Régulation

Vers une responsabilisation du marché de l'art ?

Jeanne Bastien, consultante en art, revient sur une initiative suisse qui vise à inciter les intervenants du marché de l’art à l’autorégulation
L’experte préconise l’extension des bonnes pratiques qui ont été recommandées au niveau européen, en particulier par la création d’une certification
DR, Jeanne Bastien, consultante en art

« Construire un marché de l’art pour l’avenir, propositions pour lutter contre le blanchiment d’argent et les menaces de financement du terrorisme », tel est l’intitulé de la « Responsible Art Market Initiative » (RAM), soit l’Initiative pour un marché de l’art responsable, lancée fin janvier à Genève lors d’une conférence. Cette initiative à but non lucratif est menée depuis fin 2015 par un groupe de travail composé d’avocats, magistrats, représentants du monde académique et d’intervenants du marché de l’art : la Fondation pour le droit de l’art, le Centre pour le droit de l’art de la faculté de droit de l’art de l’Université de Genève, l’assureur Aris, la maison de ventes Christie’s, la société de services SGS Art Services, le port franc de Genève, le marchand Seydoux et Associés Fine Arts, Jean-Bernard Schmid – procureur au Ministère public de Genève – et Ursula Cassani, professeur en droit criminel à l’Université de Genève.

Une initiative…

Plutôt que de se voir imposer une régulation qui n’est pas forcément adaptée au format des acteurs du marché de l’art – qui sont majoritairement de petite taille –, l’initiative RAM propose des « pratiques responsables » pour le marché afin de protéger son bien le plus cher, sa réputation, entamée par plusieurs événements récents : la saisie en 2016 d’objets pillés en provenance de Palmyre mais aussi de Lybie et du Yémen au port franc de Genève, l’affaire Wildenstein en France, l’opération Pandora qui a permis fin 2016 aux polices de 18 pays de saisir 3.500 objets anciens et œuvres d’art volés ou encore la récente confiscation de deux tableaux de Vincent Van Gogh chez un chef de la mafia napolitaine.

… pour proposer des pratiques responsables aux acteurs du marché de l’art.

La RAM sensibilise ces acteurs aux risques et formule des recommandations pragmatiques pour établir et mettre en œuvre des pratiques responsables. Premier chapitre de cette initiative : des lignes directrices en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Sans atteindre le stade de l’autorégulation formelle, il s’agit d’un exercice de prise de conscience et d’adoption de pratiques responsables. Une initiative qui fait réaliser aux marchands, galeries, conseils, maisons de vente ou encore sociétés offrant des solutions de financement pour l’art, les dangers qu’ils courent d’être utilisés par des organisations criminelles pour procéder à des actes de blanchiment d’argent, voire de financement du terrorisme. Et qui leur propose la mise en place de procédures pour s’en prémunir.

En effet, étant donné que le secteur bancaire est maintenant fortement régulé par les Etats en matière de blanchiment et de financement du terrorisme, le marché de l’art pourrait devenir un nouveau véhicule pour ces criminels. Il possède de nombreuses caractéristiques qui en font une cible de choix : il est international, les objets sont souvent petits et facilement transportables et leur prix, généralement très important, reste soumis à une grande subjectivité.

Des diligences qui s’inspirent du domaine bancaire.

Anne-Laure Bandle et Sandrine Giroud, avocates et codirectrices de la Fondation pour le droit de l’art, ont présenté lors de cette conférence dix lignes de conduite à suivre avant une transaction et une liste de « drapeaux rouges » qui doivent alerter les acteurs. Un kit en quelque sorte, disponible sur le site internet de la RAM (http://responsibleartmarket.org) et mis à leur disposition afin qu’ils appliquent des règles de prudence.

Ces règles et ces « drapeaux rouges » sont très similaires à ceux déjà mis en place dans le domaine bancaire, comme par exemple l’instauration de procédures « Know Your Client » avant d’établir un lien commercial avec ce client, la nécessité de conserver la trace des échanges et transactions, ou encore l’alerte que constitue un client peu sensible au prix ou qui insiste pour payer une grande partie en espèces. Cette vigilance accrue aux paiements en espèces n’est pas naturelle dans tous les pays. Ainsi, en Suisse, seuls les paiements en liquide au-dessus de 100.000 francs suisses impliquent des obligations de diligence bancaire pour des acteurs qui ne sont pas intermédiaires financiers.  France en revanche, les paiements en espèces sont interdits pour un règlement dépassant 1.000 euros pour les résidents et 15.000 euros pour les non-résidents. L’originalité des lignes directrices proposées par le RAM est d’allier la diligence déjà prescrite dans les transactions en art concernant notamment la provenance, l’authenticité et l’état de conservation des objets d’art, avec la diligence prescrite dans le monde de la finance.

De nouveaux réflexes.

Pour les acteurs du marché de l’art, ces réflexes peuvent paraître nouveaux, d’autant plus que la discrétion est l’une des valeurs fondamentales de ce marché. Ces recommandations n’entraînent pas l’abandon de la confidentialité, a rappelé le procureur Jean-Bernard Schmid, mais simplement l’obtention par l’intermédiaire d’informations préalables à une transaction. A noter, par exemple, que Christie’s revendique d’appliquer depuis plusieurs années la loi britannique contre le blanchiment d’argent pour tous ces sites en plus des lois locales. La maison de ventes aux enchères s’astreint ainsi à des règles très conservatrices pour protéger sa réputation et sa marque.

Une autorégulation qui pourrait bien s’étendre à toute l’Europe.

L’initiative RAM est originale par son côté collaboratif mais aussi par sa volonté affirmée de prendre les devants et d’éviter ainsi de se voir imposer des mesures qui pourraient être trop contraignantes.

Le marché de l’art est peu régulé dans le monde entier. Mettre en place une autorégulation et former les acteurs sur les questions de lutte contre le blanchiment est une initiative nécessaire pour protéger sa réputation. Elle vient de Suisse mais il serait bon que cette action s’étende au reste de l’Europe. Les mesures préconisées par l’initiative RAM pourraient ainsi servir de code de bonnes pratiques pour ses intervenants.

Une prochaine conférence devrait d’ailleurs avoir lieu au Luxembourg en collaboration avec la LAFA (Luxembourg Art Law and Art & Finance Association) afin de sensibiliser les acteurs luxembourgeois. Mais pour le moment, cette action reste une proposition et il faudra convaincre les acteurs du marché de l’art de leur intérêt de mettre en place ces mesures. Un moyen d’encourager la mise en place de ce code de bonne conduite au niveau européen pourrait être de proposer une certification européenne qui permettrait ainsi aux différents intervenants de ce marché de pouvoir se prévaloir auprès de leurs clients de leurs bonnes pratiques et de renforcer ainsi leur crédibilité.

La RAM, qui reste une initiative sans but lucratif, ne souhaite pas délivrer ces certifications mais d’autres organismes pourraient certainement s’en charger.