
Vive le « cash-out » par voie de réduction de capital

La réduction de capital social non motivée par des pertes, dite réduction de capital d’allègement, connaît depuis quelques mois un succès remarquable (2).
Utilités de l’opération pour la société
L’opération présente depuis longtemps un intérêt remarquable sur le terrain juridique et financier. En rachetant ses propres actions pour les annuler, une société peut trouver le moyen de dénouer des participations croisées (rachats croisés d’actions propres par deux sociétés d’un même groupe ou de groupes rivaux), de se protéger contre une offre publique d’achat (mesure anti-OPA) ou encore de mettre en œuvre le départ d’un associé dont elle souhaite, d’un commun accord avec lui, faciliter le retrait.
Surtout, dans la plupart des cas, la société voit dans le procédé de réduction de capital non motivée par des pertes le moyen de gérer « à flux tendu » son capital social. C’est ainsi qu’aux Etats-Unis, la réduction de capital non motivée par des pertes constitue d’assez longue date une séduisante alternative à la distribution de dividendes.
Ce mouvement est désormais en train de s’imposer en France et pour comprendre le phénomène, il faut tourner son regard du côté des associés.
Utilités de l’opération pour les associés
La réduction de capital non motivée par des pertes est en effet devenue très prisée des associés, et ce pour des raisons assez différentes selon que la société est ou non cotée en Bourse.
- Dans les sociétés cotées, l’associé a généralement le profil d’un investisseur. Or, la réduction de capital non motivée par des pertes dope la valeur des actions (valeur dite « actionnariale ») tant pour l’associé qui part que pour l’associé qui reste.
Ainsi comprend-on les pressions plus ou moins amicales d’actionnaires influents pour inciter les dirigeants à lancer des rachats d’actions.
Pour l’associé qui part, le rachat de ses actions lui est en pratique proposé à un prix avantageux afin de garantir le succès de l’opération. Le différentiel entre la valeur de marché des titres et la valeur de rachat est parfois qualifié en pratique de « prime de rachat ».
C’est ce qu’illustre par exemple un arrêt de la Cour de cassation en date du 22 juin 1998. Dans cette affaire, la Haute Cour a engagé la responsabilité d’une banque pour avoir empêché un de ses clients d’apporter ses actions à une offre de rachat par la société de ses propres actions (Cass. com., 12 janv. 1999, n°96-11.026 : JurisData n°1999-000079). Dans une autre affaire, la Cour de cassation a condamné une banque à payer à l’un de ses clients la somme de 15.437,50 francs pour avoir omis de céder ses actions à la société émettrice qui les rachetait par voie d’offre publique et pour les avoir ultérieurement cédées à perte (Cass. com., 19 juin 2001, arrêt n°1193, inédit).
Pour l’associé qui reste, la réduction de capital non motivée par des pertes dope le cours des actions de la société et ce, pour deux raisons : la loi de l’offre et de la demande (le fait que la société propose de racheter ou de rembourser ses droits sociaux) et l’effet dit relutif de l’opération (par opposition à l’effet dilutif constaté lors d’une augmentation de capital), du fait de la réduction du nombre de titres en circulation, effet qui se traduit par l’augmentation du dividende pouvant être servi aux droits sociaux restants (on dit, pour les actions, que le bénéfice net par action, ou BNPA, est amélioré).
- Dans les sociétés non cotées, et tout spécialement dans les petites et moyennes entreprises (PME), la réduction de capital non motivée par des pertes décidée volontairement présente deux types d’utilités. En premier lieu, elle permet d’organiser dans les meilleures conditions le départ d’un associé, d’un commun accord avec ses coassociés, tout spécialement en cas de départ à la retraite, de mésentente, ou de difficultés financières d’un associé souhaitant récupérer le produit de son investissement.
En second lieu surtout, elle constitue désormais une technique de cash-out remarquable, permettant à l’associé de se faire rembourser tout ou partie de son investissement, et ce aux meilleures conditions fiscales (lire l’exemple de cash-out par réduction de capital p. 27).
Explication
Pour bien comprendre, il faut rappeler que l’article 88 de la deuxième loi de Finances rectificative pour 2014 (n°2014-1655, 29 déc. 2014) a modifié en profondeur, à compter du 1er janvier 2015, le régime fiscal des sommes ou valeurs attribuées aux associés au titre du rachat de leurs parts ou actions. La nouvelle réglementation généralise le régime des plus-values à l’ensemble des rachats de titres détenus par des associés, mettant ainsi fin au mécanisme hybride de taxation (régime des distributions pour partie/régime des plus-values pour une autre partie) qui, jusqu’ici, s’appliquait concrètement aux rachats de titres suivis de leur annulation (réductions de capital non motivées par des pertes).
En somme, le régime fiscal du profit issu du rachat de droits sociaux est désormais celui d’une simple vente. L’article 88 de la deuxième loi précitée de Finances rectificative pour 2014 (n°2014-1655, 29 déc. 2014) a abouti à ce résultat par voie d’aménagement des dispositions de l’article 112-6° du Code général des impôts qui devaient être abrogées en vertu d’une décision Machillot du Conseil constitutionnel en date du 20 juin 2014.
(1) Directeur du Master 2 Droit et gestion de patrimoine de Rennes, professeur agrégé de droit privé, directeur du Centre de Droit des Affaires de Rennes.
(2) Sur l’ensemble de la technique, R. Mortier, Opérations sur capital social, LexisNexis, 2e éd., déc. 2015).