MAJEURS VULNÉRABLES

Une évolution du droit en phase avec la réalité d'aujourd'hui

Les enjeux : Jusqu’à maintenant, la gestion du patrimoine d’une personne qui n’a plus toutes ses facultés mentales ou corporelles était réfrénée par la loi civile afin d’éviter tout abus Les solutions : Rentrée en vigueur le 1er janvier 2009, la loi du 5 mars 2007 apporte aux professionnels du patrimoine plus de souplesse dans la gestion des biens du majeur vulnérable, tout en renforçant le dispositif de contrôle.

Prenant acte de l’augmentation significative du nombre de personnes fragiles en raison du vieillissement de la population, la loi du 5 mars 2007 (1) est venue réformer les règles relatives à la protection juridique des majeurs vulnérables. L’objectif affiché est de protéger la personne sans la diminuer.

Alors que le texte antérieur, issu d’une loi du 3 janvier 1968 (2), avait pour objectif principal de protéger les biens des vulnérables, la réforme consacre la protection de sa propre personne qui, jusqu’à présent, relevait de décisions jurisprudentielles. La réforme va « rendre leur dignité aux personnes qu’elle entend protéger », se félicite Jacques Combret, notaire à Rodez et membre du groupe Monassier (3). Elle substitue ainsi le terme de « majeur protégé » à celui de « majeur incapable ».

Concernant le patrimoine de la personne protégée, les professionnels pourront se réjouir d’une clarification des règles en la matière ainsi que de l’ouverture de certains instruments de gestion de patrimoine. Ils apprécieront aussi l’introduction du très innovant mandat de protection future permettant d’organiser une protection patrimoniale sur mesure. Cette nouvelle institution autorise une personne à désigner un mandataire chargé de gérer ses affaires personnelles et patrimoniales le jour où elle ne pourra plus pourvoir seule à ses intérêts.

Sauvegarde de justice et possibilité pour le mandataire d’accomplir un acte de disposition. « La sauvegarde de justice n’est plus un simple dispositif transitoire avant la mesure d’instruction d’une curatelle ou tutelle. C’est maintenant un outil de protection particulier car le majeur reste capable. La mesure ne peut excéder un an, renouvelable une fois » se réjouit Florence Fresnel, docteur en droit, spécialiste du droit des personnes et avocat au cabinet Gisserot Bernard. Ce régime peut répondre non seulement à un besoin de protection temporaire, mais aussi au besoin d’être représenté pour l’accomplissement de certains actes déterminés, le juge désignant alors un mandataire spécial à cet effet.

La nouveauté réside dans la possibilité pour ce mandataire de se voir confier un ou plusieurs actes de disposition nécessaires à la gestion du patrimoine de la personne protégée. « Cela résout le cas très courant d’une personne qui, atteinte de démence sénile, a besoin de vendre un bien ou de débloquer des sommes sur un contrat d’assurance vie pour financer son entrée en maison de retraite », illustre Florence Fresnel.

Liste des actes d’administration et de disposition des personnes sous curatelle ou tutelle. La réforme éclaircit la législation relative aux actes de gestion patrimoniale des personnes placées sous un régime d’incapacité. Afin de résoudre les problèmes qui se posaient en pratique quant à leur qualification - acte de disposition ou acte d’administration -, le décret du 22 décembre 2008 (4) informe de leur appartenance à l’une ou l’autre des deux catégories.

En outre, le texte prévoit une liste non exhaustive d’actes dont la qualification peut changer au regard des circonstances d’espèce. A titre d’exemple, la cession du portefeuille d’instruments financiers en pleine propriété ou en nue-propriété est considérée comme un acte de disposition, « à moins que les circonstances d’espèce ne permettent pas au tuteur de considérer que c’est un acte de disposition en raison de leurs faibles conséquences sur le contenu ou la valeur du patrimoine de la personne protégée, sur les prérogatives de celles-ci ou son mode de vie ».

Ouverture des libéralités au majeur sous tutelle. Traditionnellement, les libéralités effectuées par des personnes vulnérables ne sont pas encouragées par le législateur. Celles-ci sont en effet perçues comme des instruments nuisibles au disposant vulnérable ou à ses héritiers. La loi du 5 mars 2007 a modernisé cette vision en considérant que le testament et la donation « sont des actes de propriétaire. Et le majeur protégé, en tant que propriétaire, peut transmettre et optimiser son patrimoine », précise François Sauvage, professeur à l’université d’Angers, lors de la conférence sur « le notaire et la protection du patrimoine des majeurs vulnérables au lendemain de la loi du 5 mars 2007 » organisée par le Cridon, le 3 décembre 2008. Si les règles restent globalement inchangées en matière de curatelle, le régime de la tutelle s’est significativement assoupli.

S’agissant du testament, le majeur sous tutelle peut désormais y recourir seul avec l’autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille s’il a été constitué, supprimant l’obligation pour le protégé d’être assisté de son tuteur. François Sauvage doute néanmoins que « cette innovation soit souvent mise en œuvre, le testament pouvant être remis en cause pour insanité d’esprit en application des articles 414-1 et suivants du Code civil ».

Concernant les donations, si la loi du 23 juin 2006 réformant les libéralités a élargi le cercle des personnes à qui le majeur peut donner, permettant aux frères et sœurs et à leurs descendants de s’ajouter aux descendants et au conjoint du disposant, la loi du 5 mars 2007 permet de donner « à n’importe qui, tant qu’une autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille a été obtenue », observe François Sauvage. « Une personne sous tutelle qui n’a pas de famille proche pourra faire une donation. On peut néanmoins penser que le juge n’autorisera cette donation qu’après des vérifications attentives », remarque Jacques Combret. En outre, la réforme va permettre au juge d’ajuster le rôle du tuteur en fonction de la capacité de discernement de la personne vulnérable, cette dernière étant assistée ou représentée par son protecteur pour l’accomplissement de la donation.

Périodes suspectes. Par analogie avec le droit des procédures collectives, une période suspecte a été instaurée. Tous les actes passés deux ans avant la publicité du jugement d’ouverture de la mesure de protection de curatelle ou tutelle peuvent être réduits pour excès ou annulés en présence d’un préjudice subi par la personne protégée.

A titre d’exemple, illustre Florence Fresnel, « avant la crise financière que l’on connaît actuellement, un banquier, mandataire d’une personne âgée, prend pendant deux ans et quotidiennement des décisions d’arbitrage concernant la gestion du compte-titres de son client. Le mandant voit néanmoins son portefeuille augmenté de la valeur nominale de la Bourse mais, en revanche, perd des sommes importantes liées au fait qu’il doit rémunérer à la commission la banque d’une part, et d’autre part verser des impôts pour plus-values. Il est mis sous sauvegarde de justice avant d’être mis sous tutelle. Son protecteur, sur le fondement de la période suspecte, intente une action contre le gestionnaire de patrimoine. Tous les actes sont annulables en raison du préjudice subi par son client ». Il reste que cette période suspecte ne fait pas obstacle à la possibilité de faire annuler un acte pour insanité d’esprit.

Mandat de protection future. L’introduction en France du mandat de protection future est une innovation marquante de la réforme. Il est désormais possible pour une personne de désigner un mandataire chargé de gérer ses affaires personnelles et patrimoniales le jour où elle ne pourra plus pourvoir seule à ses intérêts. La loi ouvre aussi ce mandat aux pères et mères qui souhaiteraient organiser la protection future de leur enfant handicapé.

Alternative aux régimes judiciaires que sont la sauvegarde de justice, la curatelle et la tutelle, il s’agit d’une mesure de protection conventionnelle, c’est-à-dire qui fait appel à la volonté même de la personne à protéger. Contrairement à la curatelle ou à la tutelle privilégiant les curateurs et tuteurs familiaux, toute personne physique peut être désignée mandataire. Le mandant peut donc choisir un avocat ou un notaire pour assurer sa protection future.

En raison de la gravité de cet acte, le mandat est soit notarié, soit sous seing privé accompagné du contreseing d’un avocat ou établi selon un modèle défini par le décret du 30 novembre 2007 (5).

Les règles de gestion du patrimoine de la personne protégée sont fixées librement par les parties. Néanmoins, le mandataire ne peut être autorisé d’une façon générale à accomplir des actes de disposition que si le mandat est notarié. C’est pourquoi le notaire sera amené à contrôler annuellement la gestion de ce mandat conclu sous la forme authentique.

Ensuite, en présence d’un patrimoine important ou complexe, le mandataire pourra se substituer un tiers, à titre spécial, pour gérer le patrimoine de la personne protégée. « Ce tiers peut être un gestionnaire de patrimoine, un expert-comptable, un avocat, un expert immobilier ou un expert dans le domaine de l’art », précise Henri Vincent, conseiller en gestion de patrimoine. « Un mandat de protection future pris par des parents pour protéger leur enfant handicapé peut être complété par un mandat à effet posthume, instrument organisé par la loi du 23 juin 2006 portant réforme des libéralités et des successions. La personne handicapée verra la gestion d’un portefeuille de valeurs mobilières, dont il a hérité, confié à un mandataire désigné par le défunt », note Cédric Kasztelan, ingénieur patrimonial chez Quilvest.

Les professionnels sont donc invités à découvrir cet outil qui peut leur permettre de renforcer leur rôle dans la mise en place de la stratégie patrimoniale et familiale globale.

(1) Loi n° 2007-308 du 5 mars 2007.

(2) Loi du 3 janvier 1968 n° 68-5 portant réforme du droit des incapables majeurs.

(3) Président du Congrès des notaires de France 2006 consacré aux personnes vulnérables.

(4) Décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 relatif aux actes de gestion de patrimoine des personnes placées en curatelle ou en tutelle.

(5) Décret n° 2007-1702 du 30 novembre 2007 relatif au modèle de mandat de protection future sous seing privé. Est jointe à ce modèle une notice d’information fixée par un arrêté du 30 novembre 2007.

Pour aller plus loin

Majeurs protégés au 1er janvier 2009, par Henri Vincent en collaboration avec la rédaction des éditions Francis Lefebvre, Editions Francis Lefebvre, 274 p., 62 euros