Au fil du patrimoine - Tribune

Assureurs, la tentation de l’obligataire (2/2)

Norbert Gautron, président fondateur du cabinet Galea & Associés

 Norbert Gautron, président fondateur du cabinet Galea & Associés

Les taux ont connu une hausse importante en 2022 : proche de 0% en début d’année, le taux annuel des emprunts d’Etat à 10 ans (TEC 10), principal indicateur des entreprises d’assurance de personnes, dépassait 3% au 31 décembre, avec une volatilité importante. Il faut remonter à 2012 pour trouver un tel niveau ! Après une politique monétaire plus accommodante, un contexte particulièrement incertain (crises ukrainienne et sanitaire, impacts sur l’énergie et les chaînes de production) a obligé les banques centrales à augmenter leurs taux directeurs pour essayer de maîtriser une inflation forte.

Bonne nouvelle pour les assureurs : avec un taux annuel de 3 % pour des emprunts d’Etat et supérieur à 4 % pour des obligations de bonne qualité et liquides, les performances des meilleurs fonds euros utilisés en épargne, retraite et prévoyance devraient augmenter et se tenir au-dessus de 3 % (avant déduction des frais, des prélèvements sociaux et mouvements sur les provisions de participation aux bénéfices).

Mais en matière de gestion obligataire, la problématique est complexe et intègre plusieurs niveaux :

n Le respect sur la durée de l’allocation stratégique : la répartition des placements entre actifs « non risqués » (de type obligataire) et « actifs risqués » (de type actions, immobilier et autres actifs illiquides) est en général fixée à moyen et long terme, en tenant compte en priorité des engagements pris envers les assurés (durée, taux technique, souhaits de revalorisation). Des ajustements peuvent intervenir pour profiter d’un contexte a priori plus favorable sur un marché, comme la vente d’obligations à bas rendement et des reprises de réserves de capitalisation, mais en général dans des intervalles définis dans les mandats de gestion.

n Le « market timing » : une entrée massive sur le marché obligataire à taux fixe à un mauvais moment (par exemple en avril dernier avec un TEC 10 de 1 % alors qu’il s’établissait à 3 % au plus haut en octobre et fin décembre) se traduit dans les comptes sociaux par de moindres rendements financiers (et participations aux bénéfices) significatifs pendant la durée de détention de l’obligation ; le cadre comptable social, qui sert toujours de base au calcul des participations aux bénéfices contractuelles, repose en effet sur une reconnaissance du rendement initial sur toute la durée de détention de l’obligation.

n La « bonne appréciation des risques » : les écarts de rentabilité entre émetteurs sont particulièrement élevés et volatils, y compris au sein des émetteurs étatiques, nécessitant une appréciation fine des risques de crédit et de liquidité. Mais finalement, avec les niveaux de taux actuels, les obligations paraissent particulièrement attirantes actuellement, davantage que les actifs illiquides – immobilier et dette privée notamment –, à l’exception de ceux liés à la transition climatique.

n Le souhait d’investir plus efficacement dans les actifs durables et notamment dans les « obligations vertes ». Après une belle progression en 2022 malgré les performances, le marché de l’« extra-financier », mieux encadré (voir notamment la recommandation 2022-R-02 du 14 décembre 2022 de l’ACPR sur la promotion de caractéristiques extra-financières dans les communications à caractère publicitaire en assurance-vie) et avec davantage d’émissions, offre des perspectives qui peuvent faire évoluer les politiques d’investissement.

Dans ce contexte, les entreprises d’assurance et leurs gérants d’actifs devraient se distinguer, par des choix stratégiques et tactiques opportuns au regard des engagements pris.