Vers un bouleversement de la fiscalité des rachats de titres ?

Bertrand Michaud, Responsable de l’Ingénierie Patrimoniale, Credit Suisse Banque Privée (France)
La fiscalité des rachats de titres est certainement l’un des sujets les plus complexes de la fiscalité française applicable aux personnes physiques. Une décision récente du Conseil constitutionnel est venue bouleverser ce régime, pour le meilleur ou pour le pire …

 

1/ Bref rappel des principes

 

Depuis de nombreuses années, le gain issu du rachat (on parle aussi de « boni » de rachat) connaissait un régime hybride d’imposition puisqu’il pouvait être traité dans certains cas comme une distribution de dividendes, et dans d’autres comme une plus-value.

En effet, lorsque le rachat par une société de ses propres titres était effectué en vue d’une réduction de capital non motivée par des pertes, procédure autorisée par l’article L.225-207 du Code de commerce, le gain constaté au niveau de l’associé ou de l’actionnaire était susceptible de donner lieu à l’application de deux régimes fiscaux différents :

- Le régime des revenus distribués sur le fondement de l’article 109 du CGI, dont l’assiette était alors constituée par l’excédent du prix de rachat sur le montant des apports compris dans la valeur nominale des titres rachetés, ou le prix ou la valeur d’acquisition des titres s’il était supérieur au montant des apports (articles 112-1° et 161 du CGI) ;

- Le régime des plus-values de cessions de valeurs mobilières à hauteur de la différence entre le prix de rachat et le prix ou la valeur d’acquisition des titres, ce montant étant diminué de celui imposable dans la catégorie des revenus distribués. Ainsi, en pratique, le gain constaté n’était susceptible d’être imposé pour partie comme une plus-value que dans l’hypothèse où les titres avaient été acquis par l’associé/actionnaire en cours de vie de la société et pour un prix inférieur au montant des apports.

En revanche, par dérogation, lorsque le rachat était effectué en vue d’une attribution des titres aux salariés (article L. 225-208 du Code de commerce) ou lorsqu’il s’agissait d’un plan de rachat d’actions (article L. 225-209 du Code de commerce), alors le gain était exclusivement imposé dans la catégorie des plus-values sur valeurs mobilières en application de l’article 112-6° du CGI.

2/ La décision du Conseil constitutionnel [1]

Saisi par le Conseil d’Etat d’une question prioritaire de constitutionnalité sur ce dernier article, le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions créaient une différence de traitement entre les actionnaires ou associés personnes physiques pour l’imposition des sommes ou valeurs reçues au titre du rachat de leurs actions ou parts sociales, sans que cette différence ne repose sur une différence de situation entre les procédures de rachat ni sur un motif d’intérêt général en rapport direct avec l’objet de la loi.

Il a donc déclaré les dispositions de cet article contraires à la Constitution, tout en reportant au 1er janvier 2015 la date de l’abrogation de ses dispositions « afin de permettre au législateur d’apprécier les suites qu’il convient de donner à cette déclaration d’inconstitutionnalité ».

Toutefois, afin de préserver l’effet utile de sa décision, il a jugé que les sommes ou valeurs reçues avant le 1er janvier 2014 par les personnes physiques dans le cadre d’un rachat de titres autorisé par la loi devaient être imposées exclusivement selon le régime des plus-values sur valeurs mobilières, et ceci quelle que soit la procédure utilisée (articles L 225-207, L 225-208 ou L 225-209 du Code de commerce).

Enfin, le Conseil a précisé qu’à défaut d’intervention législative déterminant de nouvelles règles applicables pour 2014, l’imposition exclusive selon le régime des plus-values devrait également s’appliquer pour les gains de rachats constatés au cours de l’année 2014.

Ainsi, en résumé, seul le régime des plus-values sur valeurs mobilières est applicable pour les gains de rachats constatés avant 2014. Il en ira de même pour les rachats effectués en 2014 à défaut d’intervention législative particulière avant la fin de l’année. Enfin, à partir de 2015, les gains issus du rachat de titres seront imposés entre les mains des actionnaires/associés personnes physiques soit selon le régime hybride (Dividende/PV) existant jusqu’à présent quelle que soit la procédure de rachat utilisé, ou selon le nouveau régime qui aura été défini par le législateur.

3/ Quelles opportunités ?

La première remarque que l’on peut formuler sur cette importante décision est que, pour les contribuables qui ont bénéficié d’opérations de rachat réalisées antérieurement à 2014 (ainsi qu’éventuellement au cours de l’année 2014 en l’absence d’intervention législative avant la fin de cette année), il s’agit à l’évidence d’une décision favorable puisque le régime d’imposition des plus-values est globalement plus favorable que celui applicable aux distributions de dividendes, même après les réformes successives issues des lois de finances pour 2013 et 2014.

En effet, les dividendes et les plus-values de cessions de valeurs mobilières sont désormais imposables au barème progressif de l’impôt sur le revenu (IR), mais alors que les dividendes ne bénéficient que d’un abattement de 40% sur l’assiette taxable à l’IR quelle que soit la durée de détention des titres, les plus-values bénéficient, selon le régime de droit commun, d’un abattement de 50% en cas de détention entre 2 et 8 ans, lequel peut être porté à 65% au-delà de 8 ans de détention.

Il n’y a donc guère que dans l’hypothèse où les titres sont détenus pendant moins de deux ans que le régime fiscal des distributions de dividendes est plus intéressant fiscalement que le régime des plus-values.

Exemple : Soit un gain de cession/rachat de 100 K€ perçu par une personne physique imposée dans la tranche marginale de l’impôt sur le revenu :

*Pour le calcul des plus-values, la quote-part de CSG déductible n’est en fait imputable que sur les revenus perçus au cours de l’année suivant celle de la réalisation du gain.

Ainsi, les contribuables qui y auraient intérêt devraient être en mesure de demander l’application rétroactive du régime fiscal des plus-values et donc la restitution de l’excédent d’impôts versés, dans le cadre de réclamations contentieuses adressées dès cette année à l’administration fiscale au titre des rachats effectués depuis l’année 2011 conformément aux délais de réclamation de droit commun (art. R. 196-1 du Livre des Procédures fiscales).

Dans la situation, probablement exceptionnelle en pratique, où le rachat de titres se serait traduit, non par un gain ou boni, mais par une perte, l’application rétroactive du régime des plus-values sur valeurs mobilières ne devrait pas avoir de conséquences particulières dans la mesure où, même en cas de rachat de titres non motivée par des pertes, l’application du régime hybride d’imposition permettait d’imputer ces pertes sur des plus-values de même nature réalisées au cours de la même année ou des dix années suivantes (BOI-RPPM-RCM-10-20-30-20, n°240).

L’application du régime des plus-values aux rachats de titres permettra également de clarifier la situation des rachats de titres démembrés. Sans entrer dans le détail, dans un précédent article publié dans ces colonnes [2] nous avions déjà souligné les nombreuses incertitudes qui entouraient l’imposition du boni de rachat de titres préalablement démembrés, notamment quant au redevable de l’imposition entre usufruitier et nu-propriétaire et quant à la détermination de l’assiette taxable en raison de l’application du régime des produits distribués.

Aussi, afin de contourner ces difficultés, il était devenu courant en pratique, dans ce type de situations, de faire précéder le rachat d’un apport des titres démembrés à une société civile non soumise à l’IS. Cet apport préalable permettait ainsi d’entraîner l’imposition de la plus-value d’apport selon le régime des plus-values sur cessions de valeurs mobilières et de lever les incertitudes quant au régime fiscal applicable puisque l’administration avait fait connaître dès 2001 le mode d’imposition des plus-values de cessions de titres démembrés.

Certains ont pu d’ailleurs s’inquiéter d’un risque de remise en cause de ce type de schémas d’apports préalables à une opération de rachat de titres sur le fondement de l’abus de droit, même si le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion d’écarter une telle remise en cause, en particulier lorsque la société bénéficiaire de l’apport n’a pas été créée uniquement pour les besoins de cette opération (cf. nota. CE, 28/02/2007, 9ème et 10ème s.-s., n°284565, « Persicot », RJF 5/07 n°599 et les conclusions du commissaire du gouvernement Laurent Vallée au BDCF 5/07, n°61).

L’application exclusive du régime des plus-values constitue également une décision favorable pour les sociétés qui ont procédé au rachat de leurs propres titres puisque cela devrait leur permettre de demander la restitution de la contribution additionnelle sur les produits distribués. Il convient en effet de rappeler que les sociétés qui procèdent au paiement de revenus distribués depuis le 17 août 2012 sont soumises à une contribution de 3% assise sur le montant distribué. Or, logiquement, ne constituent pas des revenus distribués soumis à cette contribution les paiements qui ne sont pas qualifiés de revenus distribués au sens des articles 109 à 117 du CGI (BOI-IS-AUT-30, n°70).

Il est vrai que les PME au sens de la réglementation européenne sont exonérées de cette contribution, mais il existe une incertitude concernant les sociétés qui ont une activité purement patrimoniale, dont les sociétés civiles de portefeuille, dans la mesure où l’annexe I au Règlement 800/2008 de la Commission européenne du 6 août 2008 définit les entreprises concernées comme toute entité exerçant une activité économique. Une activité purement patrimoniale peut-elle être qualifiée d’activité économique au sens de ce Règlement ? Nous n’avons pas de réponse définitive à cette question.

Enfin, la décision du Conseil constitutionnel devrait permettre aux associés/actionnaires résidents hors de France qui se sont vus racheter leurs titres par des sociétés émettrices françaises de demander, le cas échéant, la restitution de la retenue à la source prévue par l’article 119 bis du CGI de 21% ou 30% selon leur Etat de résidence (retenue la plupart du temps ramenée à 15% par les conventions fiscales signées par la France) et assise sur le boni de rachat qui a été imposé comme un revenu distribué.

On le voit, les conséquences de cette décision du Conseil constitutionnel sont multiples et généralement favorables aux contribuables, du moins pour les rachats de titres effectués avant 2014.

En ce qui concerne les rachats effectués en 2014 et postérieurement, il est encore trop tôt pour déterminer avec certitude le régime fiscal qui leur sera finalement applicable. Une application généralisée et pérenne du régime des plus-values serait, bien entendu, la solution la plus favorable dans la majorité des cas pour l’ensemble des raisons rappelées précédemment, mais le législateur pourrait également décider de généraliser l’application du régime hybride d’imposition quelle que soit la procédure utilisée.

On pourrait également imaginer que la différence du régime fiscal applicable repose sur le sort des titres rachetés : annulation dans le cadre d’une réduction de capital ou maintien des titres rachetés en vue de leur revente ou attribution.

Certains commentateurs avisés se sont également déclarés favorables à une solution plus originale qui maintiendrait deux régimes d’imposition différents dont la distinction reposerait, non plus sur la procédure de rachat, mais sur la nature réelle de l’opération réalisée : véritable rachat de titres à la valeur vénale, et dont le gain serait imposable selon le régime des plus-values, ou simple remboursement de titres à la valeur mathématique dont le gain serait imposable comme un revenu distribué [3].

Espérons que ces incertitudes seront levées le plus rapidement possible dès la présentation du projet de loi de finances pour 2015.

 
 

[1] Décision n°2014-404 QPC du 20/06/2014, « Epoux M. ».

 

[2] « Les opérations de donation et de rachat de titres font-elles bon ménage ? », Agefi Actifs n°425-426, p. 8 et 9, semaines du 18/12/2009 au 07/01/2010.

[3] Cf. « Le régime fiscal du rachat de titres : inconstitutionnalité et avenir », A. de Bissy et M. Ferré, Droit Fiscal n°30, 24/07/2014, §467.