«La régulation de nos activités plurielles ne doit pas restreindre le choix de l’épargnant»

Benoist Lombard, président de la Chambre nationale des conseils en gestion de patrimoine (CNCGP), revient sur l'actualité de la profession de conseiller en gestion de patrimoine avec à la clé, de précieux plans de route…
Ses propos ont été recueillis avant la décision de la commission économique de rejeter la norme technique Priip/DCI. Nous les avons maintenus dans la mesure où ils pointent l’une des préoccupations majeures des associations d’obtenir gain de cause à Bruxelles.

A propos de…. réglementation

L'Agefi Actifs. - Le débat lancé à l’occasion de l’adoption de la directive MIF II sur la rémunération des conseillers et leur indépendance n’a-t-il pas marqué un coup d’arrêt pour le modèle des conseillers en gestion de patrimoine (CGP) ? Quel regard portez-vous sur la prochaine mise en œuvre de la directive IDD ?

Benoist Lombard. - La directive MIF II (marchés d’instruments financiers) a été adoptée le 12 juin 2014 et la directive DDA (directive sur la distribution d’assurance) a fait l’objet d’un accord politique entre les institutions européennes le 30 juin 2015. Elles se substituent aux directives MIF I et DIA I.

La directive MIF II et la DDA entreront en vigueur toutes deux en janvier 2018 alors qu’initialement, MIF II devait s’appliquer en janvier 2017.

Ces textes font partie du paquet législatif initié par la Commission européenne à la suite de la crise financière de 2008 et ont pour but d’améliorer l’information et la transparence sur la gestion des produits financiers, de renforcer la protection des consommateurs et de réglementer la gestion des conflits d’intérêts.

Les thèmes traités dans les deux textes sont souvent identiques : gestion des conflits d’intérêts, gouvernance des produits (définition d’un marché cible pour chaque produit financier et obligation de vérifier l’adéquation du produit avec la situation du client), information du client sur la source et la nature de la rémunération de l’intermédiaire, caractère adapté du conseil...

Une question centrale est rapidement apparue concernant le mode de rémunération du conseil financier. Fallait-il ou non interdire la rémunération par des commissions et privilégier la rémunération par honoraires ?

Deux réponses différentes ont été apportées sur ce point par les deux directives. La directive MIF II a introduit une innovation en distinguant le conseil donné sur base indépendante, pour lequel les commissions sont interdites, et le conseil sur base non indépendante, où elles sont autorisées sous réserve qu’elles se traduisent par une amélioration de la qualité du service rendu au client.

La directive DDA, quant à elle, ne retient pas cette distinction pour le conseil indépendant et n’interdit pas les commissions, sous réserve qu’elles n’aient pas de conséquences dommageables pour le client. Il n’y a donc pas d’alignement de DDA sur MIF II comme on avait pu le craindre.

Au final, la question commune à ces deux textes pour les professions financières est la suivante : les nouvelles directives introduisent-elles une révolution ou se traduisent-elles par un statu quo amélioré ? La réponse se situe entre les deux propositions. Il n’y a pas eu le changement radical redouté pour les professions financières, particulièrement en France où la rémunération par commissions est la pratique la plus courante et tel qu’il s’est produit en Grande Bretagne à la suite de l’interdiction des commissions depuis 2014. En revanche, la profession va devoir faire face à des obligations de transparence et d’information considérablement renforcées et qui doivent être encore précisées par les mesures de niveau 2 (textes adoptés par la Commission en application des directives) et la transposition de ces dispositions dans les réglementations nationales par le législateur, l’administration et les régulateurs AMF et ACPR.

Si les obligations réglementaires vont être renforcées, tous les distributeurs de produits d’investissements, qu’ils soient CIF, courtiers en assurances ou banquiers privées, seront concernés quels que soient leurs canaux de distributions. Sur ce point, c’est une excellente nouvelle pour les CIF que nous sommes.

Le règlement Priip va-t-il contraindre davantage l’activité des CGP ?

Depuis des mois, nous militons au niveau européen pour un report de Priip calé, a minima, sur les dates d’entrée de vigueur de MIF II et DDA. 

Il y a un problème de mise en cohérence dans le déploiement des documents à fournir dans le cadre d’un contrat d’assurance vie et ceux à fournir pour les autres supports d’investissements comme les OPCVM qui bénéficient d’un report jusqu’au 31 décembre 2019. Dans les délais impartis, le marché ne sera pas prêt car il reste encore beaucoup de points à résoudre, notamment la question de la population cible qui doit figurer dans le document clé. Nous considérons qu’il serait préférable de prendre en compte l’appétence au risque général du client et non produit par produit.

En l’état, le règlement Priip va conduire à une restriction de l’offre en épargne car il faudra fournir trop d’informations coûteuses à produire. Le risque est de cantonner aux seuls épargnants les plus aisés une large palette de supports d’investissements. Et c’est regrettable car la France a cette singularité de proposer des offres d’épargne sophistiquées à un large public.

Comment se positionnent l’AMF et l’ACPR sur ces sujets à votre égard ?

La CNCGP est à l’écoute non seulement de nos autorités tutélaires mais aussi de celle du Trésor que nous rencontrons régulièrement. L’Autorité des marchés financiers (AMF) et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) partagent notre position, celle que nous défendons à Bruxelles : pas de vente de produits d’investissements sans conseils.

 

A propos de…. concurrence

La place occupée par les conseillers en gestion de patrimoine sur le segment de l’épargne patrimoniale est-elle satisfaisante selon vous ? 

A ce jour, plus de 3.000 cabinets de CGP jouent un rôle essentiel sur le marché disputé de la gestion privée. Les activités plurielles la profession ne les cantonnent pas à la simple vente de produits financiers mais reposent sur une analyse personnalisée de chacune des situations patrimoniales de leurs clients. Il s’agit là d’un conseil évolutif qui s’inscrit délibérément dans le temps. La clientèle de particuliers de nos adhérents trouve là une offre unique, réalisée par des professionnels disposant tous de formations initiales complétées par des modules annuels obligatoires validants. C’est certainement une des raisons de la croissance continue du chiffre d’affaires de nos adhérents, toujours plus nombreux.

Globalement, les actifs confiés aux CGP s’élèvent à environ 100 milliards d’euros. La collecte annuelle est de l’ordre de 10 milliards d’euros. Le canal des CGP représente donc près de 10 % de la collecte et de la gestion financière en France.

Quel regard portez-vous sur vos concurrents de la banque privée ?

- Nos adhérents sont des entrepreneurs sans lien de subordination avec une hiérarchie exerçant une pression commerciale incompatible, par essence, avec un service indépendant. Cette indépendance capitalistique offre l’indéniable attrait de la pérennité sans servitude : demain, le conseil de nos clients n’exercera pas dans un autre établissement.

Ce sont là deux atouts majeurs pour lesquels nombre de banquiers privées évoluent et embrassent notre profession dans un second temps de leur carrière.

Les acteurs de la fintech ne pourront s’imposer sur le marché français qu’en travaillant de concert avec les CGP. Quels rapports entretenez-vous avec eux ?

- Nous encourageons fintech dite « régulée », c’est-à-dire celle qui respecte les obligations réglementaires. Nous avions déjà échangé avec l'association des professionnels du crowdfunding, le financement participatif France (FPF), pour que soient favorisés les statuts d’intermédiaire en financement participatif (IFP) et de conseillers en  investissement participatif (CIP). Dans le livre blanc remis par le FPF au Premier ministre, nous avions également fait émerger l’idée de pouvoir écraser les pertes que l’on aurait sur les obligations non remboursées dans le cadre du crowdfunding. Celle-ci fut votée dans le cadre de la dernière loi de Finance et nous en sommes très heureux.

L’essentiel de notre valeur ajoutée repose sur la notion d’approche globale patrimoniale fondée sur une analyse approfondie du patrimoine dans toutes ses dimensions  juridique, fiscale et financière, et dans le suivi au long cours de ce patrimoine. Sur ce front, nous ne sommes donc aucunement concurrencés par les fintechs robo advisor dont les services se cantonnent à la production d’allocation d’actifs. La dématérialisation du seul conseil en investissements qui est au cœur de leur mode de fonctionnement est incompatible avec la relation humaine qu’exige une gestion digne de ce nom des intérêts privés d’un particulier. Le lien de confiance intuitu personae qui se tisse avec chacun de nos clients est essentiel. Il s’enracine dans un parcours minutieusement balisé par la réglementation. Alors, je ne vois pas comment une fintech, dotée d’un statut de CIF, délivrant ses prestations, qui plus est à faible valeur ajoutée, sans jamais rencontrer le client, est à même de répondre aux exigences du règlement AMF telles que précisées notamment dans ses articles 325-1 et suivants et bientôt renforcées par l’entrée en vigueur de la directive MIF II et de DDA .

Quelle est la place idéale pour les CGP dans le développement des opérations de financement participatif ?

Le financement participatif est une alternative à des produits d’investissement classiques avec la possibilité d’obtenir un couple rendement-risque attractif au prix d’un risque accru. Le conseil d’un CGP est indispensable afin de s’assurer, d’une part, de la bonne compréhension du client et, d’autre part, du poids naturellement mesuré de cette nouvelle classe d’actifs dans son allocation globale.

 

A propos de… produits

Quel est votre positionnement à l’égard du développement des offres en assurance vie Eurocroissance ?

- La CNCGP a toujours encouragé  le fléchage de l’épargne vers l’économie réelle et à ce titre se félicite de l’offre reposant sur les contrats Eurocroissance. Les investissements de la clientèle de nos adhérents plébiscitent les OPCVM, preuve en est le taux d’UC dans les produits d’investissement assurantiels, taux supérieur à la moyenne du marché.

Pour autant, les contrats Eurocroissance n’ont pas connu le succès souhaité auprès des épargnants. A cela plusieurs raisons: tout d’abord, la lisibilité de l’offre n’est pas limpide. La création d’une nouvelle génération de contrats ne facilite pas la lecture de l’épargnant, habitué qui plus est à ce que certains contrats disparaissent du paysage (PEP, contrats DSK et NSK, etc.). Par ailleurs, la garantie du capital à un terme éloigné, sans avantage fiscal supplémentaire, n’est pas assez séduisante.

A notre sens, faute de contreparties attractives, notamment en termes fiscaux, les épargnants ne peuvent adhérer à une nouvelle offre produits qui, en outre, se révèle complexe. Nous attendons que les options proposées par le Trésor offrent les garanties de pérennité souhaitées par notre clientèle à la recherche d’avantages ne pouvant se cantonner à ceux présentés.

Quel positionnement adoptez-vous à l’égard des offres de placements atypiques ? Sur quels exemples récents vous êtes-vous positionnez ?

Je peux vous affirmer que nos adhérents ont parfaitement conscience que le grand public est de plus en plus touché par des offres d’investissement douteuses et irréalistes, sinon frauduleuses. Nous attendons du projet de loi Sapin II qu’il protège efficacement les Français en renforçant les sanctions envers les tricheurs.

Depuis notre création, nous préconisons la plus grande vigilance sur les placements à haut risque et les produits atypiques et notre organisation s’associe à la lutte menée par l’AMF, l’ACPR, la DGCCRF et le Parquet de Paris contre les offres d’investissements douteuses. Aussi, la CNCGP propose à ses adhérents de suivre un mode opératoire précis dès lors qu’ils se retrouvent face à des sollicitations devant les alerter ou en présence de produits financiers dont le manque de sérieux doit les interpeller.

Nous demandons à nos membres d’analyser le contenu de toutes les propositions financières qu'ils reçoivent. Il s’agit d’écarter systématiquement celles qui sont manifestement irrégulières. A cet effet, nous rappelons d’appliquer a minima les conseils de vigilance suivants :

  • Aucun discours commercial ne doit faire oublier qu’il n’existe pas de rendement élevé sans risque élevé.
  • Il est indispensable d’obtenir un socle minimal d’informations sur les sociétés qui proposent un produit (identité sociale, pays d’établissement, responsabilité civile, règles d’organisation, etc.).
  • Lorsque l’offre semble bien structurée mais qu’un doute subsiste, nos membres doivent vérifier sur le site de l’AMF si une alerte a été diffusée à l’encontre de l’auteur de cette offre.
  • Si aucune mise en garde n’a été publiée par l’AMF, il s’agit alors de l’en informer en précisant le contexte dans lequel le membre a été destinataire de la proposition douteuse et de joindre une copie de l’offre.

Nous procédons ainsi périodiquement à des communications auprès de nos membres leur rappelant le mode opératoire décrit.

 

A propos de… l’activité 

Sur le terrain, comment ont évolué les relations entre vos adhérents, à savoir les distributeurs et leurs fournisseurs ?

Si l’on veut bien considérer le rôle d’un CGP exerçant son activité librement, l’on ne peut accepter l’idée d’une dépendance exclusive à un fournisseur. Aussi, nous sommes attentifs à ce qu’aucun partenaire n’impose de conditions draconiennes à nos membres.

La CNCGP veille aussi à ce que les partenaires de ses membres n’utilisent pas le prétexte fallacieux d’une régulation accrue pour obérer les marges rétrocédées ou restreignent l’offre à destination de nos clients finaux.

Craignez-vous une consolidation de grande ampleur de votre profession et la multiplication de réseaux de CGP ? Considérez-vous que cette évolution est inéluctable ?

Nous avons de plus en plus de cabinets de CGP structurés, voire très structurés, notamment chez les jeunes adhérents. Pour autant, les entités unipersonnelles continuent d’exister. Nous poussons celles-ci à se doter de communautés d’échanges et de moyens, notamment par le canal associatif. Notre message est simple : quel que soit le choix du mode d’exercice de notre profession, les acteurs d’aujourd’hui doivent se structurer soit sous une forme capitalistique, soit sous une forme associative  afin de faire face aux enjeux de demain.

Nous considérons que la profession de CGP, aux activités plurielles, que nous nous efforçons de faire connaître et reconnaître, devra dans les années à venir, et désormais à un horizon de temps très court, se structurer en sorte de limiter les coûts et permettre d’assurer l’ensemble de ses obligations réglementaires.

Nous sommes positifs sur l’avenir de notre profession tant les investisseurs privés sont avides de conseils éclairés, dispensés par des prestataires hautement qualifiés, continuellement formés et informés. L’évolution du chiffre d’affaires de nos adhérents le prouve : il est en constante augmentation. Nos clients nous sont fidèles, nous recommandent car nous sommes compétents et pérennes. L’avenir est au service à haute valeur ajoutée et le CGP est le professionnel le plus qualifié en la matière.

 

A propos de… lobbying

Quels sont les résultats des actions de lobbying entreprises dernièrement ?

La CNCGP consacre beaucoup de temps et d’énergie à montrer et démontrer le caractère vertueux du modèle économique de ses adhérents. Guy de Panafieu, en charge de nos affaires publiques, m’épaule pour expliquer à la haute administration française et européenne, mais aussi à nos politiques, que, in fine, les cadres réglementaires au sein desquels nous exerçons nos activités doivent protéger l’épargnant sans restreindre ses choix. Depuis cette année, Publicis Consultants m’assiste également et nous sommes toujours membres actifs du Bipar.

Je vous donnerais deux exemples d’actions réussies, révélateurs de nos travaux:

  • Le report d’un an de la directive MIF II pour que cette directive s’applique à la même date que la DDA.
  • Le 23 août 2016, une position commune a été adressée à Michel Sapin, cosignée par tous les acteurs de notre écosystème (FBF, FFA, AFG, Amafi, les associations de CIF, la Faider) pour l’alerter sur les incidences extrêmement négatives de Priip. L’AFG et la CNCGP sont à l’origine de cette action. Elle est complétée par un travail permanent avec nos députés européens membres de la Commission Econ pour que le règlement délégué de la Commission sur Priip soit rejeté.

Sur quels dossiers ou sujets êtes-vous aujourd’hui particulièrement actifs auprès des pouvoirs publics ?

- Au risque de me répéter, la régulation de nos activités plurielles ne doit pas restreindre le choix de l’épargnant. D’où nos actions de lobbying, notamment à Bruxelles.