
Le modèle des CGP en concurrence

Les conseillers en gestion de patrimoine (CGP) ont-ils appréhendé le potentiel dont comptent profiter certains agents généraux ? Sur la base d’un portefeuille clients déjà constitué (lire l’encadré), il est vrai que ces derniers disposent d’un net avantage par rapport à un CGP en démarrage d’activité. C’est d’ailleurs le choix effectué par Nathalie Keskin et Mathias Euzen, agents généraux respectivement chez Allianz et Generali. Particularité de ces profils, leur avenir professionnel en qualité de CGP semblait tracé, de par ses études pour l’une, son expérience professionnelle pour l’autre.
L’Agefi Actifs.- Pourquoi préférer le statut d’agent général d’assurance à celui de CGP ?
Nathalie Keskin. - Clairement, en reprenant une agence, le fait de pouvoir s’appuyer sur un portefeuille qualifié de clients représente un avantage considérable. Pour ma part, je suis diplômée notaire. J’ai travaillé au sein du réseau salarié Allianz en tant que CGP, puis j’ai évolué en qualité d’expert patrimoine et, enfin, d’inspecteur spécialiste patrimoine. A la base, je n’avais pas forcément d’appétence commerciale mais c’est un savoir-faire que j’ai développé progressivement en tant que CGP. Aujourd’hui, je viens d’achever une formation d’un peu plus de quatre mois et j’ai débuté dans le métier d’agent général le 1er avril 2018. Mes agences se trouvent à Nîmes et à La Calmette, qui est situé à une vingtaine de kilomètres. D’autres éléments ont joué : il me paraissait délicat de me lancer sans l’accompagnement d’un grand groupe, dans un métier largement impacté par les enjeux réglementaires. Par ailleurs, je dispose d’un soutien commercial de la compagnie, qui propose un accompagnement plus poussé les deux premières années suivant la nomination. Autre élément à prendre en considération : dans l’hypothèse d’un travail en collaboration avec un professionnel tel qu’un expert-comptable ou un notaire, l’agent général peut faire valoir un portefeuille clients existant et commun à ses partenaires.
Les agents généraux ne sont pas forcément connus pour être particulièrement présents sur le marché de l’assurance vie. Comment envisagez-vous le développement de votre portefeuille clients sur ce segment ?
Nathalie Keskin. - Je n’aurai aucune difficulté à aborder dans le cadre de mon devoir de conseil les sujets touchant à la gestion et à la transmission du patrimoine de mes clients et prospects. De par mon expérience puisque j’ai formé les agents généraux de mon secteur sur ces sujets. Les clients sont de plus en plus déçus des performances des fonds euros, et il y a une conscience collective quant au fait que la performance passera par la diversification avec plus ou moins de risque pris. Il faut surtout rappeler que nous sommes tenus par le certificat de prescription utilisé dans la relation client, dont les principaux objectifs sont de mesurer l’appétence au risque et la connaissance des marchés financiers du client, et l’adéquation de notre proposition d’investissement à son objectif patrimonial. Enfin, il faut rappeler que les agents généraux Allianz disposent d’une certification IOBSP.
Mathias Euzen. - Pour ma part, j’ai exercé par le passé des fonctions de direction au sein de l’association d’assurés Agipi et j’interviens dans le domaine de l’assurance de personnes et dans la finance depuis vingt-deux ans. Depuis le 1er janvier 2016, j’ai repris deux agences Generali, à Montreuil et à Champs-sur-Marne. En ce qui concerne plus particulièrement la distribution d’UC par les agents généraux, je considère qu’il ne s’agit pas d’un frein mais plutôt d’une voie d’accès à une large gamme de supports financiers. Selon les compagnies, la construction d’une offre en architecture ouverte est déjà bien présente.
Comment comptez-vous relancer les offres commerciales auprès de vos clientèles ?
Nathalie Keskin. - En vie, mon projet de développement se fonde d’abord sur le portefeuille existant : revue des clauses bénéficiaires, optimisation des reversements en fonction des âges des clients et des dates de souscription. Des bilans patrimoniaux seront proposés de façon à dresser un état des lieux précis de la situation des clients, pour les orienter vers des solutions juridiques et financières. J’envisage aussi d’organiser des conférences co-animées avec des partenaires sur des thèmes patrimoniaux bien ciblés. Avec Allianz, nous avons également des partenariats commerciaux afin de proposer aux clients des investissements immobiliers de type monument historique, Malraux, LMNP... Un expert intervient à nos côtés en rendez-vous clientèle pour finaliser les investissements immobiliers. En fonction du profil du client, la banque privée ainsi que les équipes d’Allianz Patrimoine nous accompagnent pour apporter des solutions haut de gamme.
Mathias Euzen.- Il s’agit de relancer les affaires nouvelles en assurance vie en adoptant une stratégie personnalisée basée sur l’écoute des besoins du client. Nous ne proposons pas toutes les offres défiscalisantes du marché, telles que l’immobilier locatif par exemple. Ces produits sont absents de l’offre Generali, et, à ce titre, nous ne sommes pas autorisés à demander la carte T en tant qu’agents généraux.
« Reprise de portefeuilles, des montants qui demeurent confidentiels »
Le candidat à la reprise d’une agence est dans la situation d’un entrepreneur reprenant ou créant une PME. Il doit investir en rachetant un « droit de créance », c’est-à-dire un droit à commissions sur les contrats en portefeuille ainsi que les moyens d’exploitation de l’agence. L’entreprise d’assurances reste propriétaire de la clientèle. La valeur du droit de créance dépend de l’agence et son mode de calcul est variable selon les réseaux et dépend du chiffre d’affaires de l’agence. La transaction se fait soit directement auprès de l’entreprise d’assurances, soit de gré à gré avec l’agent général en place.
Dans le détail, le coût d’acquisition d’un portefeuille est fonction du montant des commissions de l’année n-1 et de coefficients distincts selon les branches et/ou les produits.
A ce chiffre de base s’ajoutent des malus et des bonus relatifs à la qualité du portefeuille (clients, contrats, branches, taux de contribution…). Au 31 décembre 2016, le taux de commissionnement moyen pour une agence est de 306.000 euros. Sur la base d’un coefficient moyen de 1,4, le coût d’acquisition ressort entre 400.000 et 450.000 euros.
Source : Agea
L’entretien avec Grégoire Dupont, directeur général, Agea
« Le statut de CIF ne s’applique pas aux agents généraux »
Parmi les effectifs d’agents généraux, combien sont spécialisés dans la distribution de produits d’épargne ?
Sur les 12.000 agents généraux en activité, ils sont un peu moins de 2.000 à exercer au sein d’un réseau dédié à l’assurance vie et la prévoyance. Par ailleurs, il convient de prendre en compte le fait que bon nombre d’agents généraux des réseaux de dommages ont également une activité vie importante. Enfin, précisons que, selon la Fédération française de l’assurance [FFA], les agents généraux représentent 6 % des parts de marchés en assurance vie.
Ces acteurs pourront-ils intervenir de manière plus spécifique sur la gestion de patrimoine de leur clientèle ? Et si oui, comment ?
Les agents généraux sont naturellement positionnés sur une clientèle d’exigence pour les risques des particuliers et sur la protection des chefs d’entreprise. Dans une logique de multi-spécialité, ils ont donc une carte à jouer importante avec une approche globale de leurs clients, tant en protection de leurs biens personnels et/ou professionnels, de leur personne et/ou de leur famille, que d’anticipation en matière de prévoyance-santé et d’assurance vie.
Dans quelle mesure un agent général peut-il proposer, dans le cadre de son activité, des produits financiers ou de type immobilier défiscalisant, autres que des contrats d’assurance vie ?
Comme tout intermédiaire en assurances, l’agent général ne peut juridiquement proposer que des contrats d’assurance. S’il souhaite commercialiser d’autres produits, il doit respecter les réglementations spécifiques et obtenir l’accord de sa compagnie d’assurances. En pratique, il convient de noter que certains réseaux d’agents généraux commercialisent des produits financiers sous couvert du statut d’agent lié de prestataire de service d’investissement [PSI]. Ce qui représente, d’après l’Orias, 23 % des effectifs, soit 2.700 agents. Ce statut d’agent lié de PSI est, concrètement, une extension de la logique d’exclusivité assurantielle à l’activité de commercialisation d’instruments financiers.
Verra-t-on demain le statut de CIF s’appliquer aux agents généraux ?
Non, le statut de CIF ne s’applique pas et ne s’appliquera pas à l’activité de commercialisation de contrats d’assurance vie via des agents généraux. Nous observerons peut-être un accroissement du nombre d’agents généraux optant, dans le cadre d’une politique de réseau, pour le statut d’agent lié de PSI.
Une fois la directive sur la distribution d’assurance [DDA] transposée, serait-il envisageable que le devoir de conseil à la charge d’un agent général qui distribue des contrats d’assurance vie en unités de compte soit distinct de celui qui incombe à un CGP/CIF ? Pour quelles raisons ?
A ce jour, même avec la mise en application de la DDA, l’activité de commercialisation de contrats d’assurance vie demeure régie par le Code des assurances. Dès lors, les obligations en matière de devoir d’information et de conseil ainsi que la future option de service de conseil recommandé sont et seront issues du Code des assurances et de la soft law des régulateurs européens [EIOPA] et français [ACPR]. Cependant, il est vrai que certains principes de la réglementation MIF tendent à être déployés dans le champ assurantiel. Il s’agit du concept de « mifidisation » du droit de l’assurance. On observe donc un mouvement de convergence des obligations applicables mais nullement une application automatique des règles MIF.