
Les banques privées à l’épreuve de la transparence

Cinq ans après leur adoption respective par les autorités européennes, les deux grands textes régulant la distribution des produits financiers sont désormais en vigueur. Avec eux, l’obligation faite aux distributeurs de communiquer sur les frais supportés par le client, mesure destinée à garantir la protection de l’investisseur.
Une transparence à géométrie variable
Pour les produits financiers, ce sont l’article 24 de la Directive 2014/65/UE du Parlement européen et du conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers, dite MIF 2, et l’article 50 du Règlement délégué (UE) 2017/565 de la Commission du 25 avril 2016 qui fixent les contours de l’obligation de divulgation. Les prestataires de services d’investissement doivent informer les investisseurs, en temps utiles, sur les coûts liés aux services rendus et aux produits commercialisés ou recommandés. Les coûts doivent être présentés de manière agrégée en pourcentage et en valeur absolue. Une estimation des coûts attendus doit être fournie au client en amont de la transaction ou de la fourniture du service (ex-ante), cette estimation devant être complétée par une information, au moins annuelle, sur les coûts réellement supportés par le client (ex-post).
Du côté des assurances et contrat de capitalisation, le règlement Priip’s (Règlement (UE) 1289/2014 du Parlement européen et du Conseil du 26/11/2014 sur les documents d'informations clés relatifs aux produits d'investissement packagés de détail et fondés sur l’assurance avait déjà imposé la rédaction du document d’informations clés. Puis la Directive dite DDA (n° 2016/97 du Parlement européen et du Conseil du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances) a imposé que le montant de commissionnement des intermédiaires soit précisé sur les documents à destination des clients.
Dernier ajout par la loi Pacte
Dernière évolution en date, la loi Pacte a ajouté une obligation à la charge des assureurs. Adoptée le 22 mai dernier, loi n° 2019-486 relative à la croissance et la transformation des entreprises a en effet complété l’article L. 132-22 du Code des assurances : « L'entreprise d'assurance ou de capitalisation communique également chaque année au contractant (…) les frais prélevés par l'entreprise d'assurance au titre de chaque unité de compte, les frais supportés par l'actif en représentation de l'engagement en unités de compte au cours du dernier exercice connu et, le cas échéant, les rétrocessions de commission perçues au titre de la gestion financière des actifs représentatifs des engagements exprimés en unités de compte par l'entreprise d'assurance, par ses gestionnaires délégués, y compris sous la forme d'un organisme de placement collectif, ou par le dépositaire des actifs du contrat ». L’information sera disponible sur le site de la compagnie dans un délai de 90 jours suivant le 31 décembre de l’année de revalorisation, et devra être disponible pendant une durée minimale de 5 ans.
Objectif partiellement atteint
« Si les réformes MIF 2, Priip’s et DDA visent toutes à assurer une meilleure transparence et comparabilité des produits, ce grand projet du régulateur européen se solde par un échec relatif, regrette Jean de Collongue, associé, chez Sagalink Consulting. Les textes ne sont pas harmonisés sur des éléments clés et ces divergences ne permettent pas à l’investisseur d’établir une comparaison parfaite des frais de son investissement dans un fonds en direct ou via une assurance-vie. » De plus, les textes laissent également place à de nombreuses question d’interprétation. « Par exemple, les droits de garde : faut-il présenter les droits facturés en 2019 au titre de 2018 ou prélevés en 2019 sur l’encours moyen de 2019 ? Devant une telle disparité dans les interprétations et restitutions, on peut légitimement attendre du régulateur que dans un prochain temps, il aligne ses textes et donne des consignes de présentation formelle », estime Jean de Collongue. A cette fin, l’ESMA, l'autorité européenne des valeurs mobilières (European Securities and Markets Authority), invite toutes les parties à communiquer leurs expériences dans une large consultation ouverte jusqu’au 06 septembre.
Un casse-tête technique
Le sujet coût et charges de Mif 2 est l’un de ceux qui a coûté le plus cher, en raison des très lourds développements en IT que les banques ont dû engager. En effet, la transparence est avant tout une question de traitement de datas. Il a donc fallu aux producteurs de produits financiers (société de gestion notamment) et aux fournisseurs de services d’investissement s’accorder sur le traitement des frais des sous-jacents. « Finalement, à l’issue d’un important travail des assets manager du Club Ampere et de l’EWG (European Working Group), un format de place a été conçu : le fichier EMT (European Mifid Template). Ce document standardise l’échange des frais au niveau européen entre producteurs et distributeurs. » souligne Jean de Collongue. En pratique, les sociétés de gestion ont diffusé les données sur les frais 2018 vers mars 2019 laissant très peu de temps aux distributeurs pour récupérer ces données, les retraiter et travailler à leur propre diffusion.
Le business model en question
Révéler les frais, les expliquer et les justifier conduit les banques privées à s’interroger sur leur modèle économique dont le coût de leur service. Car la clientèle sera bientôt en mesure de comparer les services, notamment avec les Fintechs pour qui la facturation n’a rien de confidentiel (lire ci-contre). « Aujourd’hui, les comités de pilotage sont tout autant attentifs aux frais qu’aux performances, constate Guillaume Dolidon, avocat. Il n’est en effet plus possible de ne raisonner qu’en termes de performance nette car les frais de performances comptent pour une grande partie du coût total des charges. Cela implique de revoir les modes de gestion et de réduire les arbitrages des portefeuilles pour limiter les frais de transactions ». Dans ce contexte, les banques doivent offrir de nouveaux services et mettre en valeur leurs spécificités (lire ci-contre). D’autant qu’il leur faut absorber les investissements IT indispensables à leur conformité. « Le paysage pourrait évoluer, au bénéfice des établissements les plus gros, en termes de volume. La concentration semble inéluctable », estime Guillaume Dolidon.
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« Accompagner le client dans sa lecture du reporting »
Olfa Maalej, Directrice des Produits, Solutions et Conseil de la Banque Neuflize OBC
Comment Neuflize OBC s’est-elle préparée à son obligation de reporting ?
- Depuis l’entrée en vigueur de Mifid 2 en janvier 2018, nous savions que le premier reporting de coûts et charges devait être envoyé aux clients début 2019. Les équipes de conformité en coordination avec le business (Équipes commerciales et équipes Produits et Solutions) et les équipes opérationnelles ont travaillé sur le fond et la forme de ce reporting. Tout l’enjeu consistait à être conforme - faire apparaître les différentes « couches » de frais, les coûts directs et indirects dans le format imparti - tout en étant compréhensible par le client. Après plusieurs discussions, la version définitive a été validée. Ensuite, toutes les équipes commerciales et les équipes de support ont suivi des formations pour comprendre tous les détails du rapport et être en mesure de les expliquer. Les banquiers ont commencé à en parler en amont à leurs clients.
Comment s'est déroulée cette échéance ?
- Nous avons envoyé les reportings à nos clients à la fin du mois d’avril. Cette échéance s’est bien passée. Certains clients ont réagi et ont demandé des explications de certaines composantes du rapport. En effet, comme la transparence porte sur toute la chaine du service, le client peut avoir l’impression que les frais lui sont facturés plusieurs fois. Il était donc indispensable d’armer nos banquiers pour éviter ce type d’erreurs d’interprétation. En cas de besoin, les équipes de support interviennent pour fournir plus de détails. Dans l’ensemble, le reporting n’a pas généré d’insatisfaction ou d’incompréhension. Pour le futur, nous pouvons nous attendre à ce que les clients privilégient les produits les moins chargés, la transparence ayant notamment pour objet de rendre possible la comparaison entre les produits et entre les acteurs du marché.
Face à l’inflation règlementaire, comment rester compétitif ?
- Les nombreux changements réglementaires génèrent des coûts supplémentaires pour les banques privées comme pour les autres acteurs. Nous avons dû développer de nouveaux outils et digitaliser dans la mesure du possible pour faire face aux nouvelles contraintes. Les clients ont été sensibilisés à ces contraintes. Même s’ils comprennent que les textes ont pour objectif de les protéger, ils sont souvent surpris par cette inflation règlementaire. Pour rester compétitif, nous misons beaucoup sur la digitalisation et sur l’optimisation des moyens au niveau de tout le groupe ABN AMRO. En effet, développer des solutions communes et adaptées à nos contraintes locales, nous permettent d’obtenir des économies d’échelle et avoir des solutions robustes.
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« Mettre en avant la dimension conseil »
Annabelle Rocat, en charge du Wealth management en France, au sein du cabinet de consulting Alpha FMC.
- Comment ont réagi les clients des banques privées ?
A ce stade, on ne constate pas de sentiment de mécontentement majeur. D’autant plus, pour les établissements dont les reporting ont bien été envoyés avant l’été, la période a correspondu à un rebond des marchés, sans doute cela a-t-il favorisé l’acceptation, par les clients, que les frais rognent sur les performances. A ce titre, certaines Fintechs ont indiscutablement tiré leur épingle du jeu concernant la performance de leurs fonds euros et des mandats de gestion car les frais sont moins chers.
- Comment les banques s’y sont-elles préparées ?
Outre le temps à consacrer aux nécessaires développements informatiques et de solutions digitales, imposés notamment par le reporting des frais, une partie d’entre elles ont anticipé cette échéance pour former leurs équipes. Pour les banquiers, l’enjeu consiste à avoir un discours approuvé, un argumentaire commercial approprié et pédagogique sur la valeur ajoutée de l’établissement. Pour justement répondre à la concurrence et aux Fintechs, la dimension conseil et sur-mesure de l’expertise sont mises en avant auprès de la clientèle.
- Vous attendez-vous à des négociations des conditions tarifaires ?
Oui, malgré ces efforts, les clients vont probablement négocier des conditions tarifaires au fil de l’eau. Aujourd’hui, en moyenne, 30% des clients bénéficient déjà de dérogation tarifaire, ce qui a d’ailleurs rendu la gestion des outils informatiques assez complexe et a pu expliquer le retard de certains établissements dans l’envoi de leur reporting de coûts et charges. Dans certaines banques, une ligne de frais peut donner lieu à 130 occurrences différentes, en fonction des dérogations paramétrées. On peut légitimement s’attendre à ce que certains établissements proposent des dérogations tarifaires très fortes pour conquérir de nouveaux clients. Jusqu’à aujourd’hui, être agressif sur la tarification est un positionnement peu partagé. En revanche, avec l’évolution des usages digitaux et des attentes des clients fortunés en matière de conseil en investissement, les banques privées ont adapté leurs services avec une tarification différenciante en fonction de l’autonomie des clients et du temps consacré par l’expert. Surtout, les banques développent de nouveaux services autour du concept du care, pour aller chercher de nouveaux relais de croissance.
- Quels sont ces nouveaux services « care » ?
L’idée est d’optimiser la gestion de la connaissance clients pour offrir des produits et des services adaptés et sur mesure... La banque privée développe des solutions digitales sur un modèle « gagnant/gagnant ». Pour les banques, le digital permet de mieux cerner les projets et centres d’intérêts de ses clients et de les conseiller justement ; tandis qu’il offre aux clients d’être en contact avec la banque à leur rythme et de gérer leurs opérations en toute autonomie en fonction des conseils prodigués. Cela va de la capacité à présenter l’ensemble des avoirs détenus (actif et passif), des performances et des opérations effectuées sur l’ensemble des supports détenus (contrat d’assurance-vie, PEA, SCPI, private equity…), au passage d’ordre de façon autonome sur un périmètre large d’instruments financiers (pas uniquement limité au CAC 40 ou SBF 120), à la visio-conférence tripartite (client, banquier, experts de la banque), souscription en ligne de contrats, simulations patrimoniales...
- Ces services ne justifient-ils pas l’automatisation des proccess ?
Pour la banque, la connaissance des données clients et leur bonne gestion lui permettent de mieux s’adresser à sa clientèle et de lui proposer des produits en adéquation avec son profil – comme l’exigent les textes. Mais il est évident qu’ils permettent aussi d’automatiser certains process et de les déployer auprès d’une cible de clients patrimoniaux, qui sont souvent en gestion libre donc ne bénéficient pas de conseils financiers par des experts. C’est une clientèle davantage chronophage, souvent multi-bancarisée, que certaines banques privées s’attachent à développer. Ainsi à Singapour et à Hong Kong, UBS et Crédit Suisse ont mis en place des robots capables d’envoyer des propositions d’investissement à leurs clients en fonction de leur profil. En France, SG Private Banking a allié l'expertise du conseil en investissement et digital avec Synoé. BNP Paribas Wealth Management a développé la gestion sous mandat, l’expertise ISR via une application mobile dédiée. Aujourd’hui, la banque privée en France doit se concentrer sur la rentabilité de ses expertises métiers inégalées (via la gestion sous mandat, le conseil en investissements, l’ingénierie patrimoniale ou encore les crédits atypiques) et s’attacher à toujours proposer du sur-mesure à ses clients.