Protéger son patrimoine et celui de la France

Ludovic Arnaud, fondateur de Next Financial Partners
Méconnue, la loi monuments historiques est l’un des moyens les plus efficaces pour réduire son imposition
Ludovic Arnaud (crédit photo : Aude Lemaitre)

En juillet 2006, la mission d’information du Sénat sur l’entretien et la sauvegarde du patrimoine monumental présenté par Philippe Richert publiait un rapport d’étape particulièrement sévère. Évoquant une « crise grave », elle rappelait notamment que de nombreux chantiers déjà engagés avaient dû être arrêtés et des opérations importantes différées. La situation n’a cessé de s’aggraver avec les crises successives entre 2008 et 2016. Il y a près de quinze ans, la mission estimait déjà que « les 100 millions d’euros provenant des privatisations ne permettraient pas d’éviter cette dégradation ». Le rapport définitif maintenait son « constat alarmant des conséquences de la crise financière ».

La mission parlementaire jugeait indispensable de consacrer au patrimoine monumental une enveloppe annuelle de 350 à 400 millions d’euros. D’autres mesures avaient pour objet d’accompagner la réforme du centre des monuments nationaux, en garantissant notamment le montant de la recette qui lui est affectée. Elle préconisait plusieurs mesures pour répondre aux difficultés spécifiques du patrimoine privé, parmi lesquelles le maintien du dispositif fiscal lié à la loi Malraux et celui de la Loi de 1913 dite Loi monuments historiques. Elle espérait ainsi également soutenir l’investissement dans des zones en grande difficulté budgétaire situées en dehors des très grandes agglomérations comme Paris, Lyon ou Bordeaux.

Pour trouver une solution à la sauvegarde du patrimoine français, Emmanuel Maron a confié en 2017 une mission à Stéphane Bern avec trois objectifs : signaler le patrimoine en danger, le protéger et enfin, le valoriser en le développant au travers de l’économie locale. Trois ans plus tard, force est de constater que l’initiative ne suffit pas et que le salut de notre patrimoine passera forcément par la sphère de l’investissement privé et donc notamment grâce à l’incitation fiscale de la loi monuments historiques.

Un avantage fiscal certain

Solidement ancrée dans l’arsenal législatif français, la loi monuments historiques codifiée aux articles 156 et 156 bis du Code général des impôts répond à un double objectif de défiscalisation et de conservation d’un patrimoine historique. Le principe du dispositif est assez peu connu mais reste l’un des plus intéressants, si ce n’est le plus intéressant, pour réduire son imposition. Il permet de déduire des revenus de l’investisseur, la totalité des travaux d’entretien qui auront été nécessaires à la réhabilitation du monument acquis et cela sans plafond ni limitation de durée. Si les charges foncières dépassent le revenu global de la même année, alors l’excédent est reportable, sans limite de montant, sur le revenu global imposable des six années suivantes.

Pour bénéficier de l’avantage fiscal, le propriétaire d’un monument s’engage à conserver son bien pendant une durée minimum de quinze ans. C’est pourquoi ce dispositif ne peut s’adresser qu’aux seuls investisseurs ayant un horizon de placement sur le long terme. Une problématique pas forcément si contraignante quand on sait que 68 % des investissements réalisés par les Français sont effectués dans l’immobilier de long terme contre seulement 17 % pour l’assurance vie (1).

Réduire son IFI

La loi monuments historiques offre également un avantage fiscal pour les investisseurs soumis à l’Impôt sur la fortune immobilière (IFI). En effet, il s’agit du seul dispositif qui peut, dans certains cas, non seulement réduire sensiblement l’IFI, mais même l’annuler complètement. Au titre de l’article 979 du Code général des impôts, le montant de l’IFI est plafonné. Celui-ci, cumulé avec le montant des autres impôts du foyer, ne peut en aucun cas dépasser 75 % de leur revenu global. Or, grâce au dispositif fiscal monuments historiques, le revenu global peut être diminué, voire réduit à néant en fonction de l’investissement réalisé, annulant ainsi l’assiette de l’IFI.

Et, cerise sur le gâteau, le dernier avantage fiscal de ce dispositif est celui de l’optimisation de la transmission de son patrimoine. L’article 795 A du code général des impôts (CGI) exonère de droits de mutation à titre gratuit les immeubles classés ou inscrits sur l’inventaire supplémentaire des monuments historiques et les meubles qui en constituent le complément historique ou artistique. Cependant, cette exonération est accordée à condition que l’immeuble soit ouvert au public entre soixante et quatre-vingts jours par an. Les héritiers doivent alors signer une convention avec l’administration, les engageant à entretenir le bien et maintenir l’ouverture au public pour bénéficier de cette exonération.

Par ce dispositif fiscal, l’État oriente ainsi l’épargne des français vers l’économie réelle et contribue à la création d’emplois spécialisés. En revanche, seuls les programmes ayant reçu l’agrément fiscal délivré par le ministère des finances sur accord préalable du ministère de la culture peuvent bénéficier de ces avantages. Il est donc indispensable de recommander à tout investisseur de vérifier si le programme dans lequel il souhaite investir a reçu l’agrément de Bercy.

Un profil particulier

Tous les investisseurs ne peuvent pas investir dans ce type de programme car il nécessite une réelle approche patrimoniale et un conseil approprié et indépendant. Par exemple, dans le cadre du programme de réhabilitation du Fort des Têtes de Briançon (2) dont Next Financial a la charge, nous ne pouvons pas délivrer un conseil indépendant à des clients désireux d’investir. C’est la raison pour laquelle nous orientons les investisseurs sur les réseaux de conseillers en gestion de patrimoine indépendants.

Réaliser un bilan patrimonial avec un CGP sera donc crucial. Il lui faudra évidemment bien définir le niveau de connaissance en matière d’investissement financier de son client, ainsi que ses précédentes expériences en matière d’épargne. Il pourra ensuite définir avec lui ses objectifs et établir une stratégie pour gérer son capital. Ce n’est qu’à partir de ce diagnostic que le conseiller pourra déterminer s’il est adapté ou pas d’investir dans ce type de projet.

Cas pratique

M. Dupont est célibataire sans enfant, il a un salaire annuel de 100.000 euros et des revenus fonciers annuels de 25.000 euros. Il acquiert une maison éligible au dispositif monuments historiques pour une valeur de 500.000 euros avec des travaux estimés à 300.000 euros. La maison est située dans la région lyonnaise aux alentours de Villefranche, il pourra donc en retirer un loyer de 1.500 euros par mois après les deux ans de travaux nécessaires à la réfection du monument.

M. Dupont va pouvoir défiscaliser 300.000 euros étant donné qu’il s’agit de la quote-part affectée aux travaux d’amélioration et de conservation du bien. Les 300.000 euros seront imputés directement sur les bases imposables en commençant par les revenus fonciers puis sur les revenus du travail. L’excédent, quant à lui, sera reportable pendant six ans. Ainsi, pendant deux ans M. Dupont ne sera pas redevable de l’impôt sur le revenu (au lieu de 41.497 euros selon le barème d’imposition en vigueur) puisque la totalité de ses revenus seront couverts par les 300.000 euros. La troisième année, avec le barème d’imposition en vigueur, il paiera 24.077 euros d’impôts (au lieu de 51.973 euros) calculés sur les 143.000 euros (salaire + revenus fonciers incluant cette fois la location du monument) - 50.000 euros (excédent restant) = 93.000 euros de revenus.

Au total, l’investissement réalisé lui aura permis de réaliser une économie d’impôt de l’ordre de 111.923 euros (41.497 * 2 + 27.896). Il devra cependant conserver son bien durant 15 ans minimum, qui lui permettra de percevoir en 15 ans 270.000 euros de revenu à raison de 1.500 euros par mois.  L’investissement lui aura couté 800.000 euros, et il en aura amorti 381.923 euros au bout de 15 ans. Il pourra, à l’issue de ces 15 ans, conserver son bien ou le revendre.

A retenir

- La loi monuments historiques permet de déduire des revenus de l’investisseur, la totalité des travaux d’entretien nécessaires à la réhabilitation d’un bien acquis figurant sur la liste des monuments historiques ou dans un programme de réhabilitation, d’un monument ayant obtenu l’agrément du ministère de l’Economie et des Finances et cela sans plafond ni limitation de durée. 
- La durée de détention minimum du bien pour profiter de l’avantage fiscal est de 15 ans. 
- Si les charges foncières dépassent le revenu global de la même année, l’excédent est reportable, sans limite de montant, sur le revenu global imposable des six années suivant l’acquisition. 
- Le dispositif fiscal permet de réduire l’assiette de l’IFI. 
- Dans le cadre d’une transmission, le bien sera exonéré de droits de mutation selon l’article 795 A du CGI, à condition que les héritiers signe une convention avec l’administration les engageant à entretenir le bien et maintenir l’ouverture au public entre soixante et quatre-vingts jours par an.

(1) Enquête Insee Janvier 2020.
(2) Next Financial a pris la tête du projet de rénovation du Fort des Têtes estimé à 75 Millions d’euros sans aucun investissement public. Pour la première fois en France c’est un investisseur privé, qui grâce à un montage juridique s’appuyant sur la loi monuments historiques, prendra en charge à 100 % le coût total du projet