
Mohammed Amor, l'as des thématiques

Mohammed Amor grandit à Rosny-sous-Bois où il passe une enfance « simple et heureuse », entouré de ses quatre sœurs et de ses parents. Fils d’immigrés, il reçoit une éducation musulmane à la maison et catholique à l’école. Une double culture qui lui ouvre l’esprit et lui apprend l’art subtil du compromis. Bien qu’étant le seul garçon de la famille, il ne bénéficie d’aucun traitement de faveur et a droit comme les autres enfants de la fratrie à son jour de ménage par semaine.
Grâce à «des facilités en maths», il se tourne vers une prépa scientifique à Paris. Passionné de mécanique des fluides, de moteurs d’avions et de fusées, Mohammed Amor aspire à une carrière d’ingénieur. Sa voie semble toute tracée. Mais une soirée – et une rencontre – vont changer le cours des choses. Alors qu’il attend sa sœur qui participe à un dîner professionnel qui s’éternise, il est convié à prendre le dessert et fait la connaissance de Benjamin Verdiere, qui lui présentera Julien Marette qui travaillent alors tous deux chez Barclays Wealth Managers. Ce dernier est intrigué par le profil de ce jeune homme ultra-sociable. Les deux hommes se revoient et, impressionné par la fibre commerciale de Mohammed Amor, Julien Marette lui propose un emploi de vendeur retail pour sa nouvelle société de produits structurés, Derivatives Capital.
L'étudiant se renseigne sur le monde de la finance et décide qu’il passera les concours des écoles de commerce en parallèle à ceux des écoles d’ingénieurs. Admis dans plusieurs établissements, il choisit d’intégrer l’école de commerce de Grenoble.
La découverte des CGPI
C’est au cours de sa première année à Grenoble que Mohammed Amor rejoint Derivatives Capital. «A la fin de la première année, il y a un stage de trois mois et Derivatives Capital me recrute pour couvrir les conseillers en gestion de patrimoine indépendants. Je ne les ai plus quittés jusqu’à la fin de ma scolarité», résume-t-il.
Après deux semaines de formation, Mohammed Amor se voit remettre le fichier Apredia - un annuaire de 4.000 noms de CGPI - un téléphone et un ordinateur. Et il se jette à l’eau. «En trois mois, j’ai appelé deux fois tous les CGPI de France et j’ai rencontré une centaine de CGPI», relate-t-il. Le jeune commercial découvre un univers «incroyable» dans lequel il s’épanouit et noue des relations solides et durables. «J’ai 20 ans, je n’ai pas les codes, mais tout se passe bien», s’amuse-t-il. Et ce, d’autant qu’il est épaulé par Julien Marette, un «vrai mentor», qui va jusqu’à l’aider à acheter ses premiers costumes.
Après quelques années, Mohammed Amor part faire un MSCI en finance à Londres. Il quitte Deritatives Capital, revendu ensuite à Kepler Cheuvreux. Il passe six mois dans la City, mais la vie londonienne lui déplaît. « Je m’ennuie terriblement », avoue-t-il. Et pour cause, il n’y a pas de CGPI français à Londres… ! « Je me suis rendu compte que j’étais tombé amoureux du métier de commercial, de l’atmosphère, de la clientèle…», complète Mohammed Amor.
Pendant cette période, Mohammed Amor rentre souvent à Paris. Il rencontre Charles-François Bonnet, le fondateur de Turgot Asset Management. Ce dernier s’apprête à lancer une offre de fonds de fonds à destination des CGPI. Mohammed Amor regagne Paris et rejoint la société. Il y restera douze mois, période sur laquelle il rencontre rapidement un vif succès auprès des CGPI.
Le goût des thématiques
« C’est à ce moment-là que les sirènes suisses retentissent », se souvient Mohammed Amor. Ce dernier fait la connaissance d’Hervé Thiard. Le patron de Pictet Asset Management France cherche un commercial qui aligne entre 8 et 10 ans d’expérience sur les CGPI, pour l’aider à développer la franchise sur cette clientèle en France. Mohammed Amor n’affiche pas dix ans d’ancienneté, mais il est recruté et l’aventure Pictet commence.
Très institutionnelle, la maison suisse est peu connue des CGPI. Commence un gros travail de notoriété. Ensuite, ce qui va assurer le succès de Pictet auprès de ces clients, c’est la décision de mettre en avant ses fonds thématiques. « Mon idée était de trouver des fonds qui s’achètent plutôt que des fonds qui se vendent. J’ai donc cherché les produits qui avaient une vraie particularité et qui avaient le moins de concurrents. J’ai découvert toute la puissance de la gestion thématique », raconte Mohammed Amor. « La gestion thématique vous parle dans votre vie de tous les jours. Quand vous l’expliquez bien, vous avez besoin de huit diapositives et vous avez un client très résilient », assure-t-il. La stratégie est pertinente et le succès est au rendez-vous. Mohammed Amor et l’équipe thématique de Pictet sillonnent la France et engrangent les millions d’euros. Un succès qui resserre les liens du commercial et des gérants. Si bien qu’ils finissent par s’associer (pour certains) et prendre leur envol…
L’aventure entrepreneuriale
« Nous étions à un stade où les actifs sous gestion des principales stratégies étaient devenus trop importants, celles-ci étaient donc fermées aux nouveaux souscripteurs. Parallèlement, nous avions de nombreuses idées pour aller plus loin dans la captation de la croissance séculaire et l’identification de nouvelles thématiques », décrit Mohammed Amor. Ils décident donc de les mettre en œuvre dans une nouvelle structure, Thematics Asset Management. « La force de ce projet entrepreneurial est puissante. Nous avons tous quitté une belle maison au sein de laquelle nous avons acquis une expérience solide, et désormais nous voulions aller plus loin. Nous étions sûrs d’apporter quelque chose de nouveau sur le marché et de créer encore plus de valeur pour le client final », souligne-t-il.
S’ils tiennent à leur autonomie, Mohammed Amor et ses associés réalisent qu’il existe des barrières à l’entrée sur le marché qui seraient plus facilement franchissables avec un industriel du métier. D’où l’idée de chercher un partenaire. Même si les discussions sont très avancées avec deux groupes bancaires étrangers, Mohammed Amor reste convaincu qu’un partenariat avec un acteur français fera sens.
Un coup de pouce décisif viendra d’un certain Frédéric Bost, que Mohammed Amor décrit comme « un homme d’expérience et avec une grande bienveillance ». Il est le premier à entendre parler de son projet entrepreneurial et n’hésite pas à lui ouvrir son carnet d’adresses, et initier une rencontre avec Natixis IM. « Nous nous sommes tournés assez naturellement vers Natixis IM et son modèle multi-affiliés. Avec Jean Raby (ex CEO), nous nous sommes mis d’accord très rapidement », relate-t-il. Natixis IM alloue 175 millions d’euros de seed money ainsi que du working capital pour lancer la société. Le working capital est remboursé au bout de six mois, l’équilibre est atteint en moins de six mois et « à la fin de cette année, on aura fini de rembourser tout le seed money », se félicite Mohammed Amor.
L'ancrage familial
Interrogé sur cette success story, Mohammed Amor répond qu’il a commencé très jeune, à 20 ans. Et s’il a eu des peines personnelles, il reconnaît que pas un nuage n’est venu assombrir sa vie professionnelle. « J’ai eu une chance incroyable, celle d’avoir croisé des gens bienveillants, avec une expérience supérieure à la mienne, qui m’ont fait confiance », décrit-il. « Ce qui m’a porté par-dessus tout, ce sont les relations avec mes clients. C’est le fil rouge de ma carrière. J’ai des clients depuis mes premiers coups de fil chez Derivatives Finance. Ils me ressemblent. Nous avons grandi ensemble. Nous avons un socle de 15-20 clients qui sont des fidèles, avec lesquels nous échangeons régulièrement, nous avons construit des choses. Il n’y a pas une seule stratégie que nous lançons sans les impliquer », détaille-t-il.
Mohammed Amor ne fait pas valider uniquement ses projets auprès de ses clients. Il met aussi sa maman, « une épargnante comme les autres », à contribution. Sa mère n’est plus tout à fait une épargnante comme les autres. Cette ancienne femme de ménage, qui a appris à lire en même temps que ses enfants, a découvert la finance au même moment que son fils et s’est formée au fur et à mesure que ce dernier se faisait une place dans le monde de la gestion. « Elle est devenue très forte, elle sait ce qu’est la volatilité, le ratio de Sharpe », s’enorgueillit Mohammed Amor. Et elle n’hésite pas à lui donner régulièrement son avis.
Ce contact avec la vie réelle est sans doute ce qui offre à Mohammed Amor une bonne compréhension de l’investisseur final. C’est aussi ce qui lui permet d’être totalement décomplexé dans l’univers de la finance et de relativiser. « Quand vous partez de zéro, vous n’avez pas peur. Je n’ai pas eu de problème à aller discuter avec des figures incontournables de la finance, comme Edouard Carmignac ou Didier Le Menestrel. La première fois que je les ai vus, j’étais très détendu. Au pire, ils ne vous répondent pas. Cela ne va pas m’empêcher de dormir la nuit », lance-t-il. « Si vous me demandez quelle est la personne qui m’a le plus impressionné dans ma vie, je vous répondrais que c’est ma mère. Quel est le plus grand économiste que j’ai rencontré ? C’est mon père », ajoute-t-il.
Fidèle à ses clients, Mohammed Amor reste aussi très attaché à sa famille. « Je suis très très très famille », insiste-t-il. Il ne se passe pas une semaine sans qu’il rende visite à sa mère. « Ma mère me demande encore si j’ai mangé le midi. Si j’ai allumé le chauffage. Pourtant je suis parti à 18 ans de chez moi ! », rit-il.
Déjà joliment remplie, la carrière de Mohammed Amor est pourtant loin d’être terminée. On imagine aisément que le jeune homme saura encore surprendre et aller là on où ne l’attend pas…