Interprofessionnalité

Avocats et experts-comptables proposent de créer l’Airpi

Alors que l’interprofessionnalité capitalistique peine à se faire une place, les métiers du conseil s’organisent - Des avocats, avec le soutien récent des experts du chiffre, veulent se diriger vers une interprofessionnalité d’exercice.

Ces dernières années, les initiatives se multiplient pour organiser l’interprofessionnalité entre métiers du patrimoine. La première édition des Rencontres interprofessionnelles du patrimoine organisées par L’Agefi Actifs le 7 février2013 a été l’occasion de manifester cet intérêt et de revenir sur différentes expériences (1) en présence de 400 experts de toutes origines. Certains conseillers souhaiteraient cependant bénéficier d’un cadre pour exercer cette pluridisciplinarité.

Depuis début 2012, la commission Statut professionnel de l’avocat (SPA) du Conseil national des barreaux (CNB) réfléchit à la manière de permettre une structuration de l’exercice conjoint des avocats et des experts-comptables dans le conseil aux entreprises, estimant la réforme de 2011 sur les sociétés de participations financières de professions libérales (SPFPL) insuffisante. 

Interprofessionnalité fonctionnelle…

L’idée est d’offrir une interprofessionnalité fonctionnelle aux professions réglementées en général, et à ces deux métiers en particulier, « davantage pratique et plus efficace qu’une interprofessionnalité capitalistique uniquement. Ce sont surtout les jeunes avocats qui ne comprenaient pas pourquoi il ne leur était pas possible de se rapprocher de leurs amis experts-comptables afin de livrer une offre commune à leurs clients », précise Anne Vaucher, présidente de la commission SPA du CNB. Un rapport d’étape a été remis le 15 février 2013 par cette commission (2) et Joseph Zorgniotti, président du Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables, s’est récemment dit favorable à ce projet devant le CNB. Il a également indiqué qu’il souhaitait qu’une lettre commune aux deux professions soit adressée au ministre de la Justice afin d’accélérer le processus. Les notaires ne se sont pas encore exprimés sur la question. 

… grâce à l’Airpi.

Pour donner un cadre à cette volonté, la commission SPA a tout d’abord étudié les structures existantes : groupement d’intérêt économique, société de moyens, convention de collaboration interprofessionnelle... Le groupement momentané d’entreprises libérales (GMEL) qui permet, en pratique, une interprofessionnalité fonctionnelle et ponctuelle, notamment pour des missions de construction ou de travaux publics, ne pouvait convenir car « même si cet encadrement de la relation autorise l’exercice professionnel, il ne permet pas la relation à long terme », indique le rapport d’étape de la commission SPA.

Les avocats ont alors imaginé une toute nouvelle structure, une association s’inspirant de l’Association d’avocats à responsabilité professionnelle individuelle ou Aarpi. Il s’agit de l’Association interprofessionnelle à responsabilité professionnelle individuelle (Airpi). Celle-ci « serait ouverte dans un premier temps aux seuls avocats et experts-comptables. Son périmètre pourrait être étendu dans le futur à d’autres professions réglementées ».

Regroupement de compétences différentes.

L’Airpi permet à des structures existantes – personnes physiques ou personnes morales – de s’associer sans pour autant perdre leur individualité, et notamment leur régime juridique, fiscal et social. Le rapport d’étape relève que par conséquent, l’Airpi préserve les barrières propres à chaque profession telles que « le secret d’avocat, par exemple, qui bénéficie d’une protection supérieure à celui de l’expert-comptable ». Le document ajoute que « même si elle ne jouit pas de la personnalité morale, l’Airpi n’en constitue pas moins une structure juridique d’exercice professionnel au sein de laquelle divers professionnels libéraux pourraient exercer leur activité en commun de façon permanente. Néanmoins, chaque membre de l’Airpi resterait propriétaire du fonds d’exercice libéral exploité en commun au sein de la structure. De ce fait, les droits de chacun dans l’association ne sauraient être cédés ».

Des missions et une responsabilité bien identifiées.

Par ailleurs, les associés de la structure devront indiquer « soigneusement », note le rapport, leurs domaines d’intervention respectifs et auront à faire connaître cette définition à leurs clients. « Ce travail constitue le fondement de l’exercice interprofessionnel », est-il précisé. Le projet prévoit également une grande transparence du tarif des interventions, de même que la nécessité de coordonner très strictement les missions communes, en définissant précisément dans un cadre contractuel le rôle de chacun dans les opérations afin d’identifier rapidement, le cas échéant, les responsabilités en cas de difficultés. Il existe trois types de responsabilité : professionnelle, par rapport aux dettes sociales, et interne à l’association. Concernant cette dernière responsabilité, elle s'impose car la défaillance d’un associé a un impact sur la réputation des intervenants au groupement. 

Déontologie.

Par ailleurs, l’étude a tenu à souligner que l’Airpi n’effaçait pas la personnalité juridique de ses membres, ce qui entraîne deux principales conséquences. La première est que la représentation de l’Airpi ne sera pas assurée par une seule personne mais par un comité – composé d’un représentant de chaque métier – chargé de gérer, entre autres, les difficultés avec les clients et de coordonner les tâches.

La seconde réside dans la déontologie. Selon les auteurs du rapport, une déontologie commune n’est pas nécessaire pour assurer la protection du client et de la profession concernée. « Ainsi, la déontologie applicable à l’égard du client pourrait être celle de la profession du prestataire. Il est donc très important de déterminer le rôle de chacun des intervenants lors des missions communes. Quant aux règles déontologiques, elles viseront en particulier le secret professionnel, l’indépendance et la confidentialité, valeurs communes en particulier aux professions du droit et du chiffre, ce qui devrait faciliter l’exercice en commun pour ces professionnels »,commente le rapport. « En résumé, l’Airpi est un peu comme une boutique au sein de laquelle le client obtient tous les services dont il a besoin. Cependant, chaque membre de l’association conserve sa propre déontologie. Toutefois, à chaque création d’Airpi, les Ordres de chacune des professions réglementées doivent donner leur aval », complète Anne Vaucher.  

Secret professionnel.

Concernant le secret professionnel, qui constitue l’une des difficultés majeures de ce projet, l’Airpi propose une série de mesures permettant de ne pas porter atteinte à ce principe. En pratique, et lors de missions communes à différentes professions, les questions de secret professionnel se résolvent au cas pas cas. Selon le CNB, le simple fait pour l’Airpi de rappeler que « chaque professionnel devra appliquer les règles déontologiques de la profession à laquelle il appartient » est un progrès en soi. Le CNB propose également différentes pistes (2).

S’agissant de l’indépendance, Michel Bénichou, ancien président du CNB opposé au projet, indique, dans un article rédigé sur son blog le 24 juin 2013, que « ce qui fait la force des avocats, également à l’égard des entreprises, c’est leur indépendance et leur possibilité de donner un conseil juridique dégagé de toute dépendance et de tout conflit d’intérêts ».

Pour que ce projet d'Airpi voie le jour, encore faut-il que le CNB le vote et qu'un décret l'ajoute à la liste des structures autorisées.  

(1) L’Agefi Actifs n° 576, p 10 et 11 et n° 577, p. 10 à 13.

(2) Document disponible sur www.agefi.fr/patrimoine.