
Les conquêtes à l’international malmenées par la crise

Considéré comme la stratégie gagnante des années 2000, le développement de réseaux bancaires à l’international dans les pays émergents avait pour objectif d’offrir des relais de croissance à des banques françaises matures sur leur marché domestique. Mais la crise est passée par là et la contribution de ces acquisitions au produit net bancaire (PNB) ne semble plus aussi évidente.
Ces pays peuvent-ils encore offrir des opportunités à l’industrie bancaire française aujourd’hui fragilisée sur son propre territoire ? Leur taux de bancarisation, encore faible pour un certain nombre d’entre eux, suffira-t-il à rentabiliser les investissements dans un contexte de ralentissement économique général ? Les établissements tricolores doivent-ils consolider leur assise ou se désengager, au moins partiellement, de certains pays afin d’accélérer l’intégration dans des zones géographiques à privilégier ?
Si elles sont implantées à l’international, les banques françaises ne sont réellement ancrées que sur deux zones : L’Europe centrale et/ou de l’Est et l’Afrique, méditerranéenne et subsaharienne francophone. A l’exception de la Russie, elles sont peu ou pas présentes sur les autres grands pays émergents que sont le Brésil, l’Inde et la Chine. L’Agefi Actifs revient sur l’activité et la stratégie de ces acteurs au-delà des frontières.
Privilégier les marchés historiques.
Introduites de longue date au nord du continent africain, « les banques françaises, bien qu’il y ait un net ralentissement de la croissance des actifs depuis deux ans sous l’effet de la crise et des printemps arabes, montrent une volonté de rester dans la course »,précise Yoann Lhonneur, directeur associé de Velhon Partners. C’est au Maroc, par ailleurs le marché le plus large des quatre zones de l’Afrique méditerranéenne couvertes par le cabinet de conseil (Egypte, Tunisie, Maroc et Algérie), que les banques françaises, avec 25 % des agences du pays (soit près de 1.000), sont les plus installées sur le continent africain.
Moins établis en Afrique subsaharienne, les groupes français ont limité leurs investissements aux pays francophones et ne disposent pas d’une présence notable sur les marchés de grande taille tels que le Nigeria et l’Afrique du Sud ou sur les zones anglophones les plus dynamiques que sont le Kenya ou le Ghana. Comparé à leurs parts de marché sur leurs implantations historiques au Nord, les banques françaises n’affichent un dynamisme que très modéré sur cette partie du continent.
Quelques restructurations en Europe de l’Est.
Les banques françaises ont acquis des parts de marchés significatives en Europe de l’Est ces dix dernières années. Si « la dégradation des performances financières des réseaux d’Europe de l’Est est stoppée », la région ne montre toutefois aucune« velléité de rebond ». « Cette zone semble avoir durablement perdu le dynamisme bancaire propres aux zones émergentes »,constatent les associés de Velhon Partners dans leur étude annuelle sur l’expansion des réseaux bancaires dans les pays émergents.
Au-delà de la gestion de la crise, les banques françaises ont entamé des restructurations sur leurs principaux marchés dans ce secteur géographique tout en poursuivant une stratégie de croissance localisée de leurs réseaux sur des marchés ciblés tels que la Croatie, la Macédoine ou la Serbie.
L’illusion des synergies.
Face à la hausse des créances douteuses dans les pays émergents, les banques doivent maintenant démontrer leur capacité à rentabiliser leurs acquisitions. « Une fois remportées des parts de marché, c’est la faculté des établissements à mettre en place une véritable stratégie d’intégration, préalable aux synergies annoncées qui permettront de juger du bien-fondé des investissements », expliqueJoseph Florentin, associé du cabinet Eurogroup Consulting.En somme, leur aptitude à exporter un modèle et à mobiliser des équipes autour d’un projet collectif.
Si la marque est souvent la première initiative à s’imposer, le déploiement de politiques commerciales ou de systèmes d’information communs à grande échelle est un défi qui, selon le professionnel, reste à relever. D’après lui, la rentabilité des banques locales ne permet pas de justifier de tels investissements. « Les banques françaises ont acheté trop cher des parts de marché dans un secteur économique qu’elles pensaient en expansion. Elles ont payé des profits futurs qui ne sont jamais arrivés », explique-t-il.
Des montants qui pouvaient atteindre 8 à 10 millions d’euros par agence, selon Nicolas Lioliakis, managing directorchez Alix Partners, parce que, sur ces zones, le retour sur investissement d’une agence devait être, en principe, bien plus rapide qu’en France - deux ans contre quatre à cinq ans dans l’Hexagone.
Remise en question de certaines acquisitions.
D’après Vehlon Partners, les trois principaux groupes français prévoient de réduire de près de 15 % leurs implantations à l’international. Les dossiers grecs sont évidemment ceux qui ont fait le plus parler d’eux, mais des filiales en Egypte sont également en vente.
Pour l’heure, Crédit Agricole abandonnera Emporiki à Alpha Bank à la fin de l’année et Société Générale vient de signer un accord définitif avec Piraeus Bank concernant la cession de sa filiale Geniki Bank.
En effet, la présence d’une banque française en dehors de l’Hexagone pose la question du bien-fondé d’allouer des fonds propres à la Pologne, la Grèce ou encore au Maroc au moment même où il lui est demandé d’être une entreprise citoyenne - c'est-à-dire de financer les entreprises et collectivités françaises. « Pour qu’une acquisition ne soit pas remise en question, il convient de remplir un certain nombre de conditions, notamment celle, pour une filiale, d’être autonome d’un point de vue emplois-ressources. Toute banque qui n’est pas capable de couvrir ses crédits avec ses dépôts pose un problème à la maison mère », explique Nicolas Lioliakis.
En clair, si la filiale d’une banque qui octroie des crédits n’est pas en mesure de récupérer une partie des dépôts que ces crédits génèrent pour équilibrer sa structure, elle doit alors avoir les moyens de se refinancer sur le marché interbancaire de son pays et ce, à des taux raisonnables. Le cas échéant, elle accentue les besoins en ressources de sa maison mère. En intervenant, celle-ci se trouve contrainte d’augmenter ses propres dépôts (ou de limiter ses propres crédits) pour respecter les ratios réglementaires au niveau du groupe.
« Certains pays consomment de la banque de manière très déséquilibrée, poursuit Nicolas Lioliakis.C’est le cas notamment des pays d’Europe de l’Est qui, passés pour un grand nombre d’entre eux par des faillites du secteur,ont beaucoup de mal à déposer leur argent dans les établissements bancaires. »Les banques françaises qui ont acheté des acteurs spécialistes du crédit se trouvent confrontées à un double problème : elles ont acquis des structures déséquilibrées qui, en plus, ne sont pas identifiées comme des banques de dépôts.
Quelle croissance pour demain ?
Dans le contexte actuel, peu de solutions semblent se dégager. Soit les banques françaises restent positionnées à l’international, quitte à se recentrer sur certaines zones pour gagner en représentativité, et dans cette optique, il convient d’accroître leur présence afin d’atteindre une taille critique et devenir un acteur de poids dans le pays considéré, soit elles rebroussent chemin. Dans ce dernier cas, quels pourraient être les relais de croissance des banques de détail ? Davantage d’innovation peut-être, mais la période ne s’y prête que partiellement, la priorité actuelle étant de trouver des dépôts et de limiter les crédits.