
Le nouveau pacte est l'objet d'une question ministérielle

Dans le cadre de la loi de finances pour 2019, le législateur a souhaité simplifier le régime du pacte Dutreil transmission, notamment en ce qui concerne les conditions liées à la holding de reprise (art. 787 B du CGI). L’intention était louable, mais encore une fois sa réalisation laisse à désirer. A croire que le pacte Dutreil rime avec absence de logique et complexité.
Réécriture du Dutreil transmission. Pour se rapprocher de la réalité économique, les parlementaires ont réécrit en totalité l’article portant sur les opérations d’apport de titres « pactés » à une holding de reprise, couramment utilisée dans les schémas de transmissions intrafamiliales d’entreprise dites aussi LBO familial (art. 787, B, f, du CGI). Lorsque le dirigeant donne à ses enfants tout ou partie des titres qu’il détient dans la société cible au moyen d’une donation-partage égalitaire, et qu’aucun autre bien ne peut être transmis, alors il est convenu que l’enfant repreneur recevra la totalité des titres, à charge pour lui de verser une soulte à ses frères et sœurs non-repreneurs, correspondant à la valeur des parts. Si les titres sont donnés sous le régime Dutreil transmission, alors chacun des donataires bénéficiera de l’abattement de 75 %, même ceux qui ne reçoivent que du numéraire. Pour financer cette opération, l’enfant repreneur constitue une holding de reprise dans laquelle il loge ses titres. A charge pour la société d’acheter les titres des autres donataires.
Endettement de la holding. Le mode de financement est le suivant : la holding contracte un prêt bancaire pour financer la soulte des non-repreneurs. Elle remboursera ses échéances grâce aux dividendes remontés de la société d’exploitation. Tout l’intérêt de ce montage est de bénéficier, sous réserves, du régime mère-fille. En conséquence, les dividendes distribués par la société cible remontent dans la holding en quasi franchise d’impôt, après réintégration d’une quote-part pour frais et charges de 5 %. Le montant de l’impôt étant moindre, la holding dispose d’une trésorerie plus importante pour rembourser son prêt et payer la soulte qu’elle doit aux non-repreneurs. Cet effet de levier fiscal facilite la reprise de la société lorsque tous les enfants ne sont pas repreneurs et qu’aucun autre bien ne permet de les désintéresser. En l’absence de société holding, l’enfant repreneur aurait dû s’endetter à titre personnel et les dividendes qu’il aurait perçus de la société cible auraient été imposés au prélèvement forfaitaire unique de 30 %.
Assouplissement des conditions d’éligibilité au Dutreil. Jusqu’au 1er janvier 2019, les titres pactés ne pouvaient être apportés à une holding de reprise uniquement pendant l’engagement individuel de conservation. De plus, la holding devait avoir pour objet unique la gestion des titres donnés et apportés. Enfin, la direction devait être assurée par l’un des donataires, lesquels devaient détenir le capital de la holding. Le législateur permettait toutefois que le donateur puisse détenir une participation directe et minoritaire dans le capital de la holding. Depuis la loi de finances pour 2019, ces critères ont totalement changé. Il est désormais possible d’apporter les titres donnés au cours de l’engagement collectif de conservation. Comme sous le régime antérieur, les titres apportés et ceux remis en contrepartie devront être conservés par la holding et les apporteurs jusqu’à l’expiration de l’engagement individuel. Il est vivement conseillé de formaliser ces engagements de conservation dans les statuts constitutifs de la holding.
Elargissement de l’objet de la holding. La condition liée à l’objet exclusif a quant à elle disparu. Elle laisse place à une condition économique selon laquelle à l’issue de l’apport et jusqu’au terme de l’engagement individuel, la valeur réelle de l’actif brut de la holding doit être composée à plus de 50 % des titres apportés et placés sous le régime Dutreil. Attention donc aux distributions de dividendes au sein de la société opérationnelle, car l’accumulation de trésorerie pourrait mettre à mal le respect de cette condition. La holding de reprise ne pourra donc pas être gérée comme une cash box. Au regard de cette nouvelle exigence, il est parfaitement regrettable que le législateur ait exclu de ce quota de 50 % les titres acquis à titre gratuit ou onéreux dans la même société ou le même groupe, mais qui ne bénéficient pas du régime Dutreil transmission. Par exemple, si les titres donnés et apportés sous ce régime représentent 49 % du capital social et des droits de vote de la société et qu’ensuite la holding de reprise souhaite acquérir le solde (51 %), alors la condition requise ne sera plus respectée. L’abattement de 75 %, voire la réduction d’impôt de 50 %, seront donc remis en cause. Il eût été préférable que la totalité des titres détenus par la holding dans la société ou dans le groupe soit prise en compte, peu importe leur mode d’acquisition et leur régime fiscal. Le législateur a oublié qu’il s’agissait de transmettre une société pour se concentrer sur des comptes d’apothicaires.
Ouverture aux holding animatrices. Nous noterons toutefois qu’il est désormais possible pour la holding de diversifier ses actifs, d’être animatrice et de délivrer des prestations de services. Avant cette réforme, la condition liée à l’objet social nécessitait d’apporter les titres à une holding créée à cet effet et qui devait être passive. Aujourd’hui, il est envisageable d’apporter les titres donnés à une holding pure ou animatrice dès lors que la condition liée à la valeur réelle de l’actif est satisfaite post-apport. Autre condition : 75 % au moins du capital et des droits de vote de la holding doivent à l’issue de l’apport être détenus par les signataires du pacte et l’une au moins de ces personnes doit y exercer une fonction de direction. Autrement dit, le solde du capital peut être détenu par n’importe qui.
Dépôt d’une question ministérielle. Cette nouvelle rédaction laisse perplexe et c’est pourquoi nous avons pris l’initiative de déposer une question écrite (1) à l’Assemblée nationale, afin que le ministre lève cette incertitude. Il lui est demandé de confirmer que les droits détenus par les signataires de l’engagement collectif doivent être retenus pour apprécier le quota de 75 %, quand bien même ces derniers ne seraient pas soumis à une obligation individuelle de conservation et que par voie de conséquence, ceux-ci seraient éligibles à assurer les fonctions de direction jusqu’à l’expiration de l’engagement individuel. Par ailleurs, qu’en serait-il lorsque le donataire se prévaut du réputé acquis qui permet de passer outre la signature d’un engagement collectif de conservation ? Ce qui signifie que le donataire ne pourrait pas créer de holding dès lors qu’il n’est soumis à aucun engagement collectif de conservation. Dans cette hypothèse, aucune personne n’aurait en effet été soumise à l’engagement collectif, condition requise par le texte à l’aune d’une lecture cumulative. Le donateur n’étant pas non plus soumis à l’engagement individuel de conservation, ses titres ne seraient pas pris en compte dans le quota de 75 % et il ne pourrait pas assumer la fonction de direction requise.
Lecture contradictoire du texte. En conséquence, faut-il retenir une lecture stricte de la loi ? Si l’on se réfère au rapport publié en novembre 2018 (2) par la commission des finances publiques de l’Assemblée nationale, non. En effet, ce rapport précise que les 75 % du capital et des droits de vote de la holding doivent, après l’apport, être détenus par les personnes soumises à l’engagement collectif ou à l’engagement individuel. Ainsi, les titres détenus par le donateur seraient pris en compte dans le quota de 75 % et ce dernier pourrait exercer une fonction de direction en son sein. D’autre part, en cas de réputé acquis, le donataire pourrait créer une holding de reprise. Au contraire, le rapport (3) du Sénat précise que 75 % au moins du capital et des droits de vote de la holding de reprise doivent être détenus par les bénéficiaires de l’exonération et être dirigée directement par ces derniers. Autrement dit, les titres détenus par le donateur ne seraient pas pris en compte dans le quota de 75 % et ce dernier ne pourrait pas y exercer de fonction de direction. Il existe donc à ce jour une incertitude majeure fortement regrettable. La nouvelle rédaction de l’article 787, B, f, du CGI ne correspond pas à la volonté de simplification du législateur. Nous espérons que la position de la commission des finances publiques de l’Assemblée nationale sera retenue. Dans le cas contraire, la simplification serait une chimère bloquant plusieurs opérations comme les donations en démembrement avec report de ce dernier sur les titres de la holding remis en contrepartie de l’apport.
Autre question. En présence de plusieurs enfants repreneurs, est-il possible que chacun d’eux crée sa propre holding ? Ou alors sont-ils obligés d’apporter leurs titres à une seule et même holding ? Le doute était permis sous l’ancienne rédaction et il subsiste encore avec la nouvelle. En attendant plus de précisions, il est préférable de considérer qu’une seule et unique holding de reprise peut être constituée, quand bien même cela est dénué de sens
(1) Question n°17930 du 19 mars 2019
(2) Rapport n°1302 du 11 octobre 2018
(3) Rapport n°147 du 22 novembre 2018