Entreprises

Sûretés en période suspecte

Kim Linard, associée, et Frédéric Couffin, collaborateur, département immobilier et financement du cabinet GGV
Dans un arrêt, la Cour de cassation a renforcé la sécurité juridique du bénéficiaire d’hypothèque inscrite en période suspecte
L’autorité de la chose jugée de la décision d’admission d’une créance hypothécaire fait obstacle à l’action en nullité de cette inscription, même effectuée lors de cette période
Kim Linard, associée et Frédéric Couffin, collaborateur, département immobilier et financement du cabinet GGV

L’entreprise qui fait face à une procédure collective connaît des restrictions dans sa gestion et peut voir certains de ses actes annulés si ces derniers ont été conclus durant la période dite suspecte. Cette période s’étend de la date de cessation des paiements au jugement ouvrant la procédure collective. La date de cessation des paiements est fixée par le juge. Elle peut remonter jusqu’à dix-huit mois avant l’ouverture de la procédure collective. En effet, durant la phase précédant la date du jugement d’ouverture, le débiteur peut être soupçonné d’avoir organisé son insolvabilité ou bien également d’avoir privilégié certains de ses créanciers au détriment de l’intérêt collectif, en leur octroyant des garanties pour des dettes contractées antérieurement.
 Ainsi, une hypothèque, un nantissement ou un gage peuvent être frappés de nullité de plein droit si ces sûretés ont été constituées lors de la période suspecte. Un créancier peut donc se retrouver dans la situation inverse qu’il voulait à tout prix éviter en constituant une garantie en sa faveur : être au même rang que les autres créanciers tandis que son débiteur est soumis à une procédure collective, avec le risque, au final, de ne jamais voir sa créance payée. 

Nullité restreinte. Dans un arrêt du 19 décembre 2018, la Cour de cassation restreint le champ d’application de la nullité des sûretés constituées en période suspecte aux sûretés définitivement non admises au passif du débiteur (1). En l’espèce, une banque obtient une hypothèque judiciaire sur un immeuble de son débiteur. Le débiteur est ensuite mis en liquidation judiciaire. La date de cessation des paiements provisoire est fixée postérieurement à la constitution de l’hypothèque judiciaire. Par décision devenue définitive, le juge-commissaire admet la créance de la banque à titre privilégié. Un jugement rendu par la suite fixe la date définitive de cessation des paiements à une date antérieure à la constitution de l’hypothèque. Le liquidateur judiciaire assigne donc la banque en nullité de l’hypothèque judiciaire pour avoir été inscrite au cours de la période suspecte.
 La Cour de cassation juge que l’autorité de la chose jugée de la décision devenue définitive de l’admission de la créance privilégiée rend irrecevable l’action en nullité de l’inscription d’hypothèque judiciaire et ce, quand bien même la date de cessation des paiements serait reportée à une date antérieure à la constitution de l’hypothèque.
 La Cour rappelle de manière constante l’autorité de la chose jugée de l’ordonnance d’admission du juge-commissaire. La Cour avait déjà pu juger que celle-ci empêchait l’action en nullité sur l’existence d’une créance. Par ce nouvel arrêt, l’autorité de la chose jugée est réaffirmée non seulement sur l’existence et le montant de la créance, mais également sur la nature de la créance. Elle confirme aujourd’hui au visa des dispositions actuelles relatives aux difficultés des entreprises que l’admission de la créance privilégiée au passif protège également la sûreté contre la nullité.

Solution transposable. Compte tenu du motif énoncé par la Cour de cassation, cette solution semble transposable à toutes les sûretés autres qu’hypothécaires. Si le liquidateur judiciaire ne peut plus demander la nullité de plein droit d’une sûreté définitivement admise, le mandataire judiciaire et le juge-commissaire devront être d’autant plus vigilants sur la vérification des déclarations de créance à titre privilégié.
 Quant au créancier, il devra porter une attention particulière à sa déclaration de créance. Il devra notamment mentionner de manière expresse la nature privilégiée de la créance en produisant les documents justificatifs nécessaires. Si sa créance prononcée à titre privilégié est régulièrement déclarée, non contestée et admise définitivement au passif, aucune action en nullité de plein droit contre la sûreté ne pourra aboutir, même si cette dernière a été constituée en période suspecte.

Pacte. Cet arrêt reflète l’actualité législative avec l’adoption de la loi dite « Pacte », actuellement en instance devant le Conseil constitutionnel, qui permet au gouvernement de légiférer par ordonnance pour amender les règles relatives aux sûretés et aux créanciers titulaires de sûretés dans le droit des procédures collectives. 


(1) Cass. Com. 19 décembre 2018, n°17-19309.
(2) Article 16, 12° de la loi Pacte. Voir aussi L’Agefi Actifs, n°743, p.18