Chef d'entreprise

Une donation avant cession à entourer de précautions

Pour un chef d’entreprise, l’anticipation d’une transmission successorale peut se révéler judicieuse
Cette stratégie exige du donateur d’excellentes connaissances de diverses natures, surtout en présence d’enfants mineurs

Lorsqu’un chef d’entreprise ou un détenteur de participation a la possibilité de céder ses titres en réalisant une plus-value importante, cela représente toujours une étape clé dans la structuration de son patrimoine. Différentes stratégies se présentent alors à lui en fonction de ses objectifs. L’anticipation de la transmission successorale en est une, et nécessite une parfaite maîtrise financière, juridique et fiscale. D’autant plus lorsque les enfants du donateur sont mineurs. Le cas pratique ci-
dessous en est une parfaite illustration.

Situation patrimoniale :

Monsieur Vincent X, vous avez 37 ans, êtes marié sous le régime de la séparation de biens avec Cécile, 32 ans.

Vous êtes tous les deux de nationalité française et résidents fiscaux français.

Vous êtes cadre supérieur dans l’industrie du private equity et votre épouse est en reprise d’études. Vous avez un fils, Raphaël, âgé de 3 mois.

Patrimoine global :

Vous êtes locataire de votre résidence principale pour 1.800 euros / mois et détenez une résidence secondaire à Albertville.

Vous avez réalisé un investissement immobilier en loi Scellier intermédiaire situé en proche banlieue parisienne et détenez des parts d'une SCI familiale.

Vos actifs financiers sont placés en assurance vie de droit luxembourgeois, ainsi qu’en compte titres avec un profil de gestion équilibré.

Vous détenez une participation dans une société X qui devrait être cédée avant la fin de l’année 2017.

Enfin, votre profession vous permet d’investir en parts C vous donnant droit à un carried interest dès lors que le taux de rentabilité interne (TRI) du fonds que vous gérez dépasse un certain pourcentage. Le montant de ce carried est inconnu à ce jour (voir les tableaux 1 et 2).

Flux :

Vos revenus sont de l’ordre de 174.000 euros par an pour des dépenses récurrentes de 114.000 euros. Vous êtes donc en capacité d’épargne d’environ 60.000 euros par an (voir le tableau 3).

Stratégies proposées :

1. Donation de 70.000 euros de titres X à Cécile en pleine propriété. Afin de rééquilibrer les patrimoines entre Cécile et vous, vous pourriez lui transmettre en pleine propriété 70.000 euros de titres X dont la cession interviendrait
avant fin 2017. Cette donation se ferait en franchise de droits du fait de l’abattement entre époux de 80.724 euros. Par ailleurs, lorsque Cécile vendra les titres, il n’y aura pas ou peu de plus-value dégagée car le prix de revient correspondra à peu près au prix de cession. Cécile pourra placer ces capitaux en contrat d’assurance vie avec un profil de gestion à définir en fonction du couple risque / rendement souhaité. Il convient toutefois de noter que cette donation consentie à votre épouse viendra s’imputer sur la quotité disponible lors de votre succession, pour un montant qui dépendra des réinvestissements qu’elle pourra réaliser d’ici là, limitant d’autant votre capacité à disposer de vos biens à son profit... ou à celui d’un tiers (les enfants étant héritiers réservataires). Par ailleurs, comme vous le savez, les donations entre époux sont irrévocables depuis 2005, même en cas de divorce.

2. Donation de 330.000 euros de titres X à Raphael en nue-propriété. Vous pouvez anticiper la transmission de votre patrimoine en donnant la nue-propriété de 330.000 euros de titres X à Raphaël. Compte tenu de votre âge, la nue-propriété vaut 30 % de la valeur des titres en pleine propriété, soit 99.000 euros. Cette donation se fera donc en franchise de droit, compte tenu de l’abattement de 100.000 euros.

2.1. Objectif : Donner les titres à Raphaël en conservant l’usufruit vous permettra de transmettre une valeur importante en totale franchise fiscale. La donation ne génèrera aucun droit au moment de sa réalisation car la valeur fiscale de la nue-propriété (1) est inférieure au montant de l’abattement de 100.000 euros dont chaque parent dispose à l’égard de chaque enfant tous les 15 ans. De même, l’extinction de l’usufruit lors de votre décès, ou de celui de votre épouse en cas de constitution d’un usufruit successif à son profit, ne sera pas davantage imposée, même si les titres (ou ce qui en sera la représentation) valent beaucoup plus cher à cette époque.

La réserve d’usufruit vous permettra de conserver les dividendes des titres et une certaine capacité de gestion des titres (2), mais pas de disposition. En cas de donation d’un portefeuille de titres (ce qui n’est pas le cas pour les titres de la société X), l’usufruitier peut le gérer seul sans avoir à obtenir l’accord du nu-propriétaire pour chaque opération. Il peut ainsi arbitrer seul les titres, sous réserve de préserver la substance du portefeuille en remplaçant les titres cédés, et n’a qu’un devoir d’information envers le nu-propriétaire (3).

2.2. Précautions à prendre en présence d'un donataire mineur Depuis l’arrêt Baylet, on sait que la cession de titres cotés doit être autorisée par le nu-propriétaire si elle ne permet pas de préserver la substance du portefeuille. La cession de titres non cotés doit quant à elle toujours être consentie par le nu-propriétaire. Or, Raphaël est mineur. En vertu de l'article 387-1, 8° du Code civil (4), la réalisation d'un acte portant sur des valeurs mobilières ou instruments financiers est soumise à l'autorisation préalable du juge des tutelles si cet acte engage le patrimoine du mineur pour le présent ou l'avenir par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives du mineur. Ce serait évidemment le cas en l’espèce en cas de cession d’une partie importante ou de la totalité des titres X. Or vous souhaitez certainement éviter d’avoir à recourir à une autorisation judiciaire pour vendre les titres, le cas échéant en urgence.

Il vous suffit pour cela de désigner, dans l’acte de donation, un tiers administrateur qui aura notamment le pouvoir de vendre la nue-propriété des titres de Raphaël sans avoir besoin de solliciter l’accord du juge des tutelles. En effet, l’article 384 du Code civil dispose que « ne sont pas soumis à l'administration légale les biens donnés ou légués au mineur sous la condition qu'ils soient administrés par un tiers » et poursuit en assurant que « le tiers administrateur a les pouvoirs qui lui sont conférés par la donation, le testament ou, à défaut, ceux d'un administrateur légal ». Ce tiers ne pourra être ni votre épouse, ni vous-même, mais devra être un proche digne de confiance à qui vous confierez les pouvoirs nécessaires, tout en les encadrant. A notre sens, le parent donateur et administrateur légal ne peut pas, sous le couvert d'une condition, s'affranchir des règles légales quant à l'administration des biens de ses enfants mineurs. Le donateur ne peut donc pas se nommer lui-même administrateur des biens donnés quand il est administrateur légal, de même qu'il ne peut pas nommer le co-administrateur légal (l’autre parent) avec des pouvoirs plus étendus.

2.3. Que se passera-t-il en cas de vente des titres ? Du point de vue du droit civil, il est nécessaire de prévoir dans l’acte de donation ce que deviendra le prix de cession en cas de vente des titres démembrés. Il existe trois possibilités :

– Celle prévue par l’article 621 du Code civil : répartir le prix entre usufruitier et nu-propriétaire au prorata des droits de chacun, selon un calcul économique ou fiscal (5) de la valeur de l’usufruit. L’acte devra alors prévoir les prérogatives de l’administrateur sur la partie du prix revenant à Raphaël ;

– le remploi de tout ou partie du prix de cession dans une nouvelle acquisition en démembrement, avec report de l’usufruit sur ce nouveau bien. Les pouvoirs de l’administrateur des biens de Raphaël devront alors comporter la faculté de remployer le prix de vente ;

– constitution d’un quasi-usufruit sur le prix de cession permettant au donateur de conserver la totalité du prix, et la liberté d’en disposer, à la seule charge d’en restituer la valeur lors de son décès. La mission de l’administrateur s’achèvera alors par la vente des titres.

Si l’acte de donation peut laisser au donateur la liberté de choisir l’une ou l’autre des deux premières options au moment de la cession des titres, il nous semble nécessaire que la troisième option, si elle devait être retenue, le soit formellement dès l’acte initial pour éviter toute remise en cause par l’administration fiscale.

Du point de vue fiscal, la donation de la nue-propriété des titres au profit de Raphaël aura pour effet de purger les plus-values latentes sur les droits donnés, mais pas sur l’usufruit, conservé. Se pose alors la question de savoir qui paie l’impôt (6), et comment sont calculés les abattements pour durée de détention. Le BOFiP (7) édicte à ce sujet des règles précises :

– En cas de répartition du prix entre usufruitier et nu-propriétaire : chacun supporte sa part d’impôt et bénéficie de son propre abattement pour durée de détention ;

– en cas de report du démembrement : le nu-propriétaire est redevable de l’impôt sur la plus-value relative à l’usufruit. Il pourra alors être opportun de donner quelques titres en pleine propriété pour lui permettre de payer l’impôt. L’abattement pour durée de détention dépendra de la date de la donation ;

– en cas de constitution d’un quasi-usufruit sur le prix : l’usufruitier est seul redevable de l’impôt. C’est sa date d’acquisition qui sert de point de départ pour le calcul de l’abattement.

Dans ces deux derniers cas, la valeur de départ à retenir est celle de la pleine propriété augmentée de l’accroissement de la nue-propriété.

Notons, en ce qui concerne le quasi-usufruit, que nous avons prévu de procéder à une donation des titres avec une simple réserve d’usufruit – seul le prix de cession pouvant éventuellement faire l’objet d’un quasi-usufruit – mais que nous aurions également pu prévoir une réserve de quasi-usufruit sur les titres eux-mêmes. Dans ce cas, le donateur conservant la libre disposition des titres, et quasiment la propriété, pourrait les céder sans même avoir besoin d’un administrateur pour représenter son fils.

Néanmoins, dans cette situation a priori plus simple, se pose la question de l’imposition de la plus-value. Le donateur est-il vraiment usufruitier, ou est-il encore propriétaire, à charge de verser une créance de restitution à son fils à l’extinction du quasi-usufruit ? Une réponse ministérielle Valleix du 25 mars 1996, non reprise au BOFiP, avait tiré les conclusions des droits exorbitants du quasi-usufruitier en considérant qu’il cédait en réalité la pleine-propriété des titres et devait être imposé comme s’il en était seul propriétaire. Si cette solution devait être retenue, la donation préalable à la cession ne purgerait aucune plus-value.

2.4. Usufruit ou quasi-usufruit ? Lorsque la donation de la nue-propriété précède la cession des titres et a pour effet, voire pour objet, de purger une partie des plus-values latentes, on sait qu’un report du démembrement est possible sur un nouvel actif, mais on s’est longtemps demandé s’il était également possible de constituer un quasi-usufruit sur le prix de vente sans que cette opération ne cache une réappropriation du prix par le donateur qui aurait pour effet de priver la donation de toute efficacité.

Par un arrêt rendu le 10 février 2017 (8), le Conseil d’Etat a validé la possibilité pour un donateur de se réserver un quasi-usufruit sur le prix de vente des titres dont la donation de la nue-propriété est préalable à la cession. L’administration fiscale prétendait à tort qu’une telle donation était fictive et ne pouvait pas avoir pour effet de purger la plus-value, considérant que le donateur se réappropriait l’objet de la donation. En réalité, le donateur quasi-usufruitier est bien débiteur d’une créance de restitution dont le donataire est créancier, même si aucune garantie ne lui est fournie. La donation est donc bien réelle.

La question de savoir s’il vaut mieux réserver un simple usufruit ou un quasi-usufruit ne dépend donc pas de la faisabilité fiscale puisque les deux sont possibles.

2.5. Quid de la revalorisation des droits du nu-propriétaire après la cession ? Lorsque le prix de cession des titres est remployé dans une nouvelle acquisition démembrée, le
nu-propriétaire a vocation à devenir à terme propriétaire du bien subrogé. Par exemple, si les titres ont été vendus 100 et que cette somme est réinvestie dans l’achat d’une maison qui, au moment du décès de l’usufruitier, vaut 1.000, le donataire sera bien propriétaire de 1.000.

En revanche, si le prix de 100 fait l’objet d’un quasi-usufruit, la somme dont le donataire sera créancier au décès du donateur sera en principe de 100.

La restitution des sommes soumises au quasi-usufruit obéit au principe du nominalisme monétaire. Pour protéger les nus-propriétaires contre l'érosion monétaire, une clause d'indexation peut néanmoins utilement être stipulée.

La clause d'indexation doit respecter les prescriptions des articles L. 112-1 et suivants du Code monétaire et financier desquels il résulte notamment qu'est interdite toute clause prévoyant des indexations fondées sur le Smic, sur le niveau général des prix ou des salaires ou sur les prix des biens, produits ou services n'ayant pas de relation directe avec l'objet du statut ou de la convention ou avec l'activité de l'une des parties.

Fiscalement, en cas d'indexation de la créance, le montant reportable au passif de la succession du quasi-usufruitier devrait alors être celui de la dette de quasi-usufruit indexée.

Dans le même esprit, on devrait également pouvoir prévoir une revalorisation de la créance de restitution en fonction des remplois faits par le quasi-usufruitier, selon le principe de la dette de valeur. Cela nécessite toutefois de mettre en place une traçabilité des remplois successifs contraignante pour le quasi-usufruitier. L’ex-nu-propriétaire des titres n’étant en effet plus nu-propriétaire du prix de vente, seul l’usufruitier peut le réinvestir en qualité de propriétaire, ce qui ne permet pas au premier d’accéder à une information automatique en cas d’utilisation des fonds.

Indexation et/ou revalorisation de la créance devraient donc permettre d’améliorer le sort du donataire, mais l'administration fiscale n'ayant pas pris position sur cette question, la prudence reste de mise car il n’est pas certain qu’elle admette l’inscription au passif de la succession du quasi-usufruitier d’une somme supérieure à la créance nominale initiale. Nous pensons toutefois que rien ne justifierait un tel refus.

2.6. Quid en cas de survenance d'un ou plusieurs autres enfants ? Votre âge permet d’envisager que Raphaël ne reste pas fils unique. Il est donc nécessaire d’anticiper la survenance de frères et sœurs. Dans un tel cas, lors de votre décès, Raphaël sera débiteur à l’égard de son ou ses cohéritiers du rapport de sa donation (9).

En d’autres termes, on pourrait dire qu’il devra remettre dans le pot commun : soit la valeur en pleine propriété des biens dont il aura été nu-propriétaire jusqu’à votre décès (en cas de réserve d’usufruit simple), soit le montant de la créance de restitution (en cas de quasi-usufruit). Dans ce second cas, Raphaël sera également créancier contre la succession de la restitution des sommes soumises au quasi-usufruit. Si vous ne laissez que des descendants, héritiers par parts égales, il sera donc créancier et débiteur de la même somme qui se compensera partiellement, à hauteur de ses droits dans la succession.

Exemple : imaginons que vous laissez trois enfants et un patrimoine brut de 600.000 euros. Raphaël doit recevoir une créance de quasi-usufruit de 300.000 euros, mais doit également un rapport de 300.000 euros à la succession. Votre actif net de succession à partager est donc de (600.000 – 300.000 + 300.000 = 600.000), dont un tiers revient à chaque enfant, soit 200.000 euros. Raphaël ne pourra donc prétendre qu’à 200.000 euros et l’égalité entre les enfants sera respectée.

Si, dans un cas similaire, vous n’aviez pas conservé un quasi-usufruit mais un simple usufruit, Raphaël deviendrait à votre décès propriétaire d’un ou plusieurs biens d’une valeur de 300.000 euros, par extinction de votre usufruit, mais il serait alors redevable à l’égard de ses cohéritiers d’une somme de 100.000 euros pour pouvoir les conserver en nature.

Vous l’aurez compris, les règles du Code civil permettent d’assurer l’égalité entre vos descendants, mais cela peut se faire au prix de calculs complexes et de discussions sans fin lors de votre décès. Afin de les éviter, il vous sera possible de procéder à une donation-partage de votre vivant dans laquelle vous pourrez soit redistribuer entre vos enfants ce qui avait été donné au premier lorsqu’il était seul, soit leur donner l’équivalent en valeur. Les comptes seront ainsi figés entre eux, sans discussion possible lors de votre décès.

Conclusion

A l’issue de ces donations, vous aurez optimisé une grande partie du produit de cession de vos participations d’un point de vue financier, juridique et fiscal, ce qui était votre souhait de départ. Les techniques juridiques évoquées ci-dessus vous permettent de transmettre dans de bonnes conditions, tant en termes de timing vis-à-vis de la cession (pas de passage par le juge des tutelles) qu’en termes de liberté d’allocation d’actif et de souplesse fiscale (quasi-usufruit).

Notons enfin que le nouveau mode d’imposition des plus-values au prélèvement forfaitaire unique de 30 % maintient l’intérêt des donations-cessions dans la plupart des cas.

(1) 330.000 € x 30 % = 99.000 € selon le barème fiscal de l’article 669 du CGI.

(2) Dans les sociétés par actions, sauf disposition contraire, l’usufruitier garde en principe le droit de vote aux AG pour les décisions ordinaires.

(3) Arrêt Baylet, Ccas. Civ. 1e, 12 novembre 1998, 96-18.041, Bull. 1998, I, n° 315, p.217.

(4) Dans sa version issue de l’ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit de la famille, entrée en vigueur le 1er janvier 2016.

(5) Le recours au barème de l’article 669 du CGI n’est ici pas obligatoire, et même plutôt déconseillé dans la mesure où il donne une valeur fictive de l’usufruit, déconnectée du sexe et de l’âge réel de l’usufruitier.

(6) Même si usufruitier et nu-propriétaire sont dans le même foyer fiscal, la prise en charge de l’impôt de l’un par l’autre pourrait être considérée comme une libéralité, elle-même imposable.

(7) BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20-60-20150702

(8) CE, 10 février 2017, n° 387960 : JurisData n° 2017-002348.

(9) Article 843 du Code civil.