
Des profils et des attentes en profonde mutation

Responsables politiques et médias évoquent souvent les expatriés avec une pointe de soupçon et parfois d’envie (L’Agefi Actifs n°654, p. 14). Certaines situations le justifient, mais une analyse en profondeur modifie singulièrement cette image convenue lorsque l’on observe l’évolution dans le temps des Français établis et, plus encore, travaillant hors de France. Le rapport 2015 du Ministère des Affaires étrangères sur la question décrit, dans un préambule de Laurent Fabius, une population qui « a doublé en 20 ans, pour atteindre aujourd’hui 1,6 million d’inscrits et, au total, entre 2 et 2,5 millions de Français ».
Une dynamique mise encore davantage en relief par « L’analyse des flux migratoires entre la France et l’étranger entre 2006 et 2013 » réalisée dans le bilan de l’INSEE publié en octobre dernier. Il estime quant à lui entre 3,3 et 3,5 millions le nombre de personnes nées en France et résidant à l’étranger en 2013. Et surtout, à cette date, 80 % des départs surviennent entre 18 et 29 ans avec un bon niveau d’études supérieures (lire l’encadré Combien, qui et où ?). Des données vécues de plein front par les quelques structures qui se penchent sur le sort, quel que soit le vocable, des Français de l’étranger. Parmi les plus significatives, nous avons questionné sur leur perception et les réponses induites trois d’entre elles situées sur des voies patrimoniales différenciées.
Banque Transatlantique : la tradition revisitée
La filiale du groupe Crédit Mutuel-CIC enregistre la mutation depuis les années 2000 et plus encore depuis cinq ans.
Changement de profil.
« Nous vivons la génération Erasmus plus », constate Vincent Joulia, directeur de la banque privée et de la gestion de fortune de la Banque Transatlantique. Du haut de ses 80 ans, elle a démarré dans les années 30 par une clientèle de diplomates, renforcée dans les années 80 par les dirigeants et cadres des grandes entreprises privées. « Désormais, l’internationalisation est totale, affirme le dirigeant. Les partants s’installent durablement, entreprennent, changent de poste sur place, en bref se sédentarisent et se rapprochent de la mentalité anglo-saxonne. Pour les banques qui raisonnent souvent localement, il s’agit d’un vrai défi. »
Développements réguliers.
Fortement intégré au travers des réseaux consulaires, des chambres de commerce et du tissu resserré des lycées français (environ 450 dans le monde), l’établissement se développe auprès des Français ayant un revenu élevé, en pays de résidence essentiellement dans la zone OCDE, de même qu’il s’y attache une clientèle locale francophile souhaitant investir dans l’Hexagone. Avec environ 40 % de ses clients issus de l’étranger, la Banque Transatlantique dispose d’une dizaine d’implantations dans de grandes métropoles et s’apprête à en ouvrir une nouvelle à San Fransisco. Environ 80 personnes y sont déployées auxquelles s’ajoutent au siège à Paris une quarantaine pour la gestion clients et les fonctions supports.
L’international est l’un des trois piliers majeurs de la banque : à fin 2014, les 2 milliards de collecte se sont répartis équitablement sur ce poste, la France avec sa maison-mère et l’activité sur stock-options. Peu diserte sur ses chiffres, elle avance entre 2005 et 2015 une forte progression de ses encours conservés et gérés, passés de 5 à 25 milliards d’euros.
Attentes renouvelées.
Parmi les attentes liées à la modification profonde du profil des expatriés, Vincent Joulia note le « multibooking » qui se traduit par le logement des actifs dans le pays d’élection : « Le client est mieux conseillé, bénéficie de produits agréés localement et par conséquent d’un traitement fiscal plus conforme à sa situation. » Autre tendance : « La prise d’hypothèques dans les pays étrangers en garantie de financement pour accompagner des acquisitions immobilières correspondant à notre culture du prêt à taux fixe. » Et il observe globalement une demande appuyée de conseils sous tous les registres, y compris sur les problèmes de changes ou la protection sociale.
L’offre de produits et services se fait naturellement désormais avec l’appui du numérique sur le site dédié, via des applications pour mobiles et des accompagnements à distance.
Equance : un cabinet fortement impliqué
Sous un autre statut et à une autre échelle, le cabinet indépendant Equance se consacre aussi à la clientèle des non-résidents, tout comme l’autre spécialiste montpelliérain dont il est issu depuis dix ans, Crystal Finance. Là aussi, l’aspiration de la jeunesse à devenir citoyens du monde tout en gardant des attaches avec l’Hexagone guide et porte l’activité.
Croissance soutenue.
Selon son président, Olivier Grenon-Andrieu, « 80 % de la clientèle, soit 4.500 personnes, est constituée d’expatriés disposant d’avoirs financiers moyens, en augmentation régulière chez nous, de 230.000 euros. Après 30 % en 2014, le chiffre d’affaires a progressé de 15 % l’an passé. Grâce à une collecte supérieure à 100 millions d’euros, Equance affiche environ 370 millions d’actifs conseillés et dégage 5 millions d’honoraires. »
La structure s’appuie sur 87 collaborateurs présents dans 48 pays, salariés ou agents sous mandat exclusif, dispose de trois bureaux en France (Paris, Toulouse et Montpellier) et de deux filiales, Equance Panamerica et Equance Emirates. Des recrutements sont indispensables, selon le responsable, pour densifier la gestion privée, le middle office, la fonction crédit, de même qu’un poste pour assurer la présence à l’export et le renfort d’un déontologue sont programmés. Dans le viseur, deux acquisitions de cabinets de CGP sont encore prévues pour répondre aux demandes de retours.
Appels d’air.
Chez cet indépendant, l’appel d’air souffle également concernant les exigences de cette clientèle bien particulière. Elle souhaite, par exemple, se constituer des revenus complémentaires pour la retraite, justifiant une offre en assurance vie de plus en plus développée en contrats luxembourgeois, et se garantir une couverture santé complémentaire identique à celle de la France. « Nous proposons encore des outils immobiliers hors de France pour des raisons fiscales, telle une SCPI - produit dont nous sommes historiquement gros distributeur - conçue avec La Française en Allemagne », souligne Olivier Grenon-Andrieu.
L’instabilité de la fiscalité française est une pierre d’achoppement particulièrement mal vécue par les non-résidents, déplore-t-il, citant parmi les mesures récentes les prélèvements sociaux sur leurs revenus fonciers et plus-values immobilières introduits par la LFSS pour 2016. Citant également les nombreux questionnements sur les régimes matrimoniaux et les questions successorales réglés en liaison avec des notaires, il met de plus en avant le non-coté : « Pour faire face aux soubresauts des marchés, nous avons développé des instruments dédiés, par exemple dans le crowdfunding immobilier aux côtés de 123 Venture en France ou des fonds de dette privée aux Etats-Unis. »
France Expat Conseil : une approche family office abordable
Autre registre à nouveau avec France Expat Conseil, filiale fondée en 2011 de l’Union des Français de l’Etranger (UFE), l’une des principales associations mondiales d’expatriés. Son président, Gérard Pélisson, cofondateur du groupe hôtelier Accor, a souhaité offrir aux personnes en partance une gamme de services comparables à ceux du family office. Il s’est appuyé pour ce faire sur Philippe Roisin, fortement imprégné d’une expérience internationale et lui-même ancien responsable d’un FO pour dirigeants d’entreprise.
Assistance globale…
« Notre caractéristique réside dans une assistance globale, à la fois personnelle, familiale et patrimoniale, notamment pour répondre aux besoins de la famille souvent mal pris en compte par les entreprises, insiste Philippe Roisin. Nous avons le pouvoir d’agir en France à distance pour le compte de nos clients afin d’anticiper sur leurs problématiques juridiques, fiscales, notariales, de retraite ou de patrimoine... » La société, qui revendique un fichier de 8.000 clients et 1.000 nouveaux en 2015, s’appuie sur six conseillers expérimentés - et bientôt huit -, qui analysent et diagnostiquent les situations, sélectionnent les experts et suivent chaque dossier de bout en bout.
… et prix contenus.
Les experts quant à eux sont issus d’une sélection de partenaires, la plupart indépendants, soit une soixantaine d’avocats spécialisés, de notaires, de CGP et de courtiers en assurances ou en crédits. Mettant en avant une « ubérisation » anticipée par essence au travers de son site et des contacts téléphoniques ou numériques avec les divers intéressés, France Expat affiche des tarifs d’honoraires négociés à -30 % environ. C’est ainsi qu’une consultation fiscale d’une heure avec un spécialiste se fait au tarif de 356 euros si le client est adhérent de l’UFE.
Offres évolutives.
C’est dans les domaines juridiques et fiscaux que les demandes les plus courantes interviennent, l’entité enregistrant aussi des consultations croissantes concernant la retraite et les suites de divorces. Parmi les projets, elle va accentuer ses services sur les pensions de réversion pour les épouses étrangères, de même que sur l’immobilier et les départs prisés en Thaïlande et au Portugal.
Outre ces élargissements de compétences, France Expat plaide sur la vertu du bouche à oreille pour conforter sa place.