
«On est souvent aveuglé par l’attachement à l’intermédiaire»

L'Agefi Actifs : Pourquoi travaillez-vous sur la question de l’épargne depuis deux ans ?
Jean-François Husson : Mon prédécesseur en tant que rapporteur général de la commission des finances, Albéric de Montgolfier, avait lancé un contrôle sur ce sujet en 2020. J’ai poursuivi avec lui ce travail une fois nommé à ce poste. Si le sujet de l’allocation de l’épargne est un sujet en soi pour financer efficacement l’économie réelle, les coûts en sont un autre tout aussi essentiel. Beaucoup d’éléments nuisent au rendement net des produits, au bénéfice des distributeurs et sans que l’épargnant puisse échapper à ces accumulations de frais. On parle souvent d’efficacité de la dépense publique, ici le rendement net doit aller prioritairement à celui qui fait l’effort d’épargner. La responsabilité doit être la première réponse plutôt que l’assistanat, et l’épargne, pour ceux qui en ont les moyens, est une façon de se responsabiliser tout en contribuant à l’économie.
Il faut faire en sorte que l’épargnant trouve sa juste rémunération et que le maximum d’intérêts lui soit servi. Il vaut mieux financer l’économie par ce biais que par un impôt dont on est moins sûr de son rôle dans la chaîne de valeur. C’est aussi un état d’esprit : si les Français contribuent davantage au financement de l’économie, ils sont contributeurs plutôt que passifs. Aujourd’hui, il faut promouvoir l’éducation des épargnants sur l’intérêt pour l’économie de bénéficier d’une épargne privée, qui doit être constituée de manière plus précoce.
Votre rapport pointait des frais français supérieurs à la moyenne européenne, d’où vient le problème ?
Il est historique et lié au système de la bancassurance, avec par ailleurs une double couche de frais dans l’assurance vie : la distribution par les réseaux, les intermédiaires et les commissions dans la gestion des actifs grèvent le rendement. L’accumulation de frais n’est pas claire et va à l’encontre de l’objectif visé. Le constat est globalement partagé, sauf par le secteur de l’assurance, qui considère au contraire que nous sommes dans la moyenne des frais.
Le sujet avance-t-il en France ? Bruno Le Maire avait pointé les frais du PER il y a quelques mois, pour finalement ne demander que le renforcement de leur transparence.
Le sujet n’avance pas assez vite pour les épargnants. La retraite constitue déjà une capitalisation avec une rente différée et un taux garanti à l’origine des versements. Ensuite, celui qui choisit d’épargner met son argent au service de l’économie. La loi Pacte visait à baisser les frais, on s’est aperçu deux ans après que rien n’avait changé. Le PER souffre des mêmes travers que ceux de ses prédécesseurs. Pour un nouveau produit qui visait justement à réduire les frais, c’est un zéro pointé qu’il faut attribuer au gouvernement comme aux distributeurs.
Votre expérience en tant qu’agent général d’assurance inspire-t-il votre travail ?
Être sénateur est un rôle différent, mais avoir été acteur permet de mieux comprendre les enjeux. Je me suis battu sur l’assurance emprunteur récemment, mais j’ai aussi demandé dès le printemps 2020 que les profits exceptionnels réalisés par les assureurs pendant la crise sanitaire soient mis à contribution car ils étaient la conséquence d’une situation qui ne dépendait pas d’eux. La mouture finalement votée par le Sénat à l’automne dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances initial pour 2021 était toutefois injuste dans son contenu, dans la mesure où toutes les compagnies n’ont pas les mêmes portefeuilles. Ainsi, la mesure était évidemment justifiée dans l’assurance auto, pas pour les assureurs IARD pris globalement. Un an après, les ratios de certaines compagnies s’étaient d’ailleurs dégradés. Les Français pensent que l’assurance est un monde de requins où seul le profit compte. Pourtant, l’assurance repose sur une communauté d’assurés, il faut faire un équilibre des comptes et en cas de dégradation des ratios c’est la communauté qui paye. C’est le principe de la mutualisation.
La Caisse des dépôts serait chargée, si votre proposition de loi est votée, de gérer un fonds de fonds indiciels cotés qui sera distribué dans les PER. Pourquoi ?
L’un des principaux constats de notre rapport est que les épargnants souffrent du manque de concurrence sur le marché de l’épargne. Plusieurs de nos recommandations et de nos propositions visent justement à stimuler la concurrence pour proposer des produits aux rendements plus élevés et aux frais plus faibles. C’est le cas avec ce «PER public» qui reposerait sur la gestion passive, et ce afin d’optimiser le rendement servi, à moindres frais. Nous nous sommes ici inspirés de la gouvernance du Nest britannique, un fonds de pension public. L’objectif de ce PER public serait aussi d’agir comme un «révélateur» de la performance pouvant être servie à peu de frais aux épargnants, permettant ensuite de stimuler la concurrence sur ce segment du marché de l’épargne et d’encourager un élargissement de la gamme des PER proposée.
Que faut-il changer concernant l’intermédiation ?
On est souvent aveuglé par l’attachement à l’intermédiaire, au détriment du rendement net servi. Si les rendements servis en présence d’intermédiaires étaient meilleurs, les portefeuilles et les encours augmenteraient. Le système d’intermédiation doit changer. Puisqu’il faut contenir les frais de distribution, c’est aux gestionnaires et aux compagnies de trouver de nouveaux dispositifs de rémunération récompensant la performance.
Aujourd’hui, les contrats anciens pèsent sur les nouveaux. Certains contrats d’assurance vie ont été souscrits à un rendement de 4 à 5 % garanti. Les réseaux de distribution n’ont pas prêté attention à la conversion, à l’actualisation du rendement et ont gardé les mêmes niveaux de frais, sans parler de la pratique des précomptes avancés. Il faut organiser le glissement entre anciens et nouveaux contrats d’assurance vie.
Quelle serait la place des intermédiaires dans ce nouveau système ?
Il y a toujours une place pour le conseil. Soit le réseau et le conseil prennent la bonne orientation, soit ils prennent le risque de se voir progressivement dépassés par la gestion passive, voire par un système où l’intelligence artificielle remplace le conseiller.
Vous poussez le développement de la gestion passive en rendant obligatoire le listing des produits indiciels à bas coût, mais les frais ne sont-ils aussi une garantie de l’implication des gestionnaires ?
Au contraire, ce qui doit nous interroger c’est qu’en dépit de l’intervention de gestionnaires, la gestion passive demeure plus intéressante et plus performante que la gestion active dans 80 % des situations. Les simulations réalisées dans notre rapport le montrent, la performance nette est plus élevée en moyenne à long terme en gestion passive qu’active. Cela pose la question de l’intermédiation.
Vous aviez à l’époque du rapport demandé d’évaluer les effets d’une interdiction des rétrocessions et a minima d’aligner DDA sur Mif II. Pourquoi cette proposition n’est plus présente dans le projet de loi ?
Nous avons choisi de faire preuve de prudence sur ce sujet, avec une évaluation nécessaire des conséquences de la fin des rétrocessions sur les distributeurs, pour ne pas prendre le risque que leur disparition ne fasse que renforcer le système de la bancassurance, au détriment des épargnants. Par ailleurs, les retours d’expérience sur le Royaume-Uni et les Pays-Bas, qui ont interdit ces rétrocessions, méritent d’être approfondis.
Penchez-vous à titre personnel plus vers le modèle du commissionnement ou des honoraires ?
Le système des honoraires a des avantages, mais il est assez peu proposé. Il y un travail exploratoire à conduire avec le plus d’objectivité possible, en regardant la façon dont demain le système de distribution et de commissionnement doit s’organiser. Nous n’avons pas de parti pris, mais nous demandons à ce que la discussion soit ouverte sur le sujet, tout en tenant compte des préférences des épargnants. Nous savons aujourd’hui que les épargnants français sont assez réticents au paiement d’honoraires pour bénéficier d’un conseil sur la gestion de leur épargne.
Vous voulez créer une nouvelle catégorie d’intermédiaires, les intermédiaires en immobilier pour renforcer le contrôle des opérations de défiscalisation. La Carte T existe pourtant déjà…
L’extension du champ d’intervention de l’AMF au contrôle préalable des investissements défiscalisés dans le logement locatif, autrement dit sur le Pinel, est l’une des recommandations que porte depuis plusieurs années Albéric de Montgolfier. Le système de la carte T n’est pas suffisant : il ne permet pas d’opérer un contrôle au préalable des publicités, de publier des listes «blanches» et «noires» d’intermédiaires, de développer des outils de traitement de données pour détecter des sites potentiellement frauduleux ou encore de faire des rappels à la règlementation en cas de publicité non autorisée ou d’absence d’informations fiables transmises aux épargnants sur les risques. Or, bien trop souvent, les avantages fiscaux sont à l’origine d’une «cécité fiscale» des épargnants, qui sont alors moins regardants sur le niveau des frais et des risques.
Votre texte veut confier à l’Orias le contrôle de l’honorabilité des salariés des intermédiaires ayant l’obligation de s’y immatriculer. Faut-il y voir un rétropédalage par rapport à la réforme du courtage qui confie cette mission à des associations professionnelles agréées ?
C’est la position qu’Albéric de Montgolfier, en sa qualité de rapporteur de la proposition de loi sur la réforme du courtage, avait déjà défendu à l’époque de l’examen du texte. Nous sommes constants et continuons de penser que cette mission doit revenir à l’Orias : c’est l’une des fonctions de cet organisme de contrôle.
Vous voulez garantir une réelle transférabilité interne et externe de l’assurance vie. Est-ce à dire que la transférabilité intra-compagnie actuelle n’est pas suffisante ?
La transférabilité intra-compagnie s’est nettement améliorée à la suite des engagements pris par les assureurs en ce sens, mais elle n’est pas encore automatique. Sept milliards d’euros d’encours sont aujourd’hui concernés, mais ce n’est rien comparé à l’encours général puisque le montant des transferts ne représente que 0,4 % du total. En proposant la transférabilité inter-compagnies, on a l’impression d’ouvrir la boîte de Pandore. Les assureurs ont tout autant protesté lors de la suppression du questionnaire médical pour assurer un emprunt immobilier, au moment du vote de la loi Lemoine. Pourtant aujourd’hui, la plupart des acteurs n’ont apparemment pas modifié leurs tarifs. Je me réjouis tous les jours de cette mesure sociale concrète obtenue par le Sénat qui pousse à l’équité entre emprunteurs. Je pense qu’il en sera de même avec cette mesure.
Toujours sur l’assurance vie, vous voulez confier au CCSF le soin de rendre son coût plus lisible. Vous considérez que l’accord de place conclu début 2022 ne remplit pas son rôle ?
Nous nous étions félicités de cet accord de place qui répondait directement à la recommandation n° 7 de notre rapport « développer un comparatif des frais moyens d’assurance vie pour connaître son coût complet ». Nous estimons toutefois qu’au regard de l’opacité des frais pour les épargnants, les produits d’assurance vie supportant une double couche de frais, l’accord de place ne constitue qu’une première étape, dans la mesure où il n’est pas juridiquement contraignant et où il revient toujours à l’épargnant de procéder lui-même à un état des lieux du marché. Il faut aller au bout de la logique de transparence et de simplification que je défends.
L’interdiction des commissions de mouvement, l’une des propositions de votre texte déposé fin mars, a depuis été actée par l’AMF. En avez-vous été l’instigateur ?
Certains ont commencé à piocher dans nos préconisations. L’interdiction de l’AMF est la reconnaissance d’un travail collectif. Nous avons été informés en amont que la proposition de modification du règlement général, retenue à l’issue d’un arbitrage du collège, allait être transmise au ministre de l’économie et des finances. C’est un travail en bonne intelligence.
Dans le contexte politique actuel sans majorité absolue à l’Assemblée nationale, que faut-il attendre du parcours législatif de votre proposition de loi ?
Le gouvernement va donner le cap puisque comme nous sommes actuellement en session extraordinaire, celui-ci a l’initiative de l’ordre du jour du Parlement. Il faudra donc son accord. Nous nous battons pour que le texte soit examiné dès juillet. Personne ne pouvait imaginer qu’il manque autant de députés pour atteindre la majorité absolue à l’Assemblée nationale. Olivier Marleix, président du groupe LR à l’Assemblée nationale, sera exigeant mais saura trouver des voies de compromis sur des textes de ce type.