Des gestionnaires s’estiment menacés par la réforme des organismes de retraite

Certains gestionnaires s’élèvent contre le décret du 10 mai dernier qui encadre les investissements de caisses de retraite complémentaires
Ces sociétés, dont certaines bien connues des conseillers en gestion de patrimoine, redoutent la contraction d’une partie de leur activité

Après les caisses de retraites, c’est au tour des gestionnaires d’actifs de s’ériger contre le décret relatif à l’organisation financière de certains régimes de sécurité sociale publié au Journal Officiel le 10 mai 2017 et qui devrait entrer en vigueur le 1er janvier 2018. Quelques jours avant la date limite de l’introduction d’un recours au conseil d’Etat, fixée au 9 juillet 2017, des sociétés de gestion indépendantes veulent faire entendre leur voix. Elles craignent en effet que les mesures figurant dans ce décret amputent une partie de leur activité, voire, pour certaines d’entre elles, remette en cause leur existence.  Un connaisseur du dossier avance le chiffre de 34 sociétés qui s’estimeraient menacées, d’une manière ou d’une autre, si ce texte venait à être appliqué. « Sur les 600 millions d’euros que gère aujourd’hui notre société, notamment sous forme de fonds de fonds dédiés, plus de 400 millions d’euros seraient ainsi concernés par le décret », s’alarme ainsi un gestionnaire. Les conseillers en gestion de patrimoine pourraient en souffrir dans la mesure où ils travaillent avec beaucoup de ces structures indépendantes.

Pouvoirs publics et professionnels achoppent sur plusieurs points de ce texte qui revoit les ratios et limites d’investissement qu’auront à respecter les caisses de retraites des professions indépendantes et dont les versions successives n’ont cessé de faire polémique depuis juin 2016. Plusieurs sociétés de gestion, comme Ycap asset management, CBT AM, Russell Investments, Trecento AM, Vestathena, Quaero Capital ou encore Raymond James, ont ainsi communiqué sur le fait qu’elles allaient, avant de saisir le Conseil d’Etat pour un retrait du texte, adresser dans les prochains jours un recours gracieux auprès du Premier Ministre.

Fonds mutualisés. Concrètement, ce décret met en place les « fonds mutualisés », un nouveau type de fonds exclusivement créé pour les caisses de retraite citées dans le décret. Elles devront, si elles veulent utiliser la multigestion, des fonds flexibles ou encore des produits dérivés, obligatoirement passer par ces véhicules. Ces derniers doivent être détenus par deux caisses et par un « tiers » qui s’engage à souscrire en permanence 15 % du fonds. Cette mesure irrite les gestionnaires indépendants non affiliés à des structures capables de mobiliser ces sommes. « Ces fonds n’existent pas dans le code monétaire et financier et leur fonctionnement, tel qu’il est décrit par le décret, les rend incompatibles avec l’indépendance et les obligations du gestionnaire telles que définies par l’AMF », s’insurge Christian Bito, président de CBT Gestion.

Propositions alternatives. « Certaines bonnes pratiques demandaient, certes, à être harmonisées, mais le décret de 2002 que le texte actuel est censé moderniser avait le mérite d’être simple et n’a causé aucun accident majeur », constate Lionel Tangy-Malca, président d’Ycap Asset Management. Et si quelques points du nouveau décret, comme la transparisation des investissements – consistant à détailler chaque ligne des fonds investis et permettant d’en agréger les risques - sont largement acceptés par les gestionnaires, le texte, dans son ensemble, est loin de faire l’unanimité. « Depuis plusieurs années, la multiplication des contraintes réglementaires atrophie le terrain de jeu des sociétés de gestion indépendantes », déclare Lionel Tangy-Malca.

Dans un document de travail que l’Agefi s’est procuré, l’association française de la gestion financière (AFG) a listé quelques propositions alternatives à ce texte. Parmi celles-ci, l’AFG préconise « [de faire] autant que possible, abstraction du format des véhicules de placement ». Le maintien des véhicules actuels utilisés par les caisses de retraites pourrait en outre être assorti de méthodes harmonisées de transparisation et de reporting. « Cela pourrait aller jusqu’à la tenue régulière de « stress test » permettant de mesurer précisément les risques auxquels les caisses s’exposent », Lionel Tangy-Malca.  

Quoi qu’il en soit, certains envisagent d’ores et déjà, en cas d’échec des différentes actions menées, de porter l’affaire devant les instances européennes.