
«L’indemnisation ne fait fiscalement pas partie du patrimoine»

Conseillers en gestion de patrimoine, banquiers, notaires… Les professionnels de la gestion de patrimoine sont souvent dans l’ignorance des spécificités relatives à l’accompagnement des personnes handicapées. Morgan Lifante, directeur et fondateur de Pôle Handicap, les conseille souvent. Son cabinet s’adresse aussi bien aux personnes handicapées victimes d’accident corporel qu’aux majeurs protégés. Il connaît les spécificités de ce type d’accompagnement, aussi bien dans l’ingénierie patrimoniale que dans les allocations qu’il propose. Dispositions spécifiques à l’assurance vie, précautions maritales, cumul des dispositifs d’aides avec les revenus complémentaires… Nombreux sont les points d’attention pour le professionnel qui veut déployer une gestion de patrimoine efficace et adaptée. A commencer par l’indemnisation en réparation d’un dommage corporel, bien propre par nature qui ne fait fiscalement pas partie du patrimoine.
L’Agefi Actifs : Pourquoi vous être spécialisé dans la gestion du patrimoine des personnes en situation de handicap ?
Morgan Lifante : J’ai obtenu mon Master 2 en gestion de patrimoine et été contacté par des proches ayant été victimes d’accident par le passé. Ces personnes que j’ai rencontrées par le biais de mon activité sportive m’ont demandé des conseils sur le placement de leurs indemnisations perçues en réparation d’un dommage corporel. Les conseillers qu’ils avaient alors rencontrés, avaient placé leur argent comme un gain de loterie, sans prendre en considération les aides sociales, l’accompagnement nécessaire ainsi que la possibilité d’une dépendance à l’avenir ou des frais supplémentaire engendrés par leur situation. De même, ils n’avaient pas pris en considération la particularité de l’indemnisation qui consiste en une réparation d’un préjudice corporel et qui ainsi bénéficie d’un traitement juridique particulier. Je les ai également accompagnés sur leur constitution de dossier Allocation adultes handicapées (AAH) ou Prestation de compensation du handicap (PCH), que je touche encore aujourd’hui ou que j’ai pu toucher en étant étudiant, sachant que je suis également en situation d’handicap avec un taux d’incapacité supérieur à 80 % et disposant d’auxiliaires de vie en permanence. Grâce au bouche-à-oreille, mon cabinet a été contacté par une association tutélaire qui était en difficulté pour le placement des sommes d’un majeur sous tutelle victime d’un accident de la route. C’est à ce moment qu’est née la deuxième expertise du cabinet, en accompagnant à la fois les victimes d’accident et les personnes sous un régime de protection. Par la suite, d’autres associations m’ont contacté et j’ai ainsi développé mon réseau sur l’ensemble du territoire national.
Les montants des patrimoines accompagnés peuvent considérablement varier selon la situation…
Certains de mes clients sont à l’AAH depuis leur naissance, d’autres peuvent avoir reçu plusieurs millions d’euros en réparation d’un préjudice. Mon objectif est de démocratiser l’accès à la gestion de patrimoine pour ce public sur l’ensemble du territoire. A partir de 10.000 euros de patrimoine, mon expertise peut être utile. Je ne demande pas de droits d’entrée sur les contrats d’assurance vie ou de capitalisation, ni ne facture d’honoraires. Je me rémunère sur les frais de gestion et grâce aux récurrences de commissions.
Les prestations compensatrices du handicap peuvent-elles se cumuler avec les revenus patrimoniaux ?
Pour la PCH, oui même si un plafond de revenu vient diminuer la prestation à 80 % (si les revenus dépassent 27.033,98 euros en excluant les revenus professionnels). Pour l’AAH, cela est différent, un euro généré par le patrimoine du bénéficiaire de l’aide entraine une baisse d’un euro de l’AAH. En ce sens, il convient d’analyser la situation de la personne afin de lui créer de vrais revenus complémentaires et non un revenu de substitution. Le mécanisme du rachat dans le contrat d’assurance vie et de capitalisation permet de contourner cette contrainte.
De même, l’indemnisation bénéficie-t-elle d’un régime spécifique ?
L’indemnisation en réparation d’un dommage corporel est un bien propre par nature. Elle remplace la perte du corps mais le corps ne fait pas partie du patrimoine. L’indemnisation ne fait donc pas fiscalement partie du patrimoine, elle est différente du capital lambda. Le Code général des impôts (CGI) indique d’ailleurs qu’elle est déductible de l’actif successoral, même si cette déductibilité nécessite parfois des aménagements, notamment quand ces sommes sont investies en assurance vie. Cela vaut aussi pour un bien immobilier acheté avec ce capital ou une clause de remploi. La quasi-totalité des personnes concernées sont pourtant dans l’ignorance.
L’ingénierie patrimoniale nécessite-t-elle d’être adaptée lors des moments importants de la vie ?
Le suivi reste le même que dans le cadre de l’exercice normal de la profession. En ce sens, il convient de vérifier les placements de chacun et anticiper les besoins de certains majeurs. Dans le cadre de l’indemnisation, d’autres spécificités, juridiques, fiscales, patrimoniales et matrimoniales sont à prendre en compte donc une adaptation doit se faire en plus de la gestion de patrimoine classique.
L’indemnisation perçue en réparation d’un dommage corporel est un bien propre par nature. Cependant, les intérêts générés par le placement de cette indemnisation sont communs dans le cas d’un mariage sous le régime de la communauté légale. Ainsi, s’ils sont utilisés dans le financement d’un crédit immobilier, le bien sera commun. Il convient alors d’aménager le régime légal et envisager un contrat de mariage.
L’autre point d’attention à vérifier lors d’un mariage est l’anticipation du décès de la personne en situation de handicap bénéficiant d’auxiliaires de vie, car lors d’un emploi en direct et qu’une PCH est perçue, le contrat demeure. Or les indemnités de licenciement ne sont pas couvertes par le Conseil départemental. Une cliente a dû vendre un bien immobilier pour les couvrir. Une raison supplémentaire de conseiller la séparation de biens.
Vous faisiez part d’une forme d’ignorance des professionnels face au handicap. Quelles situations sont mal comprises ?
Des professionnels m’appellent souvent pour me demander conseil. En ce qui concerne la partie successorale, l’abattement supplémentaire pour les personnes en situation de handicap de 159.325 euros est souvent oublié. Le point le plus mal compris concerne les conditions permettant de bénéficier de cet abattement ainsi que de l’option épargne handicap. Il est précisé que pour en bénéficier il est nécessaire que la personne soit atteinte d’une infirmité qui l’empêche de se livrer dans des conditions normales à une activité professionnelle. Comme les professionnels ne maîtrisent pas cette notion, ils essayent d’automatiser les choses en considérant que le taux d’incapacité à plus de 80 % ouvre droit à l’option ou à l’abattement alors que ce n’est pas ce que dit le texte. Si le taux d’invalidité se situe entre 50 et 79 % mais que la personne bénéficie de l’AAH elle reste éligible à l’option épargne handicap comme à l’abattement. La preuve est libre, et une notification MDPH donnée à un assureur en est une. Il ne peut pas refuser, seule la direction générale des impôts pourrait contredire cette interprétation mais leur position serait alors fragile.
Les professionnels sont également souvent dans l’ignorance d’avantage connexes. Aux mêmes conditions que l’option épargne handicap, les primes versées sur les contrats d’assurance vie bénéficient d’une réduction d’impôt de 25 % avec un plafond de 1.525 euros (augmenté de 300 euros par enfant à charge). Les prélèvements sociaux sont exonérés sur les fonds en euros annuellement comme au moment de la succession sur toutes les plus-values cumulées. Très souvent l’option n’est pas proposée car inconnue par les conseillers. Ils ne pensent pas avoir de contrat adapté car « non marketé Epargne Handicap » mais il s’agit ici d’une option applicable à tout contrat.
Les prestations spécifiques au handicap semblent être source de complexité pour les personnes concernées…
Dans plusieurs cas, il est vrai que la loi complexifie des situations qui sont déjà difficiles pour les bénéficiaires. Nous pouvons prendre pour exemple l’introduction de la PCH en 2006, qui a remplacé l’Allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP). Les personnes bénéficiant de l’ACTP pouvaient y rester ou passer sur le mécanisme de la PCH. Une cliente déclarait dans ses crédits d’impôt la rémunération d’une aide à domicile. La direction générale des impôts a demandé le retour des trois dernières années de crédit d’impôt en affirmant que les aides fiscales de l’Etat pour payer des auxiliaires ne pouvaient être cumulées avec la PCH. Or, cette dernière n’avait pas demandé la PCH, elle avait conservé l’ACTP, une prestation non soumise à un contrôle d’effectivité et non affecté exclusivement au financement des auxiliaires de vie. De ce fait, le financement des aides à domiciles permettait l’ouverture au droit à un crédit d’impôt. La difficulté pour la direction générale des impôts est de voir deux mécanismes se cumuler dans des situations similaires mais ayant des objectifs et des finalités différentes.
Que pensez-vous de la déconjugalisation de l’AAH, refusée plusieurs fois par le Parlement ?
La déconjugalisation trouve une justification idéologique avant d’être financière. Quand on est en situation de handicap, la participation aux charges du ménage ne peut pas être la même qu’une personne valide. Si en plus, on ne peut pas participer financièrement, on a juste l’impression d’être un fardeau pour son ou sa compagne.