
Une libéralisation menée à marche forcée

Le projet de loi Macron sera débattu du 26 janvier au 6 février à l’Assemblée nationale. En attendant, le sort réservé aux notaires, avocats et experts-comptables se précise davantage avec l’étude des amendements par la Commission spéciale qui a eu lieu du 12 au 16 janvier dernier. Richard Ferrand et Cécile Untermaier, respectivement rapporteur général et rapporteur thématique du volet relatif aux professions réglementées, ont œuvré dans ce sens. Le ministre de l’Economie, Emmanuel Macron, était également présent pour défendre son projet.
Particulièrement visés par la modernisation de leur profession, les notaires se disent favorables au projet tout en restant vigilants et combatifs (lire l’entretien avec Pierre-Luc Vogel, président du Conseil supérieur du notariat, ainsi que les réactions de la présidente de la chambre de notaires de Paris, Catherine Carely).
Etat des lieux des amendements adoptés.
Un « couloir » tarifaire dont l’amplitude serait réduite.
Sur la réforme des tarifs des notaires (art. 12 du projet de loi), l’idée est de les rapprocher des coûts réels en s’appuyant sur l’expertise de l’Autorité de la concurrence.
Un amendement prévoit de faire réviser ce tarif au moins tous les cinq ans (amdt n°1804). Par ailleurs, en lieu et place d’un tarif fixe, le projet de loi instaure un « corridor tarifaire », c’est-à-dire l’application d’un plafond à tous les tarifs – en dehors des transactions immobilières au-delà d’un certain seuil, qui resteront proportionnelles à la valeur du bien pour permettre la péréquation au sein des offices –, mais aussi d’un plancher pour éviter tout dumping.
Un amendement 1885 prévoit cependant un tarif fixe conservé pour certains actes, de même qu’un couloir tarifaire aux contours plus précis. Un dispositif qui devrait rassurer les notaires, selon Cécile Untermaier (lire l’encadré p. 11). A noter que cet amendement prévoit également que les remises consenties lorsque le tarif est proportionnel seront désormais fixes, ceci pour garantir une solution équitable entre tous les usagers.
Création d’une péréquation nationale.
Pour pallier les difficultés de certaines études qui multiplient les actes à perte, les rapporteurs ont déposé un amendement 1730 qui propose la mise en place d’une mécanique de péréquation nationale. Les notaires effectuant des actes plus rentables, mais aussi les autres professions juridiques, alimenteraient un fonds qui permettrait de financer les petits offices, mais aussi l’aide juridictionnelle et les Maisons de justice. Pour le gouvernement, cela permettrait de faire en sorte que les plus petites études puissent continuer à donner des conseils gratuits. Pour le député UMP Sébastien Huygues, cette disposition, qui ne finance pas uniquement la péréquation entre les offices, s’apparente davantage à « une taxe sur les actes authentiques ».
Une libre installation régulée.
L’article 14 instaure le principe d’une libre installation pour les notaires. Il propose que ces derniers soient titularisés dans le lieu de leur choix par le garde des Sceaux. L’article 17 définit, quant à lui, les contours de cette libre installation. Une cartographie, réalisée conjointement par les ministres de l’Economie et de la Justice sur proposition de l’Autorité de la concurrence, déterminera les zones où l’implantation des offices est libre et celles où la création d’études supplémentaires serait de nature à porter atteinte à la continuité des offices existants ou à compromettre la qualité du service rendu. Dans ces zones présentant un risque pour les études existantes, le ministre de la Justice peut refuser la demande de titularisation après avis de l’Autorité de la concurrence. Afin de ne pas déstabiliser les professionnels déjà en place, celle-ci devra organiser, via sa cartographie, la mise en œuvre progressive de cette liberté.
En cas de préjudice subi par les études voisines, ces dernières pourront demander à être indemnisées par le nouveau titulaire, avec saisine du juge de l’expropriation en cas de désaccord.
Redéfinition de la libre installation.
Cependant, un amendement 1746 réécrit l’article 17 pour le clarifier et l’améliorer. Il propose notamment de redéfinir les zones où l’installation sera libre : zones où l’implantation d’offices ou l’association de notaires dans les offices existants apparaît utile.
Il supprime la disposition indiquant que le silence gardé par le ministre de la Justice concernant une demande de titularisation vaut acceptation. Dans le cadre de l’élaboration de la carte des zones carencées, l’Autorité de la concurrence pourra être saisie par une association de consommateurs ou encore par un notaire diplômé – remplissant les conditions d’accès à la libre installation – ayant identifié une zone dans laquelle l’implantation d’un office serait nécessaire.
D’autres mesures pour ouvrir davantage la profession aux jeunes.
A noter ensuite qu’un amendement 1779 instaure la limite d’âge de 70 ans pour l’exercice des fonctions de notaires, à l’instar de ce qui se pratique pour leurs confrères d’Alsace Moselle. Le dispositif d’habilitation qui permet aux clercs assermentés de recevoir certains actes notariés en lieu et place du notaire est supprimé (amdt n°1748). Ce régime permet depuis longtemps aux notaires de démultiplier leur capacité à assurer la réception des actes.
En outre, alors que le projet de loi prévoyait de permettre le recours illimité au notariat salarié (art. 18), les rapporteurs ont estimé que cette disposition n’assurerait pas l’accès à la profession « dont la vocation première est de s’exercer dans un cadre libéral ». Admettant cependant que cela puisse constituer un outil de promotion interne, voire une étape vers l’association, ils proposent d’adopter la règle d’un notaire pour quatre notaires salariés, en lieu et place de l’actuelle règle du « un pour deux » (amdt n°1909).
Notaires et avocats pourront employer toute forme juridique.
Par ailleurs, la commission a entériné un amendement qui propose, pour l’exercice du métier de notaire et d’avocat, le recours à toute forme juridique à l’exception de celle conférant la qualité de commerçant aux associés (après l’article 20, amdt n° 1784). Ces professions pourront ainsi adopter la forme de société anonyme ou société anonyme à responsabilité limitée. Selon les rapporteurs, c’est une demande forte de la part des avocats pour faire face à la compétition européenne.
Défendant cet amendement, Emmanuel Macron indique que par incidence, ce texte protège les professions juridiques des cabinets étrangers regroupant des experts du chiffre et du droit qui ne pourront ainsi venir s’installer en France pour s’associer avec des professionnels du droit français.
Instauration d’une interprofessionnalité d’exercice et amélioration de l’interprofessionnalité capitalistique.
Le projet de loi envisage de permettre aux experts du chiffre et du droit d’exercer dans une même structure (art.21, lire l’encadré ci-contre). Cette mesure, qui devait être prise par le gouvernement par voie d’ordonnance, sera intégrée par amendement gouvernemental durant les débats parlementaires.
A noter cependant que l’on sait d’ores et déjà que le capital de ces sociétés ne pourra pas être détenu par d’autres professionnels que ceux relevant du chiffre ou du droit, tels une banque ou un assureur (amdt n° 1768). Les experts-comptables dont le capital serait détenu par un tiers, ainsi que cela est désormais possible, ne pourraient donc pas s’allier à ce type de structure.
Concernant l’interprofessionnalité capitalistique (art. 22), un amendement des rapporteurs prévoit d’améliorer le régime des SPFPL et celui des SEL (amdt n°1783).
Les consultations juridiques des experts-comptables encadrées.
S’agissant des domaines autorisés aux experts-comptables de manière accessoire à leur activité traditionnelle comptable, un amendement (après l’art. 20, amdt n° 1852) précise que ces professionnels « ne peuvent donner des consultations juridiques, sociales et fiscales et rédiger des actes sous seing privé que s’il s’agit de personnes pour lesquelles ils assurent des missions (comptables) de caractère permanent ou habituel ou dans la mesure où lesdites consultations et actes sous seing privé sont directement liés à ces missions ». Un amendement gouvernemental (art. 21, amdt n° 1553) propose aussi d’autoriser les experts-comptables à percevoir des rémunérations au succès, à l’instar de ce qui se pratique chez les avocats en matière d’opérations de transmission d’entreprise.
Du côté des avocats, un amendement supprime l’habilitation sollicitée par le gouvernement pour créer la profession d’avocat en entreprise.