Un nouveau guichet de régularisation fiscale pour les professionnels

Par Emmanuel Laporte, avocat fiscaliste, cabinet Laporte, Paris
Le 14 mars 2019, Gérald Darmanin a diffusé un communiqué de presse présentant sept initiatives pour une nouvelle relation de confiance entre les entreprises et l’administration fiscale
Bercy a créé un service de mise en conformité fiscale pour traiter dans un cadre clair et connu toutes les déclarations rectificatives des entreprises sur des sujets complexes

Après avoir publié ce communiqué et un dossier de presse, l’administration a mis en ligne une circulaire datée du 28 janvier 2019[1], présentant les conditions de traitement des demandes de mise en conformité fiscale. La création de ce nouveau guichet de régularisation (service de mise en conformité des entreprises ou Smec) intervient dans le prolongement de la loi pour un État au service d’une société de confiance (ESSOC), étant rappelé que le Ministre a mis fin depuis le 31 décembre 2017 à la procédure de régularisation spécifique aux avoirs à l’étranger auprès du STDR. Tel qu’on le verra, des éclaircissements devront être apportés par l’administration pour que l’opportunité se transforme en succès.

Le champ de compétence du Smec. Cette procédure est destinée à tous les contribuables de la sphère professionnelle. La lettre de la circulaire précise que ce dispositif est ouvert, d’une part, à toutes les anomalies fiscales découvertes par les nouveaux détenteurs et repreneurs d’une entreprise, que ces découvertes aient lieu avant ou après la reprise ; d’autre part, aux problématiques limitativement énumérées ci-après :

En matière de fiscalité internationale

- Activité en France non déclarée, constitutive d’un établissement stable

- Déduction de tout ou partie des intérêts d’un prêt consenti par une société étrangère au mépris des dispositions prévues par l’article 212 du CGI

- Montages illicites ou abusifs : les montages faisant l’objet d’une fiche publiée sur le site « economie.gouv » (par exemple les schémas de délocalisation de profits suite à restructuration, les abus de convention fiscale ou la double déduction d’intérêts d’emprunt) et d’une manière générale les montages impliquant des structures à l’étranger ;

En matière de fiscalité des dirigeants

- Régime fiscal des impatriés prévu à l’article 155 B du CGI

- Non-respect des conditions d’un pacte Dutreil (article 787 B du CGI)

- Non assujettissement à tort d’une plus-value de cession de titres

- Les montages publiés sur le site « economie.gouv », notamment les schémas de management package et les utilisations abusives du PEA ;

Plus généralement

- Toute opération susceptible de relever d’une des sanctions prévues au c de l’article 1728 du CGI (activité occulte) ou aux b et c de l’article 1729 du même code (abus de droit, manœuvres frauduleuses).

La circulaire précise enfin sur ces aspects que la démarche des contribuables doit revêtir un caractère spontané, impliquant l’exclusion du dispositif des entreprises pour lesquelles un contrôle fiscal est en cours, qui ont reçu un avis de vérification ou qui font l’objet d’une procédure d’enquête administrative ou judiciaire. Dans ces cas, d’autres procédures sont prévues, notamment la régularisation en cours de contrôle (article L62 du LPF).

Un périmètre matériel qui devra être rapidement simplifié et précisé. La rédaction de la circulaire soulève des interrogations sur un premier point – essentiel – qui est de savoir quels sont contribuables réellement bénéficiaires de cette procédure. Dans son préambule, le texte indique qu’il peut se trouver des cas où une entreprise ou son dirigeant souhaite spontanément mettre en conformité cette situation. Il fait peu de doute que l’entreprise et son dirigeant sont ici probablement désignés de façon globale, à la fois en leur sens juridique (entreprise individuelle et son propriétaire) et en leur sens économique (incluant les entreprises sociétaires et leurs mandataires sociaux).

Toutefois, on l’a vu, la circulaire désigne aussi expressément les nouveaux détenteurs ou repreneurs d’une entreprise. Dans ce cas faut-il considérer que les actionnaires et les associés non dirigeants pourraient être éligibles à cette procédure pour ce qui les concernerait ? Autre question : est-ce que les associés minoritaires pourraient aussi être regardés comme détenteurs ou repreneurs (en particulier les membres d’un pacte Dutreil n’ayant ni la qualité de dirigeant ni celle d’associé majoritaire) ?

Le trouble est également alimenté par l’indication que le Smec sera le point d’entrée unique de tous les contribuables de la sphère professionnelle, quelle que soit leur taille, tant il est évident que l’expression « sphère » n’a aucune définition juridique mais pourrait soit suggérer une extension à bien d’autres contribuables indirectement impactés par une problématique exposée par la circulaire (personnes physiques non entreprises, entreprises tierces…), soit au contraire se limiter aux seuls contribuables relevant de la fiscalité dite des professionnels (sociétés et entreprises individuelles essentiellement) et directement concernés par les sujets évoqués. D’ailleurs, l’expression « dirigeants » est tout aussi équivoque dès lors que la fiscalité qui leur est applicable relève le plus souvent de la fiscalité personnelle (impôt sur le revenu, droits de mutation dans le cadre d’une donation ou d’une acquisition à titre onéreux, etc…), ce que confirme la nature des problématiques les concernant dans la circulaire. Mais cette expression est aussi une source de perplexité s’agissant des problématiques les concernant selon la circulaire, à l’instar du non-respect des conditions d’un pacte Dutreil (article 787 B du CGI) ; cela signifie-t-il que seuls les contribuables ayant la qualité juridique de dirigeant se verraient offrir cette voie, mais que les membres non dirigeants d’un pacte en seraient exclus ?

Interrogation sur le périmètre des problématiques susceptibles d’être soumises au Smec. On comprend certes que l’entreprise agirait pour ce qui la concerne (vraisemblablement les impôts commerciaux) et via son dirigeant (a priori seul fondé en droit à agir pour le compte de l’entreprise), et que le dirigeant pourrait également agir pour ce qui concerne certaines problématiques de sa situation personnelle tels que visés par la circulaire. On relèvera néanmoins que la circulaire indique que les problématiques visées en matière de fiscalité internationale et de fiscalité des dirigeants sont limitativement énumérées, au travers de la liste susvisée. Pourtant, force est de constater qu'au sein de ces problématiques limitatives figure plus généralement, toute opération susceptible de relever de la pénalité de 80% instaurée par le c de l’article 1728 du CGI et les b et c de l’article 1729 du CGI, formulation au contraire très large qui ne semble pouvoir s’accommoder d’une liste limitative. Cette confusion est confirmée par l’ouverture de la procédure à toute anomalie fiscale découverte par les nouveaux détenteurs et repreneurs d’une entreprise, puisque cette expression également très large pourrait s’étendre en tout sujet visant la fiscalité internationale comme celle des dirigeants, matières dans le même temps enfermées dans une liste limitative. Par exemple encore, alors que toutes anomalies fiscales ou toute opération pourraient parfaitement viser une défaillance intéressant un dirigeant engagé dans un pacte Dutreil au titre de l’ancien ISF dans le cadre du délai de reprise (ex-article 855 I bis du CGI), la liste limitative des problématiques en matière de fiscalité des dirigeants ne désigne que le pacte Dutreil transmission (article 787 B du CGI). Naturellement, ces observations ne sont pas exhaustives mais elles paraissent justifier une rapide clarification du périmètre de la procédure.

Les modalités pratiques du dépôt des dossiers. Les dossiers seront basés sur des déclarations rectificatives. Selon la circulaire, les dossiers devront être déposés auprès du service de mise en conformité des entreprises au sein de la Direction des grandes entreprises. Bien que la DGE a pour vocation première la gestion et le recouvrement des impôts des grandes entreprises françaises, elle constituera le point d’entrée unique de tous les contribuables de la sphère professionnelle, quelle que soit leur taille.

Le dossier de mise en conformité à déposer par le contribuable devra comprendre :

- Une demande de mise en conformité fiscale

- Un écrit exposant de manière précise et circonstanciée la problématique faisant l’objet de la demande, accompagné de tout document probant

- Les déclarations rectificatives couvrant toute la période non prescrite

- Les justificatifs relatifs aux montants concernés et permettant leur calcul pour s’assurer de l’exactitude des données chiffrées

- Une attestation du contribuable selon laquelle son dossier est sincère

Conditions de dépôt des dossiers. La circulaire précise que seuls les dossiers comportant l’ensemble de ces éléments seront instruits mais que, par exception, les contribuables ont la faculté de déposer dans un premier temps leur demande de mise en conformité, l’écrit exposant la problématique et l’attestation de sincérité du dossier, à condition de compléter leur dossier dans les 6 mois suivant la réception de ce premier dépôt, avec les déclarations rectificatives et les justificatifs relatifs aux montants. Au cours de l’instruction des demandes de mise en conformité, l’administration pourra demander des compléments d’information qui devront être fournis par le contribuable sous 60 jours. La circulaire indique qu’en cas de difficulté, les garanties accordées dans le cadre des procédures de contrôle fiscal bénéficieront aux contribuables qui auront déposé une demande de mise en conformité (plus précisément, la possibilité de bénéficier de deux niveaux de recours hiérarchique, de saisir la CNID ou la CDI, la commission de conciliation ou le comité de l’abus de droit fiscal). La circulaire mentionne enfin que des lignes directrices doctrinales seront régulièrement publiées afin d’éclairer les entreprises sur les problématiques concernées et le traitement des dossiers.

Une procédure très inspirée de celle de la circulaire du 21 juin 2013 : à juste titre ? Cette procédure prévoit des modalités pratiques qui ne sont pas sans faire penser à celles prescrites par l’ancienne procédure de régularisation des avoirs non déclarés à l’étranger (clôturée depuis le 31 décembre 2017), tout du moins dans sa version initiale. De la même façon, il est prévu de fonder la régularisation notamment sur une demande de mise en conformité, des déclarations rectificatives assorties de pièces justificatives et sur une attestation de sincérité, un délai de 6 mois est accordé pour déposer le dossier complet après l’envoi d’une demande de mise en conformité, un délai de 60 jours est accordé pour répondre aux demandes d’informations de l’administration, des cas d’exclusion sont exposés, les taux de modulation sont aussi les mêmes que les premiers de la circulaire du 21 juin 2013 (hormis celui de 0% en cas de simple retard) et des lignes directrices sont annoncées (dans l’esprit des questions /réponses périodiquement diffusées par l’administration sur les modalités pratiques et conséquences fiscales). S’il semble légitime que le ministre ait envisagé de s’inspirer d’une procédure qui a rencontré un franc succès sur les plans technique et financier, il reste à savoir si ce dispositif est le mieux choisi dans des matières qui manquent de précision.

La procédure de régularisation des avoirs à l’étranger a très rapidement pris forme grâce à des échanges entre l’administration et les professionnels (notamment l’Institut des avocats conseils fiscaux), permettant de dégager les principales situations rencontrées et les traitements attendus. Cette démarche revêt une grande importance à la fois en matière de prévisibilité, mais aussi afin pouvoir expliquer aux contribuables le fonctionnement et l’intérêt de la procédure.

En effet, le point de départ de la procédure de régularisation des avoirs à l’étranger était beaucoup plus clair et mécanique. L’opportunité d’une régularisation émergeait dès qu’était constatée l’absence de déclaration d’avoirs, de revenus ou de structures détenus à l’étranger. Or, dans le cadre de la nouvelle procédure, les cas risquent d’être bien plus difficiles à identifier. Ainsi par exemple, en matière de management package, on sait que l’appréciation d’un éventuel abus de droit, ou d’une quelconque anomalie, n’est pas aussi binaire que le constat quasi-matériel d’une absence de déclaration de compte à l’étranger ; bien des litiges ont permis d’observer qu’il fallait parfois attendre le dernier mot d’une juridiction pour en avoir le cœur net et que l’administration n’avait pas toujours gain de cause.

Pour ces raisons aussi, il faut espérer que l’administration apportera davantage de précisions sur les cas susceptibles d’être régularisés et, dans chacun de ces cas, quelles déclarations et quelles pièces sont attendues afin d’éviter que le dossier ne soit considéré comme incomplet.

Conséquences fiscales de la démarche. Le contribuable bénéficiera en contrepartie de remises de pénalités et d’intérêts de retard significatives. Les demandes de mise en conformité seront traitées dans le respect du droit en vigueur et dans le cadre des règles de prescription applicables à la date de dépôt du dossier, comprenant le délai étendu de dix ans en cas d’activité occulte (articles L169 et L176 du LPF). Le principe sera, en outre, celui du paiement intégral par le contribuable des impositions supplémentaires ou bien d’un engagement à l’acquitter selon un échelonnement convenu avec l’administration. En revanche, le taux des majorations et de l’intérêt de retard pourra être modulé par voie transactionnelle pour tenir compte du caractère spontané de la démarche du contribuable, selon le barème suivant :

Taux de la pénalité de droit commun

Taux de la pénalité en cas de mise en conformité

Intérêts de retard en cas de mise en conformité

80% (abus de droit, manœuvres frauduleuses)

30%

Réduits de 40%

40% (certains cas d’abus de droit, manquement délibéré)

15%

Réduits de 40%

10% (déclaration tardive)

0%

Réduits de 50%

Lorsqu’une demande de mise en conformité émane des nouveaux détenteurs ou repreneurs d’une entreprise intervenant dans un délai de 18 mois après la reprise, la circulaire distingue trois situations :

- Lorsque les conséquences fiscales de la mise en conformité pèsent en totalité sur le cédant (garantie de passif totale), les remises de pénalité ne trouvent pas à s’appliquer

- Lorsque les conséquences fiscales de la mise en conformité pèsent en partie sur le cédant (garantie de passif partielle), les remises de pénalités s’appliqueront à hauteur du prorata prévu par la convention de garantie de passif et restant à la charge du cessionnaire

- Lorsque les conséquences fiscales pèsent exclusivement sur le cessionnaire, le barème s’appliquera en totalité conformément au cas général prévu par la présente circulaire.

La circulaire prévoit que le contribuable devra s’acquitter des sommes dues à réception d’un avis de mise en recouvrement, dans le délai ou selon le calendrier convenu avec l’administration, après que le contribuable aura signé et renvoyé la transaction au service compétent.

Il est précisé qu’en cas de désaccord avec l’entreprise sur les conditions de mise en conformité, la DGFiP pourra engager un contrôle fiscal. La transaction pourra être remise en cause et déclarée caduque s’il s’avère ultérieurement que les déclarations rectificatives et le dossier déposé ne sont pas sincères. Enfin, ce dispositif fera l’objet d’un bilan à l’issue d’un an de fonctionnement et sera, le cas échéant, aménagé.

Des effets secondaires contestables qu’il conviendrait de dissiper. Sous réserve d’en savoir plus sur les cas régularisables et sur les pénalités de droit commun susceptibles de leur être appliquées, les modulations envisagées sont de nature à donner un réel intérêt à cette procédure. Mais l’imprécision actuelle du dispositif emporte aussi des réserves sur les conséquences fiscales de la démarche.

Il en va ainsi des trois hypothèses exposées concernant les demandes de mise en conformité émanant des nouveaux détenteurs ou repreneurs d’une entreprise intervenant dans un délai de 18 mois après la reprise. En effet, la circulaire semble faire reposer l’allocation des remises de pénalités sur les prévisions d’une convention de garantie de passif, en favorisant les repreneurs. Cependant, la circulaire précise par ailleurs que la procédure est mise en œuvre dans le respect du droit en vigueur ; dès l’abord, il est donc surprenant que la remise des pénalités puisse dépendre des prévisions d’une convention de garantie de passif au lieu de s’en tenir aux définitions légales du redevable de l’impôt et des pénalités. Dans bien des cas, lorsque la garantie de passif est actionnée, le cédant prend en charge la totalité ou une partie du passif nouveau sous la forme d’une indemnisation versée à la société ; cela ne signifie évidemment pas que les conséquences fiscales, en tant que telles, seraient supportées par le cédant qui n’est pas le redevable des impôts commerciaux.

En outre, on peut se demander comment régler une situation dans laquelle aucune garantie de passif n’a été souscrite ou, compte tenu de la variété des clauses possibles, lorsque la convention ne répond pas au triptyque prévu par la circulaire. De plus, il ne faut pas omettre que les clauses de garantie de passif sont parfois sujettes à interprétation ; faudra-t-il ainsi attendre la réponse du juge judiciaire en charge de trancher le litige ? A défaut, les contribuables devront-ils admettre une répartition affirmée par l’administration ?

L’esprit de la démarche est également étonnant ; en effet, il traduit la volonté de n’accorder de remise de pénalités qu’au profit des repreneurs, comme pour sanctionner le cédant qui n’aurait pas précédemment régularisé la situation de l’entreprise. Or, cette approche néglige un point très important, à savoir que la procédure de régularisation n’est ouverte que depuis le 14 mars 2019 ; ainsi, il est évident que certaines clauses de garantie permettront de mettre à la charge du cédant l’indemnisation de conséquences fiscales ayant trait à une période où cette procédure n’existait pas et où il serait absurde de faire grief au cédant de ne pas avoir agi.

De même, il existe des situations dans lesquelles le cédant n’était qu’actionnaire sans fonction de direction, voire des cas dans lesquels le repreneur était auparavant le mandataire social de l’entreprise, rendant inappropriée l’idée même de sanctionner le cédant. On rappellera d’ailleurs que, dans le cadre de l’ancienne procédure de régularisation des avoirs à l’étranger, lorsque certains contribuables déposaient une demande de mise en conformité susceptible de dénoncer d’autres contribuables (hypothèses de donations et successions notamment), l’administration avait en pratique la bienveillance de laisser aux autres contribuables la faculté et le temps de s’associer à la régularisation. Même si un cédant ne pourra plus agir pour l’entreprise, sur le plan des droits de la défense, on peut s’étonner qu’il soit par avance sanctionné au titre d’une procédure discutée au seul avantage des repreneurs et à laquelle il ne sera pas invité à présenter ses observations.

De même, en avertissant le lecteur qu’il disposera des garanties usuelles en cas de difficulté, et qu’un contrôle fiscal pourra être engagé en cas de désaccord, la circulaire ne fait pas mystère du peu de marge de discussion envisagé hormis les seuls recours prévus par la loi fiscale. A ce stade, le contribuable est donc invité à s’ouvrir des problématiques rencontrées, mais la circulaire est silencieuse sur le traitement qui lui sera réservé ; le contribuable n’a pas d’autre choix que de prévoir à l’aveugle de donner son accord quelle que soit l’analyse de l’administration, afin d’éviter d’être confronté à un contrôle fiscal qui n’aura plus rien à voir avec la régularisation initialement espérée.

Cette faiblesse liée à l’imprévision du dispositif est fortement accentuée par le silence de l’administration sur la question du risque de poursuites pénales pour délit de fraude fiscale. Sous l’empire de la circulaire du 21 juin 2013 consacrée à la régularisation des avoirs à l’étranger non déclarés, l’administration avait immédiatement fait savoir – officieusement certes – qu’elle s’abstiendrait de toutes poursuites pénales, hormis certaines situations particulières dont elle avait décrit les contours lors d’échanges informels avec l’Institut des avocats conseils fiscaux. Cette précaution était à saluer non seulement au regard de l’intérêt même de la procédure (régulariser fiscalement pour être poursuivi pénalement ayant peu de sens), mais aussi du point de vue de la prévisibilité et de la nécessaire pédagogie. Les contribuables ont fait confiance en la loyauté de l’administration, en ayant à l’esprit qu’elle avait alors le monopole de l’initiative des poursuites pour fraude fiscale.

Avec la survenance de la loi fraude du 23 octobre 2018[2], le contexte a évidemment changé. En effet, l’article L. 228 du LPF dispose que ’administration est tenue de dénoncer au procureur de la République les faits (…) qui ont conduit à l’application, sur des droits dont le montant est supérieur à 100.000 euros, soit d’une majoration de 100 %, soit d’une majoration de 80 % soit d’une majoration de 40 % si le contribuable a déjà fait l’objet d’une majoration de 40 %, de 80% ou de 100 % ou d’une plainte de l’administration au cours des six années passées.

Il va sans dire que dans le cadre des problématiques visées par la circulaire, des rehaussements très supérieurs à 100.000 euros de droits sont possibles, notamment en cas de perte du bénéfice d’un Pacte Dutreil, et le taux de base des pénalités est laissé à la discrétion de l’administration. Pour transiger sur une remise, il est nécessairement prévu d’appliquer d’abord ces pénalités. Or, si l’administration entend suivre la même méthodologie de régularisation que celle de l’ancienne circulaire du 21 juin 2013, elle impliquera d’abord la notification d’un courrier de procédure informant le contribuable des conséquences financières de ses déclarations et motivant les majorations de droit commun à taux pleins, avant de mettre en œuvre une transaction.

L’article L. 228 du LPF indique à cet égard que l'application des majorations s'apprécie au stade de la mise en recouvrement. Toutefois, lorsqu'une transaction est conclue avant la mise en recouvrement, l'application des majorations s'apprécie au stade des dernières conséquences financières portées à la connaissance du contribuable dans le cadre des procédures prévues aux articles L. 57 et L. 76 du présent livre.

En d’autres termes, l’administration pourrait être tenue de dénoncer le contribuable au procureur de la République même en prévoyant de souscrire une transaction fiscale. De surcroît, s’il apparaissait qu’un désaccord surgisse avec l’administration, la mise en œuvre d’un contrôle fiscal pourrait générer la même dénonciation au stade de la mise en recouvrement. Même si l’article L. 228 du LPF indique que ces dispositions ne sont pas applicables aux contribuables ayant déposé spontanément une déclaration rectificative, encore faudrait-il savoir si le contribuable sera toujours regardé comme ayant déposé une telle déclaration en cas de désaccord avec l’administration (notamment en cas de dossier jugé incomplet). En tout état de cause, ce risque est d’autant plus préoccupant que le texte ne prévoit pas que le contribuable soit informé d’une dénonciation, puisque l'action publique pour l'application des sanctions pénales est exercée sans plainte préalable de l'administration et donc sans saisine préalable de la commission des infractions fiscales.

Pour autant, on peut raisonnablement affirmer qu’en diffusant sa circulaire, le ministre n’a pas eu l’intention de tendre un piège aux contribuables mais bien de leur ouvrir une procédure de régularisation. En revanche, il n’est pas certain que les quelques interrogations et difficultés évoquées ici – parmi d’autres – aient toutes été anticipées. Si l’administration entreprenait d’apporter les éclaircissements de nature à poser les termes d’une relation de confiance, cette procédure pourrait devenir une réelle opportunité pour ses bénéficiaires. A défaut, elle risquerait de ne pas avoir le niveau de succès qu’elle mérite.

 

[1] Circulaire n°MEFI-D19-00468

[2] Loi n°2018-898