La réversion, l’oubliée de la réforme des retraites

Romain Boissin, maître de conférences, directeur pédagogique M2 gestion de patrimoine et Thierry Leenhardt, maître de conférences associé
En dépit d’enjeux colossaux, le sujet de la pension de réversion n’a pas suscité d’importants débats… pour l’instant.

Alors que le projet de réforme des retraites est rentré dans le parcours législatif au Sénat lundi 27 février 2023, après celui controversé à l’Assemblée nationale, force est de constater que la problématique de la pension de réversion ne fait pas l’objet d’un débat très important.

Ce triste constat est d’autant plus étonnant que les enjeux sont colossaux, et que le précédent projet de réforme, des retraites à points en 2019, emporté par la crise sanitaire, avait posé un regard plus appuyé sur les évolutions inévitables que demande ce dossier.

Des chiffres incontournables (1)

- Plus de 17 millions de retraités tous statuts confondus, une retraite moyenne brute pour les salariés de droit privé de 1.784 euros pour les hommes, contre 1.049 euros pour les femmes.

- Une présence de femmes retraitées (plus de 7,1 millions) qui tend à croître par rapport à celle des hommes (près de 6,1 millions).

- Une espérance de vie à la naissance plus importante de six ans pour les femmes (85,2 ans, contre 79,3 pour les hommes).

- Une espérance de vie à la retraite pour les femmes supérieure de cinq ans par rapport aux hommes (27 ans, contre 22).

- Le coût d’un Ehpad, estimé à 74,14 euros par jour, soit 2.224 euros par mois de trente jours. Selon l’étude UniSanté 2022, 610.000 personnes y résident, dont trois quarts de femmes.

- Le coût de la dépendance, sachant que plus de la moitié des résidents en Ehpad sont dépendants au sens de la grille GIR 1 à 2 et que le coût moyen du maintien à domicile s’élève à 2.200 euros par mois.

Des enjeux économiques notables… pour les femmes (2)

Ils sont 4,4 millions de retraités à bénéficier d’une pension de réversion (86 % de femmes) et un quart d’entre eux (1,1 million) ne percoivent qu’une pension de réversion sans aucune pension de droit direct… dont 95 % de femmes.

La pension de réversion représente 20 % de la retraite totale des femmes, contre à peine 1 % pour les hommes, ce qui, à terme, peut représenter une ressource complémentaire indispensable.

Des modalités de calcul complexes et différentes (3)

Si la grande majorité des régimes n’accordent la réversion qu’à partir d’un certain âge, allant de 50 à 65 ans, généralement 55 ans, les régimes de la fonction publique se distinguent en n’imposant aucun âge minimum. Tous, en revanche, s’accordent sur deux points :

- il faut avoir été marié, et

- il faut faire la demande de réversion. Si elle excède les douze mois après le décès, elle n’ouvre aucun effet rétroactif sur les droits.

Si on veut simplifier, on pourrait dire que le taux de réversion des régimes de retraite de base est de 54 % pour les régimes de droit privé et de 60 % pour les retraites complémentaires.

Pour la réversion de la retraite de base de droit privé, son obtention est aussi, et surtout, conditionnée à des plafonds de ressources annuelles précisés par l’article D.353-1-1 du Code de la Sécurité sociale, de 2.080 fois le montant horaire du Smic, soit, en 2023, un maximum de 23.441,60 euros (conditions majorées pour un couple).

Pour les retraites complémentaires de droit privé, on pourrait presque dire que c’est l’inverse. En effet, si le taux de réversion est plus généreux – 60 % pour les retraites Agirc-Arrco par exemple –, il n'y a pas de prise en compte des ressources du survivant… mais elle cesse d’être versée en cas de remariage.

C’est cette dualité qu’il convient de prendre en compte pour le couple afin d’élaborer une stratégie patrimoniale adaptée aux besoins du survivant.

Des réflexions patrimoniales à mener en amont (4)

Eu égard aux conditions ci-dessus chiffrées, il convient de mettre en œuvre, dans tout bilan patrimonial pour le couple, une vision précise sur les conséquences sociales d’un décès pour le survivant. Cette approche doit être déclinée en deux parties, et tout d’abord par une analyse civile du couple.

Celle-ci passe par toute une série de vérifications (durée du mariage, nombre de mariages, leur durée pour chacun, séparation, divorce…).

Quand cette première étape sera réalisée, il faudra passer à l’étude des conditions de ressources pour le calcul de la réversion de la retraite de base.

En effet, peu de veufs ou veuves sont conscients des modalités de calcul des revenus personnels pris en compte, à savoir :

- les revenus d’activité au sens large (professionnels, allocations chômage, indemnités journalières maladie ou pension d’invalidité, retraites de base et complémentaires) ;

- les revenus des biens personnels au sens biens « propres », mobiliers ou immobiliers, estimés à 3 % de leur valeur, hors résidence principale ;

- les revenus de l’éventuel conjoint ou du concubin ;

- les biens donnés aux descendants moins de dix ans avant le décès du conjoint, pour 3 % ou 1,5 % de leur valeur selon l’ancienneté de la donation, les donations n’étant plus comptabilisées au-delà.

On le voit, tout cela demande du temps et de la préparation, pouvant entraîner, selon le cas, des changements de régime matrimonial, des donations anticipées…

Il faudra également être vigilant car les revenus à déclarer sont ceux des trois derniers mois ; si ceux-ci sont supérieurs au plafond, le calcul s’effectue alors sur les douze derniers mois ; si ce dernier est plus favorable, c’est lui qui sera retenu.

Mais le parcours du combattant ne s’achève pas là car la caisse de retraite de base garde un pouvoir de contrôle, la réversion pouvant ensuite faire l’objet d’une réévaluation, d’une réduction, voire d’une annulation, selon les éléments qui seront portés à sa connaissance (plus aucune révision possible trois mois après la date de départ des retraites de base et complémentaire du conjoint survivant).

En conclusion, la vigilance s’impose, à la lumière du projet en cours de débats parlementaires et des derniers amendements possibles (par exemple, un taux de réversion unifié entre le public et le privé, une menace sur la réversion en cas de divorce, voire la non-prise en compte des ressources du conjoint survivant). D’autant que le chantier peut très vite s’ouvrir : à l’été 2023, comme l’indiquait en début d’année le ministre du Travail, Olivier Dussopt, dans le cadre d’un chantier plus global portant sur « la modernisation des droits familiaux ».

Il faudra donc apporter un regard actualisé et plus aiguisé pour les couples, et prendre les décisions au bon moment et pour les bonnes raisons. Telles les décisions, pour les concubins ou les pacsés, de se marier… au plus tard la veille du décès ; ou, à l’inverse, pour les veuves ou veufs d’un(e) conjoint(e) ayant bénéficié d’une retraite complémentaire importante… de ne pas se remarier…

(1) Dossier n° 103 DREES novembre 2022, Agirc-Arrco 1er octobre 2022, rapport Insee 17 janvier 2023.

(2) Les retraités et les retraites - Drees, mai 2022, Insee Références – Edition 2022 – Fiche 4.3 – Retraites et minimum vieillesse.

(3) Agirc-Arrco 1er novembre 2022.

(4) www.service-public.fr, www.lassuranceretraite.fr.