
Vers un Giving Pledge à la française ?

Le 9 juin dernier, le rapport de la mission commandée par le Premier ministre aux députées Sarah El Haïry et Naïma Moutchou sur l’évolution du cadre de la philanthropie a été rendu public. Ses conclusions étaient très attendues. En effet, la mission s’inscrit dans un débat récent sur la nécessité de faire évoluer la réserve héréditaire pour faciliter les dons et legs et sécuriser les acteurs du secteur associatif. Car la loi n’offre qu’un espace limité pour gratifier la cause de son choix. Cette limite correspond à la quotité disponible : la moitié du patrimoine en présence d’un enfant, un tiers en présence de deux enfants et en présence à partir de trois enfants. Cette évolution reste controversée pour les garants de la tradition successorale française, dont la réserve héréditaire constitue un des piliers.
Privilégier l’intérêt général
La mission parlementaire recommande, sans altérer l’essence même de la réserve héréditaire, d’en assouplir les règles dans la mesure où l’intérêt général le commande. En cas de libéralités à un organisme d’intérêt général éligible, elle propose de limiter à deux branches le montant de la réserve héréditaire en prévoyant qu’elle soit de la moitié de la succession en présence d’un enfant et des deux tiers en présence de deux enfants. Afin de tenir compte de la situation des philanthropes les plus fortunés, ces legs, pourraient excéder la quotité disponible pour les successions supérieures à 10 millions d’euros. La possibilité d’une telle réforme constitue un enjeu important dans la mesure où le secteur associatif souffre d’une baisse de ressources.
Un contexte de décollecte
Alors même qu’il constitue un secteur clé, fort de 10 % du total des salariés du secteur privé, et de 7,5 à 8 milliards d’euros collectés en 2018 (l’équivalent du budget de la Justice) et qu’il est de plus en plus souvent amené à prendre le relais de la puissance publique, le secteur associatif fait face à un mouvement de décollecte. Ce phénomène récent apparaît directement lié à deux grandes réformes fiscales, la réforme de l’ISF et son corollaire la création de l’IFI ainsi que le passage au prélèvement à la source pour l’impôt sur le revenu. Votée dans le cadre de la loi de Finances pour 2020, la baisse de la réduction d’impôt sur les bénéfices des entreprises de 60 % à 40 % pour une quote-part des dons versés par les plus grandes entreprises devrait encore accentuer ce phénomène, tant l’évolution de volume des dons et legs est corrélé avec celle des incitations fiscales à la générosité.
Développer dons et libéralités
Le gouvernement est donc à la recherche de nouveaux relais de financement du secteur associatif. À cet égard, la mission parlementaire vise à développer une nouvelle culture du don sur le modèle du Giving Pledge américain, la campagne lancée en 2010 par Warren Buffet et Bill Gates afin d’inciter les citoyens américains les plus fortunés à s’engager en redistribuant la plus grande part de leurs biens à des œuvres de charité. La mission recommande donc de sécuriser le cadre fiscal de la philanthropie en France, afin de soutenir la capacité des acteurs de l’intérêt général, bénéficiaires comme mécènes, de se projeter vers l’avenir, et donc d’agir au maximum de leur capacité. Elle recommande également de sécuriser les donations au profit d’organismes d’intérêt général, au regard de l’action en réduction. Elle propose donc de faire évoluer la renonciation anticipée à l’action en réduction (RAAR) vers un véritable pacte de famille, fruit d’un accord entre le de cujus et ses héritiers réservataires. Elle recommande également d’allonger le délai pour bénéficier de l’abattement sur succession en cas de transmission à un organisme philanthropique. Autant de mesures propres à favoriser la générosité des Français.