles envisagent de recruter, prévient Geoffroy Goffinet. Leurs missions ne peuvent reposer sur des personnels qui seraient mis à disposition par des courtiers membres de l’association. Les missions de vérifications qu’elles auront à accomplir nécessiteront des moyens humains à proportion du nombre d’adhérents envisagé.»
Un plan de déploiement des effectifs cibles en Equivalent temps plein (ETP) doit être présenté à l’ACPR lors de la demande. Là encore, la souplesse prime, puisque le recrutement d’effectifs pourra s’étaler dans le temps en fonction de la progression des adhésions. Un élément crucial pour les associations nouvellement sorties de terre, qui n’ont pas la même puissance de frappe que celles déjà installées dans le paysage. Le décor est posé, que la partie commence.