
Le coronavirus détruit des millions d’emplois

Le chiffre donne le tournis. En quatre semaines, 22 millions d’Américains ont grossi les rangs du chômage, soit quasiment l’équivalent de la population active française. Au niveau mondial, l’Organisation internationale du travail (OIT) estime à 195 millions les pertes d’emplois au deuxième trimestre consécutives à la crise du coronavirus. Sur les 3,3 milliards de personnes de la population active mondiale, quatre sur cinq sont aujourd’hui affectées par la fermeture totale ou partielle des lieux de travail.
Selon l’OIT, 1,25 milliard de travailleurs sont employés dans les secteurs identifiés comme courant un risque élevé de hausse «drastique et dévastatrice» de licenciements et de réduction des salaires. Dans ses nouvelles perspectives économiques mondiales, le Fonds monétaire international (FMI) anticipe un quasi-triplement du taux de chômage aux Etats-Unis cette année à 10,4% et une augmentation de plus d’un tiers en zone euro à 10,4%. La différence de rythme s’explique par un point de départ plus bas aux Etats-Unis (3,7%) mais aussi par le recours au chômage partiel en Europe (qui exclut les personnes dans cette situation des statistiques du chômage puisqu’elles restent salariées de leur entreprise).
En France, 8,7 millions de salariés (dans 732.000 entreprises) étaient concernés par ce dispositif au 14 avril, selon la Dares, soit plus d’un tiers de la population active. Une proportion que l’on retrouve dans d’autres pays en Europe et qui est cohérente avec la chute de 35% de l’activité. En Allemagne, 725.000 entreprises ont demandé à bénéficier des mesures de chômage partiel. «Les mesures de soutien aux entreprises et de chômage partiel sont très importantes pour permettre à l’économie de redémarrer une fois le déconfinement engagé et de maintenir le pouvoir d’achat», souligne Alain Durré, économiste chez Goldman Sachs. Sans ce recours large au temps partiel, les dégâts sur le chômage seraient d’une autre ampleur. «Après la crise de 2008-09, le taux de chômage avait augmenté de 1,6 point en France mais seulement de 0,2 point en Allemagne où l’accès au chômage partiel avait été facilité», rappelle l’économiste. Ces dispositifs permettent de casser le lien entre contraction du PIB et hausse du chômage. «En transposant les effets de la crise de 2009 à la récession actuelle, il faudrait compter sur une contraction d’environ 5 à 6 points de l’emploi, indique Julien Manceaux, économiste principal d’ING pour la France. Cela ferait un peu plus de 1,5 million de chômeurs supplémentaires en France et un taux de chômage à 12,5%, or nous tablons sur 9,5-10%, soit la perte d’un emploi pour 50 travailleurs».
Fossé entre le Nord et le Sud de l’Europe
Mais il n’en va pas ainsi dans tous les pays européens. L’Espagne a ainsi perdu 900.000 emplois en l’espace de deux semaines de confinement à fin mars (pour 620.000 personnes au chômage partiel début avril, 3 millions le 15 avril). Du jamais vu. «Les mécanismes de sauvegarde semblent moins efficaces du fait de la structure du marché du travail plus vulnérable aux chocs économiques», affirme Julien Manceaux. «La réforme du marché du travail a modifié le profil de l’emploi en Espagne avec une proportion importante de travail temporaire et d’indépendants, ce qui explique la forte hausse du chômage», complète Alain Durré. Si l’on ajoute le travail au noir, cela représenterait 60% de la population active espagnole. Le FMI anticipe un bond à près de 21% du chômage (+7 points).
Une situation qui creuse le fossé entre le Nord et le Sud de l’Europe, d’autant que ces économies sont plus centrées sur les services (qui sont au cœur de la crise actuelle et qui sont à forte intensité d’emploi), notamment le tourisme, et qu’elles manquent de marges budgétaires, ce qui explique leur prudence sur ce point, par rapport à d’autres pays (France ou Allemagne).
«Les chiffres américains impressionnent, note Florence Pisani, directeur de la recherche économique de Candriam. Toutefois il faut distinguer entre chômage temporaire et permanent.» Les dernières statistiques disponibles sur le chômage publiées, début avril, pour le mois de mars, ne prenant encore en compte que partiellement l’arrêt de l’activité, montrent que pour l’instant l’essentiel de ceux qui ont perdu leur emploi sont en chômage temporaire. «Contrairement au chômage partiel en Europe, ils ne sont plus employés par leur entreprise, mais cette dernière s’engage à les réembaucher si possible, en général aux mêmes conditions. Souvent, cela leur permet aussi de conserver leur assurance santé», explique cette dernière.
Par ailleurs, pour inciter les entreprises à conserver leurs salariés, le plan de soutien de plus de 2.000 milliards de dollars comporte un programme de 340 milliards de dollars de prêts aux petites entreprises qui seront transformés en dons si elles conservent au moins les trois quarts de leur main d’œuvre sur les huit prochaines semaines. Les plus petites entreprises (celles de moins de 20 salariés) n’ont toutefois pas eu accès à ce programme qui a rapidement été vidé par les demandes d’entreprises d’un peu plus grande taille, plus familières de ce type d'aide et mieux outillées pour y accéder. Or beaucoup de ces petites entreprises sont dans les secteurs les plus touchés par le confinement comme la restauration, l’hôtellerie ou la construction et qui emploient une part importante de la main d’œuvre : si le montant de ce programme n’est pas rapidement accru et si les fonds n’arrivent pas rapidement aux plus petites entreprises, «le chômage risque de monter en flèche aux Etats-Unis, à un niveau proche de 20%» estime Florence Pisani.
Toutefois, si en Europe, le recours au chômage partiel permet d’amortir le choc sur l’emploi, le taux de chômage va également progresser. Les prévisions des économistes et du FMI en attestent. «Les dispositifs mis en place par les gouvernements allègent les entreprises des charges salariales mais il y a tous les autres frais à financer alors qu’il y a peu ou pas de chiffre d’affaires. Il risque d’y avoir des défaillances», souligne Alain Durré. Et donc des pertes d’emplois. Ensuite tout va dépendre de la durée du confinement et du rythme de la reprise. Goldman Sachs anticipe un point bas d’activité en avril et une reprise au second semestre sans retrouver le niveau de PIB antérieur au Covid-19 avant le début de 2022. Mais les risques sont orientés à la baisse avec la crainte d’un confinement et/ou d’un retour à un comportement économique normal plus longs. Avec au final, plus de faillites et un chômage plus élevé.