Assurance vie

Co-adhérer est-il nover ?

Benoît Berchebru, revient sur la question de la novation en cas d’ajout d’une tête assurée dans un contrat d’assurance vie
La « novation » est un effet contractuel qui, par suite du changement de créancier ou de débiteur, modifie les conditions d’exécution et obligation d’un contrat de sorte qu’elle vaut renonciation à la créance primitive
Benoît Berchebru, responsable du service Ingénierie Patrimoniale chez Nortia

Ajouter une tête assurée dans un contrat d’assurance vie entraîne-t-il la novation du contrat et la perte de son antérioté fiscale ? Le ministre de l’Economie et des Finances vient enfin de répondre le 30 mai dernier à la question ministérielle n° 260 qui lui avait été posée par le député M. Malhuret le 13 juillet 2017 : co-adhérer est-il nover ? Si sur la forme, la réponse a le mérite d’exister, sur le fond, elle est plus nuancée.
 Suite à l’arrêt de la Cour de cassation du 19 mars 2015 (n°13-28776) qui avait reconnu l’absence de novation lors de l’adhésion d’un nouvel assuré à un contrat d’assurance vie, M. Claude Malhuret avait demandé au ministre de l’Economie et des Finances de lui confirmer « que l’administration fiscale tiendra bien compte de cette décision et considérera qu’un contrat auquel il serait co-adhéré conserverait sa date d’ouverture au jour de l’adhésion individuelle ».

Une novation expressement prévue au contrat. La « novation » est un effet contractuel qui, par suite du changement de créancier ou de débiteur, modifie les conditions d’exécution et obligation d’un contrat de sorte qu’elle vaut renonciation à la créance primitive, qui ne se présume pas et doit résulter clairement des faits et actes intervenus entre les parties (Cass. Ch. commerciale 16 mai 2018, pourvoi n°16-13207). L’ajout d’une tête assurée sur un contrat vient compléter l’obligation de départ, mais n’éteint point l’obligation d’origine puisqu’elle la complète. Or, en l’absence d’extinction, pas de novation (art. 1329 nouveau du code civil). Pour qu’il y ait novation, il faut par ailleurs que les parties au contrat l’ait expressément prévue. Or, un souscripteur d’un contrat d’assurance vie qui aurait souscrit un contrat à son nom personnel et souhaiterait le transformer en co-souscription avec dénouement au second décès - stratégie patrimoniale de protection du conjoint survivant -, ne souhaite pas en général qu’il y ait novation. La novation ne pouvant se présumer, comme certains peuvent prétendre le contraire et l’imposer, au détriment même de la volonté du souscripteur ?
 Si la doctrine a très largement approuvé cette position (mai 2018 et mars 2015), le contrat d’assurance conservant ses caractéristiques et son antériorité fiscale en cas d’ajout d’une tête assurée, les assureurs avaient une toute autre interprétation et affirment qu’il y a novation par changement de créancier ou débiteur. La novation par changement de créancier suppose précisément que « par l’effet d’un nouvel engagement, un nouveau créancier (souscripteur) est substitué à l’ancien, envers lequel le débiteur (assureur) se trouve déchargé » (C. civ., art. 1329). Si initialement, le créancier du contrat était le premier souscripteur, en cas de transformation du contrat en co-souscription dénouement au second décès et de prédécès du 1er souscripteur (prédécès qui ne dénoue pas le contrat puisque le dénouement se réalisera qu’au second décès), le créancier final (le conjoint survivant), n’est pas le créancier initial (1er souscripteur prédécédé). Le créancier d’origine étant différent du créancier final, il y a ici pour l’assureur, novation du contrat d’assurance vie et donc perte de l’antériorité fiscale. Or, la novation ne se réalise pas au dénouement du contrat, mais lors de la modification du contrat. Ici, lors de l’ajout d’une nouvelle tête assurée. C’est à ce moment qu’il convient de se placer pour savoir s’il y a ou non novation pour cause de changement de créancier. Le souscripteur d’origine possédant toujours sa qualité de créancier, même après la modification, il ne peut y avoir de novation. Sic.

Pas de novation en principe. Certains assureurs retenaient quant à eux que l’ajout d’une tête assurée sur un contrat entraînait une modification substantielle du contrat d’origine, voire de son économie, et donc des obligations de l’une des parties (notamment de l’assureur qui devait désormais assurer deux têtes et non plus une seule), entraînant de facto selon eux un nouveau contrat avec de nouvelles obligations et une nouvelle date d’effet. Que nenni. La Cour de cassation, dans les deux arrêts précités, vient indiquer qu’il n’existe justement pas de nouveau contrat et que le contrat d’origine perdure. Cet argument ne tient pas plus que les autres.
 Alors que d’autres retenaient l’ancienne réponse ministérielle CUQ n°37181 du 6 mars 2000, qui considérait que le passage d’une adhésion à une co-adhésion valait novation, réponse qui n’a pas été reprise à ce jour au BOFIP. Si pendant un temps, il était possible de penser qu’il s’agissait peut-être (et à tort certainement) d’un oubli de la part de l’administration fiscale, le ministre de l’Economie avait l’occasion, dans sa réponse ministérielle du 30 mai dernier, de faire référence à celle-ci (au détriment de la jurisprudence précitée, je vous l’accorde) afin de rappeler cette novation. Ne l’ayant pas fait, il confirme de manière indirecte mais explicite qu’il ne s’agit point d’un oubli, mais d’une volonté claire et affirmée de ne pas ériger en principe la novation en cas d’ajout d’une tête assurée sur un contrat d’assurance vie. La réponse ministérielle CUQ est donc désormais, définitivement enterrée.
 Cette réponse ministérielle apporte également un autre enseignement, notamment aux assureurs qui affirmaient que l’arrêt de la Cour de cassation de mars 2015 était un simple arrêt d’espèce, qui ne concernait que les contrats collectifs (notion d’adhésion et d’adhérents) et non les contrats individuels (notion de souscripteur). Ceux-ci sont désormais rassurés. Le ministre ne parle pas d’adhésion / co-adhésion, mais de souscription, co-souscription… et vise nécessairement les contrats d’assurance vie individuels. Cependant, s’il reconnaît qu’il n’existe pas de novation systématique en cas d’ajout d’une tête assurée sur un contrat d’assurance vie, M. Le Ministre n’affirme pas non plus qu’elle ne puisse jamais exister : « La question de savoir si la souscription conjointe à un contrat d’assurance vie emporte novation du contrat constitue ainsi une question de fait, qui doit être appréciée en fonction notamment des stipulations du contrat en cause, de la volonté des parties, des dates des souscriptions et de la situation et de l’espérance de vie de chacun des assurés lors de la co-souscription. »
Il conviendra donc toujours de faire une analyse des faits et de la situation du cas d’espèce.

Un frottement fiscal qui peut être un mal pour un bien. Et le ministre va même plus loin en indiquant que la novation existe lorsque « la co-souscription est […] susceptible, lorsqu’elle conduit de manière prévisible à substituer à l’assuré un nouvel assuré unique, d’emporter un changement de créancier de l’obligation pesant sur l’assureur. » On voit bien ici le cas visé : Monsieur a financé son contrat d’assurance vie souscrit individuellement, et souhaite, quelques mois avant son décès, ajouter une tête assurée (exemple : son nouveau conjoint). Le décès étant très proche, il peut y avoir dans ce cas, substitution de créancier (Monsieur par Madame du fait du prédécès certain de Monsieur) et donc novation. Mais la novation ne fait perdre au contrat que son antériorité fiscale. Dans certaines stratégies patrimoniales, ce frottement fiscal peut être un mal pour un bien. Contre la perte ou le risque de perte de l’antériorité fiscale du contrat, le nouveau conjoint récupère immédiatement et avant le décès, potentiellement la totalité du contrat, en toute exonération fiscale, alors que l’abattement de donation entre vif entre époux est de 80.000 euros tous les 15 ans, le surplus étant soumis aux droits de donation. Au moment du décès du souscripteur initial, le contrat ne se dénouant plus au 1er décès (Monsieur), mais au second décès, Madame, qui n’a pas financé le contrat, deviendrait alors seule souscriptrice du contrat, pourra réaliser seule les rachats sur le contrat (risque de donation indirecte voir déguisée) et modifier la clause bénéficiaire du contrat, et ce, au détriment des enfants du 1er lit le cas échéant. Pour éviter cela, le ministre termine sa réponse en rappelant : « […] que la souscription d’un contrat d’assurance vie est susceptible de constituer une donation indirecte en présence d’éléments démontrant l’intention libérale du souscripteur. La régularité d’une souscription conjointe à cet égard doit être appréciée au cas par cas au vu des circonstances de fait de l’espèce et notamment de l’auteur des versements et des éventuels rachats effectués par le nouvel assuré. » Somme toute logique, mais toujours bon à rappeler.

Régime communautaire avec avantage matrimonial. Soulignons que si le ministre rappelle le risque de donation indirecte dans le cadre de l’ajout d’une tête assurée sur un contrat individuel, il n’indique à aucun moment, la nécessité absolue d’être marié sous un régime communautaire avec avantage matrimonial (préciput, clause d’attribution intégrale…) pour permettre cet ajout, contrairement aux assureurs en cas de co-souscription dénouement second décès. Ainsi, cette nouvelle réponse ministérielle Malhuret, vient (enfin) confirmer l’absence de novation systématique lors de l’ajout d’un nouveau souscripteur à un contrat d’assurance vie préexistant et devrait permettre, nous l’espérons, de lever les derniers doutes injustifiés des compagnies d’assurance sur ce sujet. Quant à la nécessité, imposée par les assureurs, d’être marié sous un régime communautaire avec avantage matrimonial pour permettre une co-souscription dénouement second décès, nous aurons l’occasion d’y revenir par la suite.