« Les robo-advisors sortent renforcés de la crise »

Propos recueillis par Corentin Chappron
Le fondateur de Yomoni, Sébastien d’Ornano, souligne la pertinence des « robo-advisors », ces acteurs innovants dans la tourmente.
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La crise du coronavirus a constitué un test d’une violence inédite, qui s’accompagne d’une hausse de l’épargne des Français. Quel bilan en tirez-vous pour les « robo-advisors » ?

Exigeant émotionnellement, mais un bilan très positif : le secteur en sort renforcé à plus d’un titre. La pertinence du modèle de distributeur numérique est flagrante, puisqu’il permet d’agir et de répondre rapidement aux inquiétudes de nos clients et de faire montre de pédagogie, limitant les décisions intempestives. La disponibilité en temps réel et la transparence de notre information a aussi rassuré. Et, surtout, la crise consacre la gestion indicielle, qui a très bien tenu. Cette épreuve du feu a donc renforcé la confiance que nous accordent nos clients. Très peu d’entre eux ont cédé à la panique : seuls 3 % ont, sur la période, demandé une révision de leur profil de risque, même si nous avons enregistré des sorties plus fortes que d’habitude. Et Yomoni a bénéficié d’un intérêt nouveau, auquel l’intérêt soudain des particuliers pour la Bourse n’est sans doute pas étranger. Ainsi, par rapport à la même période l’an dernier, les collectes sont supérieures de 150 % et le nombre de nouveaux clients, de 100 %. Concernant l’impact de la hausse de l’épargne des Français, je me montrerai en revanche plus prudent, puisque ces derniers n’investiront pas nécessairement sur les marchés financiers. Et s’ils le font, il faudra continuer de les convaincre que les ETF (exchange-traded funds, NDLR) en sont le moyen plus efficace.

Ce flux de nouveaux clients vous a-t-il permis d’atteindre votre point d’équilibre, que vous estimiez à 350 millions d’euros d’encours ?

Avec 200 millions d’euros d’encours fin 2019 pour 15.000 clients, nous n’avons pas atteint notre point d’équilibre, même si nous espérons toujours le dépasser d’ici à la fin de l’année. Mais la question est, à mon sens, mal posée. Regardez chez nos voisins : le nombre d’acteurs se réduit à mesure que le secteur des robo-advisors devient plus mature, dans une logique de « winner takes all ». L’essentiel, pour nous, est donc d’atteindre une « masse critique » de clients, ce qui passe par des dépenses en croissance et en acquisition de clients qui peuvent peser sur la rentabilité – un modèle qui est celui de nombreuses fintech. D’ailleurs, concernant le niveau des frais de gestion du secteur, que certains jugent trop bas pour être viables, je rappelle que nous sommes très bien lotis par rapport à nos homologues étrangers, dont les tarifs sont parfois deux fois inférieurs aux nôtres.

Combiné à l’incertitude actuelle, cela pourrait-il remettre en cause la capacité de Yomoni à lever des fonds ?

Au rythme actuel, une levée de fonds supplémentaire sera nécessaire avant que nous n’atteignions la rentabilité. Depuis le lancement de Yomoni, nous avons levé 13 millions d’euros auprès de deux actionnaires, Crédit Mutuel Arkéa et Weber Investissements. Les fonds seraient notamment employés à l’accélération de la conquête de nouveaux clients et à la croissance de Yomoni. Mais là encore, il ne s’agit pas de rentabilité, mais de conquête client. D’ailleurs, nous maintenons notre objectif d’atteindre un milliard d’euros d’encours en 2021 même s’il est ambitieux, et de consolider notre place de leader du marché français qui tourne autour de 70 % du marché B2C. Soit dit en passant, dans une Europe de l’épargne où tout est à faire, Yomoni est et restera un acteur local jusqu’à nouvel ordre.

Yomoni est l’un des seuls « robo-advisors » français à encore s’adresser au consommateur en BtoC. Pourquoi ?

Il y a l’effet de concentration que je mentionnais, mais ce positionnement découle aussi de notre statut de société de gestion. S’il s’accompagne de contraintes réglementaires, le statut permet de sortir de l’assurance-vie et de proposer de nombreux autres produits, PEA, épargne salariale… qui constituent autant de relais de croissance. Plus de 30 % de nos encours sont aujourd’hui logés hors assurance-vie. Ce qui nous permet aussi de nouer des partenariats plus nombreux, avec des acteurs établis, comme la plate-forme dédiée à la gestion de l’épargne salariale de Generali que nous avons mise en place fin novembre 2019. Nous allons continuer de proposer de nouveaux produits puisque nous lancerons prochainement une offre de Perin dans le cadre de la loi Pacte.

Directive sur la distribution d’assurances (DDA), loi Pacte… ces changements réglementaires vont-ils vous profiter ?

Il faut distinguer l’esprit de l’application d’une loi. L’impact de la DDA sur la transparence des frais est au mieux limité, tout comme celui de la loi Pacte. La clé reste d’accompagner le marché « à la bonne vitesse », c’est-à-dire ne pas trop investir sur un marché encore en développement – et à ce titre, le marché français des ETF pour les particuliers est loin de la maturité – mais investir intelligemment pour conforter notre avance et être le premier catalyseur et partenaire d’offres futures qui finiront par éclore chez les distributeurs traditionnels, acteurs que nous aurons à cœur d’accompagner alors dans cette grande mutation. Nous réfléchissons par ailleurs à étendre notre offre de mandat ETF en introduisant notamment de l’ESG (environnement, social, gouvernance, NDLR). Mais nous voulons le faire bien et sans greenwashing, ce qui demande un peu plus de temps.