Justice/Covid-19

La médiation en réponse à la crise judiciaire

David Lutran, avocat au Barreau de Paris ; Médiateur agréé par le Centre de Médiation et d’Arbitrage de Paris (CMAP)
Le paysage juridictionnel est aujourd’hui en déshérence ; plus rien ne fonctionne, mis à part quelques ilots d’urgence
Tout le spectre du contentieux est concerné par cette catastrophe, de l’affaire la plus modeste à celle de plus grande échelle

La crise sanitaire n’épargne pas la justice française. Déjà critiquée pour son manque de moyens et sa lenteur, celle-ci est frappée de plein fouet par la pandémie de coronavirus qui sévit actuellement avec ses impératifs de confinement, bloquant ainsi la société tout entière. L’intensification du recours aux modes amiables de règlement des différends – et notamment à la médiation – est inéluctable.

 

Acteurs dans le flou. Tribunaux fermés, audiences reportées, incertitude totale sur la date de reprise effective du service judiciaire… La situation est grave et les justiciables en feront nécessairement les frais, qu’il s’agisse des procédures en cours ou de celles à venir. Tous les acteurs concourant au fonctionnement de la justice sont aujourd’hui dans le flou et éprouvent les plus grandes difficultés à gérer une situation à laquelle ils n’ont pas été préparés. Et pour cause, puisque la communauté judiciaire est malmenée comme elle l’a rarement été : les magistrats ne peuvent plus siéger que dans les affaires d’extrême urgence (dont la démonstration doit d’ailleurs être faite pour qu’une affaire soit examinée), l’accueil physique comme téléphonique n’est plus qu’un lointain souvenir, tandis que la relève du courrier papier comme de la messagerie électronique est devenue l’exception. Les communiqués sur le nouveau rythme des tribunaux se succèdent pour annoncer leur mise en sommeil, y compris dans les dossiers d’exécution. Le paysage juridictionnel est aujourd’hui en déshérence ; plus rien ne fonctionne, mis à part quelques ilots d’urgence. Ainsi, l’avocat ne peut plus plaider, l’huissier est désemparé pour la délivrance de ses actes… Quant au greffier – ce bras droit du juge – il est tenu à l’écart de son tribunal pour n’en avoir plus l’accès. Le juge est devenu un acteur solitaire dont les décisions ne peuvent produire d’effet à elles seules, sans le concours des professionnels qui permettent leur inscription dans le réel. Combien de temps tout cela durera-t-il ? Nul ne le sait aujourd’hui.

 

Situation d'anémie. Toute la logique présidant à l’édifice judiciaire se trouve donc remise en cause jusqu’à nouvel ordre – c’est-à-dire à une date inconnue à ce jour, étant précisé qu’il ne saurait être exclu que cette situation d’anémie de la justice – déjà impactée par plusieurs grèves récentes (en ce compris celle des avocats) – se prolonge avec le service habituellement allégé de la période estivale qui n’est pas si loin. Comme un avocat habitué des prétoires du Tribunal de commerce de Paris a pu l’indiquer ces derniers jours à l’auteur de ces lignes, avec une pointe d’ironie mêlée d’amertume : « la mise en état est devenue un concept vague ».

 

Difficultés d’ordre procédural. A ces préoccupations de logistique judiciaire s’ajoutent d’autres questions juridiques structurantes provoquées par l’inactivité prolongée des juridictions, telles que la prescription (tous domaines confondus – en matière civile, commerciale, immobilière ou en encore sociale (…) – ou encore les délais à respecter une fois les procédures engagées. A ces difficultés d’ordre procédural génératrices d’un climat anxiogène pour les professionnels du droit s’en ajoutent d’autres, contribuant à aggraver l’insécurité juridique dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. L’on citera, pour exemple, l’impact de la pandémie sur les relations contractuelles en cours – et notamment dans le cadre des contentieux de l’imprévision et de la force majeure – lorsque des parties, en défaut d’exécution, se prévaudront de ces circonstances exceptionnelles pour se dédouaner de leur responsabilité.

Si le phénomène n’est pas nouveau – l’on pensera par exemple au contentieux généré par d’autres pandémies il n’y a pas si longtemps (SRAS en 2003, H1N1 en 2009, ou encore Ebola en 2014) – il frappe aujourd’hui par son ampleur, qu’il s’agisse du cas particulier de la France, mais également au-delà, puisque aucun pays n’est épargné par la crise sanitaire actuelle (près de 3 milliards de personnes étant confinées à la date de cet article selon les informations disponibles dans la presse). Tout le spectre du contentieux est donc concerné par cette catastrophe, de l’affaire la plus modeste à celle de plus grande échelle (le cas échéant avec des implications internationales), le constat étant en effet le même à toutes les strates sociales et économiques.

 

Apporter aux justiciables des solutions. Compte-tenu des vicissitudes des juridictions de notre pays, d’un contentieux non encore traité déjà abondant mais également du contentieux massif que cette crise va inéluctablement provoquer, la question se pose de savoir comment apporter aux justiciables des solutions opérationnelles, adaptées et définitives à leurs litiges, le tout dans des délais suffisamment courts.

Les professionnels de la justice s’accordent à dire que la situation, déjà compliquée, ne pourra se résorber avant plusieurs mois, tandis que la crise actuelle est (et sera par ses conséquences à plus ou moins long terme) naturellement génératrice de contentieux de toutes sortes, qu’ils soient directement en prise avec l’activité économique (contentieux des affaires en général) ou étant la conséquence de la récession annoncée : contentieux des relations de travail, immobilier…

 

Temps long. On l’aura compris, la réponse judiciaire fera défaut pendant un temps qui sera long – en France comme ailleurs – et en tout état de cause trop long pour solutionner des problèmes appelant une résolution rapide et adaptée aux besoins et impératifs des justiciables en cette période compliquée, complication qui ira croissante au fur et à mesure des reports annoncés et programmés de décisions pourtant attendues, par-delà le simple traitement des affaires. De sorte qu’il sera vraisemblablement difficile pour le justiciable – nonobstant ses attentes légitimes dans un Etat de droit – de pouvoir s’en remettre à la justice « traditionnelle » pour espérer obtenir une réponse définitive  à ses préoccupations.

 

Efforts de promotion des modes amiables. Le contexte, de même que les difficultés qui s’annoncent, posent question sur la façon dont la justice sera et pourra être rendue. L’insuffisance de ses moyens, couplée à la longueur naturelle des procédures et aux difficultés d’exécution des décisions, sont autant d’obstacles à la satisfaction des besoins de justice, aujourd’hui et surtout demain. Pourtant, il est indispensable que les pouvoirs publics intensifient leurs efforts de promotion des modes amiables (également appelés modes alternatifs) de règlement des différends en informant les justiciables de leur existence et de leur pertinence pour parvenir rapidement, et à moindre coût (financier mais pas seulement, tant sont divers les dégâts générés par le conflit), à des solutions efficaces et adaptées à leurs litiges. A ce titre, le recours à la médiation – déjà consacrée par les textes et obligatoire pour certains litiges – gagnerait à être intensifié, tant pour permettre à la justice de se concentrer sur les procès appelant une réponse juridique très précise au vu des sujets en cause que pour offrir aux justiciables la garantie d’une solution sur-mesure.

 

Tiers neutre, indépendant et impartial. Par médiation, l’on entend un processus confidentiel intervenant en dehors d’un procès, ou en marge de celui-ci, tendant à la résolution d’un différend entre des parties, avec l’aide d’un tiers neutre, indépendant et impartial appelé médiateur. Son rôle est de faciliter l’établissement et la poursuite d’un dialogue entre les parties et de les accompagner dans leur démarche amiable pour parvenir à un accord, étant précisé qu’il ne pourra se substituer à elles, les parties demeurant seules décisionnaires pour l’élaboration de la solution et la mise en œuvre de leur accord. La médiation permet de déterminer précisément l’objet du conflit ainsi que son origine profonde en vue de l’émergence d’une solution durable entre les parties. Contrairement à la procédure judiciaire – enserrée dans des contraintes temporelles et juridiques strictes – la médiation combine les avantages en répondant aux attentes des parties à un litige :

- Rapidité : à l’inverse des procédures judiciaires nécessitant plusieurs années avant de parvenir à leur terme – c’est-à-dire permettre de disposer d’une décision définitive, et donc insusceptible d’être remise en cause – la médiation permet le plus souvent de résoudre un litige au bout de quelques réunions ne totalisant pas plus de quelques heures .

- Coût maîtrisé, dans la mesure où les parties parviennent en un temps souvent très court à une solution – avec un taux de réussite de 75 % en moyenne – qui leur convient, les honoraires du médiateur étant de surcroît souvent partagés entre elles.

- Confidentialité : contrairement à la justice étatique qui pose comme principe cardinal celui de la publicité des débats, la médiation est confidentielle ; les parties peuvent tout se dire sans risque que les propos ou informations échangées puissent déborder de ce cadre sécurisé.

- Liberté enfin, puisque les parties ont toute latitude – dans le respect des dispositions d’ordre public – d’échafauder la solution qui leur convient le mieux et, ainsi, d’échapper à l’aléa judiciaire.

 

Regard nouveau sur la justice. Nous formons le vœu que cette crise puisse permettre de porter un regard nouveau sur la justice et la place qui devrait être la sienne dans notre société, en redonnant aux individus la possibilité d’être les artisans libres et éclairés de solutions élaborées pacifiquement sans recours systématique au juge.