Covéa met la pression sur Scor

Malgré le rejet d’une offre de rachat amicale, l’assureur mutualiste compte bien mettre la main sur le groupe dirigé par Denis Kessler.

Par L'Agefi Quotidien

Thierry Derez a trouvé de quoi animer les conversations aux traditionnels Rendez-vous de septembre, grand-messe de l’assurance et de la réassurance qui s’ouvre à Monte-Carlo le 8 septembre. Le patron de Covéa a proposé le 24 août à Scor et à son PDG, Denis Kessler, d’engager des discussions en vue d’un rachat. Une offre amicale que le conseil d’administration du réassureur s’est empressé de rejeter à l’unanimité, le 30 août, estimant «qu’elle remettrait en cause son projet industriel fortement créateur de valeur et qu’elle ne reflète ni la valeur intrinsèque de Scor ni sa valeur stratégique».

Covéa en a pris acte et a retiré sa proposition, qui prévoyait d’offrir 43 euros par action, valorisant 100% de Scor à 8,2 milliards d’euros. Mais il maintient la pression, se disant toujours prêt à un rapprochement «amical». C’est lui qui a décidé de rendre publique sa démarche, mardi matin, pour informer l’ensemble des actionnaires de sa cible potentielle. «Le groupe est très déterminé, la balle est dans le camp de Scor», souligne un proche du dossier.

Chez le réassureur, on fait valoir que Covéa est lié par un standstill agreement qui l’empêcherait de porter sa part à plus de 10% du capital d’ici à avril 2019, et donc de déposer une offre d’ici là. Le mutualiste faisait mention de cet accord dans un communiqué daté du 11 avril 2016. Il serait valable «sauf évolution significative de la stratégie ou de la structure actionnariale de Scor susceptible de porter préjudice à ses intérêts, ou changement des instances de gouvernance de Scor». «Cet accord ne vaut pas en cas d’offre publique», rétorque un proche de Covéa.
Un tour de table émietté

L’assureur mutualiste, ombrelle de MMA, Maaf et GMF, peut faire valoir quelques arguments en sa faveur. Il est déjà le premier actionnaire de Scor avec 8,19% du capital. Le tour de table du réassureur est très émietté, avec seulement deux autres institutionnels, Allianz GI (4,89%) et Malakoff Médéric (3,05%), quelques gros fonds, comme BlackRock, et deux tiers de flottant. En 2015, l’irruption du japonais Sompo au capital, à hauteur de 8%, avait déjà montré la vulnérabilité de Scor sur ce point… avant que Covéa ne récupère cette participation. «Depuis deux à trois ans, le secteur de la réassurance a repris sa consolidation, explique un autre bon connaisseur du dossier. La stratégie d’indépendance de Scor touche ses limites, et cette initiative montre que la société est passée progressivement du statut de prédateur à celui de proie.» Les interrogations sur la succession de Denis Kessler, âgé de 66 ans, pèseraient également dans la balance, selon ces sources. De quoi alimenter les spéculations : Scor a démenti hier discuter avec un autre partenaire, en l’occurrence Partner Re.
Réemploi de capitaux excédentaires

Covéa a en outre les moyens de grignoter du capital ou de relever sa proposition. Il comptait financer son offre sur fonds propres et avec une dette apportée par Barclays et Credit Suisse, conseils du groupe en compagnie de Rothschild. A 23,7 milliards d’euros fin 2017, ses capitaux éligibles à Solvabilité 2 lui offraient un ratio de couverture de 372% de son exigence réglementaire. A titre d’exemple, il libérerait la bagatelle de 6,35 milliards de ressources en abaissant ce ratio de 100 points de base, tout en conservant une couverture élevée selon les standards de la profession.

Le réemploi de ces capitaux excédentaires constitue d’ailleurs l’un des avantages que trouverait Covéa à l’opération, alors que les cibles sont rares sur son marché domestique. L’autre intérêt stratégique pour le groupe est de se diversifier, en termes de géographie – il est aujourd’hui presque exclusivement français – et de métiers. Dans une activité de réassurance par nature internationale, Scor a démontré son succès hors de ses frontières, un argument de poids aux yeux de Thierry Derez, que l’on dit échaudé par les expériences malheureuses d’autres mutualistes, comme Groupama, à l’étranger. Le nouveau champion pèserait plus de 30 milliards d’euros de primes.

L’intérêt d’une convergence entre assurance et réassurance est plus sujet à débat (lire par ailleurs). Covéa a cependant l’intention de laisser Scor en Bourse avec des intérêts minoritaires importants, pour garantir son autonomie et lui laisser une monnaie d’échange pour des acquisitions.

L’action du réassureur a gagné 9,53% hier, à 38,83 euros, clôturant nettement sous le prix évoqué par Covéa. A 43 euros, celui-ci valoriserait Scor à 1,34 fois ses fonds propres. Un multiple que les analystes de Jefferies comparaient hier à celui de 1,5 fois observé lors des dernières opérations dans le secteur de l’assurance, à l’image du rachat de XL par Axa. Selon le courtier, une offre à 45-46 euros serait plus légitime. Chez les purs réassureurs, ce multiple de 1,34 fois paraît cependant généreux. Avant la hausse d’hier, Covéa offrait en outre une prime d’environ 24% sur le cours moyen du mois écoulé. Mais Scor et Denis Kessler auront l’occasion dès aujourd’hui de défendre leurs positions à l’occasion d’une journée investisseurs.