
Vers un assouplissement du dispositif Dutreil

Le 7 juin dernier, les sénateurs ont adopté une proposition de loi relative à la modernisation du cadre fiscal et réglementaire de la transmission d’entreprise. Un texte qui se veut la transposition législative d’un certain nombre de préconisations contenues dans le rapport d’information présenté en février 2017 par les sénateurs Claude Nougein et Michel Vaspart, au nom de la Délégation sénatoriale aux entreprises. Transmises à l’Assemblée nationale le 8 juin dernier, l’avenir de ces préconisations est incertain. En séance, Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances a précisé que le gouvernement avait décidé de faire de l’assouplissement du dispositif Dutreil, « l’un des volets du projet de plan d’action pour la croissance et la transformation
des entreprises (Pacte) ». Pour éviter tout doublon, il est probable que le texte des sénateurs ne soit jamais inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée pour laisser la priorité à l’exécutif. S’agissant de mesures fiscales qui relèvent exclusivement des lois de Finances, ce volet transmission figurera dans le projet de Budget pour 2019.
Contexte. Conséquence du baby-boom, entre 60 % et 70 % des PME devront changer de dirigeants dans les cinq à dix ans à venir. Une période délicate pour ces sociétés, puisque chaque année 60.000 entreprises sont transmises avec succès quand 30.000 autres ferment faute de repreneurs. Pour accompagner le passage de relais, un régime de faveur a été créé dès 2000 puis étoffé par la loi dite « Dutreil » de 2003. Depuis, les transmissions par décès et les donations de parts ou actions d’entreprises (ou de holdings animatrices) sont exonérées, sous réserves, de droits de mutation à titre gratuit (DMTG) à concurrence des trois-quarts de leur valeur lorsqu’elles font l’objet préalable d’un engagement collectif de conservation de deux ans, suivi d’un engagement individuel de quatre ans pris par chacun des héritiers ou donataires.
Exonération renforcée. Dans le sillage de la Délégation aux entreprises, la proposition de loi initiale du Sénat prévoyait de renforcer l’exonération en portant son taux de 75 % à 90 % moyennant des conditions de détention plus strictes. Ainsi chaque période d’engagement serait allongée d’un an, pour atteindre une durée totale de huit ans contre six actuellement. Christine Lavarde, rapporteur de la Commission des Finances du Sénat est allée plus loin en proposant de porter à sept ans l’engagement individuel, soit une période globale de conservation de dix ans. En session, la Commission a adopté l’amendement de son rapporteur avant de se raviser et de voter en séance publique le rétablissement du texte initial. Une disposition prise contre l’avis du gouvernement qui souhaite avoir la primauté de la refonte du « Dutreil » qu’il réserve pour la loi Pacte et le Budget 2019. Pour autant, quel que soit le texte de réforme, un doute plane sur la constitutionnalité de ce dispositif Dutreil « renforcé ».
Risque constitutionnel. Selon Christine Lavarde, « le taux de 90 % doit être rapproché de la réduction pour âge du donateur que le Sénat vient de porter de 50 % à 60 % (lire encadré p.25). En couplant ces deux aménagements, le taux d’imposition effectif dans le cadre d’une donation d’une entreprise valorisée 10 millions d’euros à deux enfants, avant les 65 ans du donateur passerait de 3,1 % à 0,6 %. C’est pour toutes ces raisons que la Commission des Finances avait retenu un délai de conservation plus long » espérant passer sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel.
Taux de participation. Les auteurs de la proposition ont également défendu la suppression de la condition de maintien inchangé des participations, applicable pendant la période d’engagement collectif en présence de sociétés interposées. Conscients que cette contrainte « conduit à geler l’organigramme des groupes pendant toute la durée de l’engagement », les sénateurs ont remplacé ce principe par celui, plus souple, du maintien du taux de participation indirecte. S’ensuit la question de la cession des titres placés sous le dispositif.
Violation du pacte. En cas de cession interdite à un tiers non-signataire, la proposition d’origine prévoyait qu’une violation partielle de l’engagement collectif ou individuel ne remettrait l’exonération en cause qu’au prorata des titres transmis en violation de l’engagement et non pas sur la totalité des titres placés sous le dispositif comme c’est le cas actuellement. La Commission des Finances est revenue sur cet assouplissement en raison des risques qu’il emporte sur le plan constitutionnel. « C’est parce que la continuité de l’actionnariat apparaît comme la nécessaire contrepartie de l’avantage fiscal que le Conseil constitutionnel a admis sa conformité », rappelle Christine
Lavarde. Un risque d’autant plus avéré que « le Conseil constitutionnel en 1995 avait déjà déclaré inconstitutionnelle une exonération analogue au motif que les conditions de son application étaient trop souples pour justifier un avantage fiscal d’une telle ampleur », avise le rapporteur.
Engagement post-mortem. La Commission a aussi voulu alléger les conditions de mise en place des pactes post mortem. Pour mémoire, lorsque aucun engagement n’a été pris avant la transmission par décès, les héritiers ont six mois à compter du décès pour signer un engagement collectif de conservation. Ce dispositif serait assoupli sur deux points. D’une part si le partage de la succession n’intervenait pas à temps le délai initial serait de plein droit prorogé de trois mois. D’autre part, le point de départ de l’engagement collectif prendrait effet à la date du décès et non plus à la date de son enregistrement.
Extension de la fonction de direction. En cas de décès de l’associé dirigeant au cours de l’engagement individuel, si aucun autre signataire ne peut le remplacer, ces derniers pourraient transmettre une ou plusieurs parts comprises dans leur engagement au profit de toute personne qui pourrait alors exercer la fonction. Le nouvel entrant devra cependant conserver ses titres jusqu’au terme de l’engagement.
Suppression des obligations déclaratives. La société puis les héritiers ou donataires doivent envoyer chaque année une attestation du bon respect des conditions du pacte au titre de l’année qui précède. « Cette obligation est particulièrement lourde, d’autant plus que l’administration fiscale a tendance à considérer qu’un oubli est automatiquement constitutif d’une cause de déchéance du dispositif », précisent les auteurs du texte. Les sénateurs ont donc décidé que cette attestation devrait à l’avenir être transmise par la société dans un délai d’un mois à compter de la demande de l’administration, et non plus systématiquement chaque année. Ne pouvant évoquer le sujet de la transmission d’entreprise, sans aborder la notion de holding animatrice, les auteurs de la proposition ont soumis à leurs collègues un projet de définition autonome réservée au seul « Dutreil ».
Holding animatrice. Selon le texte d’origine aurait le statut d’animatrice « toute société qui détient des filiales, et qui participe à la conduite de la politique du groupe et au contrôle de tout ou partie des filiales ». Pour faciliter l’identification de ces structures, les rédacteurs ont innové en posant quatre présomptions selon lesquelles l’entité serait « réputée animatrice ». Il s’agirait des sociétés qui « auraient conclu une convention avec ses filiales ; celles exerçant une fonction de direction dans une filiale qu’elle contrôle ; l’entité dont l’un des dirigeants exerce dans les filiales une fonction de direction ; ou la holding qui procure divers services aux filiales qu’elle contrôle ». Le texte de loi précisant que le contrôle des filiales serait présumé dès que la holding en est la principale associée ou en détient le contrôle majoritaire.
Veto du rapporteur. De l’avis de Christine Lavarde « l’introduction dans la loi d'une définition spécifique au “Dutreil” n’est pas opportune puisque ces critères relèvent davantage de la doctrine administrative ». Une position qui est aussi celle du gouvernement qui promet de résoudre cette question dans le cadre de la loi Pacte. Le rapporteur de la commission a préconisé à la place une définition commune à l’ensemble des dispositifs, rédigée dans un nouvel article du Code général des impôts (art. 787 D). Cette définition serait enrichie de deux mesures visant à purger les deux principaux sujets de conflit entre l’administration et les contribuables, à savoir la possibilité pour la holding d’être animatrice sans animer la totalité de ses participations, et le fait pour deux holdings de co-animer un groupe (lire l’Agefi actifs n°724, p.20). La sénatrice s’est également prononcée en faveur d’une reprise des discussions autour du projet de circulaire abandonné en 2014. Les membres de la Commission ont d’abord adopté l’amendement de leur rapporteur avant de se dédire en séance publique et de voter pour la restauration de la définition initiale, acceptant toutefois qu’elle fasse l’objet d’un nouvel article du CGI.