
Une réserve pas si contraignante

L’idée d’aménager la réserve héréditaire n’est pas nouvelle. En avril 2017, l’Inspection générale des finances avait publié un rapport sur « le rôle économique des fondations », lequel préconisait déjà son assouplissement. « Le développement des fondations actionnaires majoritaires nécessite un assouplissement du cadre de la réserve héréditaire, afin qu’un propriétaire d’entreprise puisse transmettre plus facilement ses actions ou parts sociales à une fondation, même sans consentement de ses héritiers », expliquaient alors les fonctionnaires auteurs du rapport. Ils proposaient de « plafonner à 30 % des biens du disposant le montant de la réserve héréditaire », afin de lui permettre « de ne pas octroyer de minorité de blocage à ses héritiers, et donc de sécuriser la gouvernance de l’entreprise ».
Mauvaise réponse. Pour autant, selon Sabine Roux de Bézieux, présidente de l’association « Un esprit de famille », « revenir sur la réserve héréditaire est une mauvaise réponse à une excellente question ». Son association a constitué un groupe de travail en juin 2017, après la publication de ce rapport. « Il faut en effet encourager une philanthropie à la française et une culture du don au moment de la succession, mais la réserve héréditaire n’est pas la vraie raison qui limite les donations aux fondations », affirme-t-elle. « La comparaison est toujours faite par rapport aux pays anglo-saxons, alors que, pour transmettre à leurs descendants, ils ont un outil de protection civile, inexistant en France, qui est le trust et qui fait office de réserve héréditaire. » Par ailleurs, hormis les Anglo-saxons, « la réserve existe partout, y compris en Chine, en Russie ou dans la plupart des pays de tradition musulmane. La France n’est pas une exception ». Enfin, « si les gens donnaient au maximum de ce que leur permet la réserve, soit au moins 25 % de leur patrimoine, ce serait formidable », mais les notaires interrogés par le groupe de travail de son association ont montré que lors d’une succession, les rares personnes qui le font contribuent généralement à hauteur de « 10 à 15 % de leur patrimoine ».
Assurance vie et RAAR. Xavier Boutiron, notaire associé chez Cheuvreux, fait partie des experts interrogés dans le cadre de ce groupe de travail. Il considère également que les limites aux dons sont plus « dans les usages de transmission : il y a dans la tradition française une volonté forte de transmettre un patrimoine. Mais si quelqu’un veut aller au-delà des modalités légales, il a les possibilités de le faire ». Le notaire cite l’assurance vie, puisque le capital versé à l’association bénéficiaire est réputé n’avoir jamais fait partie du patrimoine du souscripteur et échappe ainsi aux règles du droit des successions. Xavier Boutiron évoque aussi la renonciation anticipée à l’action en réduction introduite par la loi du 23 juin 2006. Mais celle-ci nécessitant un « formalisme lourd », elle est « très peu utilisée ». Pour Sabine Roux de Bézieux, « il y a aussi un vrai enjeu autour du monde des notaires pour les inciter à parler philanthropie à leurs clients, et à créer une culture du don qui associe plusieurs générations à l’occasion des transmissions de patrimoine ». Et c’est en ce sens que l’association a formulé plusieurs propositions.
Propositions. L’une d’entre elles contribue à faire diminuer les droits de succession en fonction de la part du patrimoine accordée à une fondation : « si le souscripteur donne 10 % de son patrimoine à une fondation, ses droits de succession baissent de 10 % sur les 90 % restants ». Une autre proposition suggère de pouvoir payer ses droits de succession en confiant l’usufruit d’un actif à une fondation pendant un laps de temps donné. Enfin, l’association « Un Esprit de Famille » préconise qu’au moment d’une donation-partage, le particulier puisse donner jusqu’au niveau de la quotité disponible à une fondation ou à un fonds de dotation, et que les mêmes règles de donation-partage s’appliquent à la fondation ou au fonds, qu’aux héritiers. « Avant de tout chambouler dans notre droit, je pense qu’il y a des mécanismes qui existent qui ne sont pas assez utilisés, et des aménagements simples qui pourraient être mis en place ».
(1) Association regroupant des fondations familiales et d’initiative privée.