
Un recours à la cryptomonnaie

En septembre 2018, Simon Desplanques, avocat associé, et Alexandre Rosin avocat du cabinet Fidal ont accompagné deux porteurs de projet qui ont souhaité constituer leur société au moyen d’apports en cryptomonnaie. « Cette opération est une pratique innovante pour nos clients qui fournissent des services liés à la blockchain et aux cryptoactifs. L’occasion pour eux de promouvoir leur activité », précisent leurs conseils, « à notre connaissance il n’y a pas de précédents en France. Nous espérons que cette transaction pourra faire bouger les lignes de l’utilisation des monnaies digitales freinée par une réglementation lacunaire. Il faut pour le moment lancer des pratiques de place ».
Nature de l’apport. En l’espèce le capital a été constitué pour moitié par apports en numéraire et pour l’autre moitié par apports en Eurs. A ce jour les cryptoactifs ne sont régulés par aucun Etat, ni aucune banque, ils n’ont d’ailleurs pas de cours officiel. « Dans ces conditions la législation française ne les assimile pas à une monnaie de paiement, pourtant aucune législation spécifique n’interdit l’utilisation de cryptoactifs pour constituer le capital d’une société », soulignent Simon Desplanques et Alexandre Rosin. Restait à définir la nature de cet apport.Ce point a été tranché par le Conseil d’Etat qui définit les monnaies numériques, comme des biens meubles incorporels. « Dès lors l’apport en capital d’Eurs constituait un apport en nature et non pas en numéraire », concluent les avocats du cabinet Fidal.
Valorisation de l’actif. En comparaison avec les devises traditionnelles, les monnaies virtuelles fluctuent rapidement et présentent un caractère très volatil. Or la valorisation d’une cryptomonnaie est déterminante à partir du moment où elle participe au capital. Le choix du Eurs n’est donc pas anodin. « Ces cryptoactifs ont été retenus pour leurs caractéristiques intrinsèques à savoir un cours stable (stablecoin) et parce que le taux de parité est ajusté à celui de l’euro », expliquent Simon Desplanques et Alexandre Rosin. « Dans ce dossier ce sont les apporteurs qui ont déclaré sous leur responsabilité la valeur de leurs apports. Ceux-ci étant inférieurs à 30.000 euros, nous n’avions pas besoin d’un commissaire aux apports. Dans le cas inverse, nous ne pouvons pas garantir – en l’état actuel de la législation – que les commissaires accepteront d’engager leur responsabilité sur ce type d’opération », avertissent les avocats.
Une ébauche de réglementation. « Aujourd’hui les conseils travaillent par réflexe en référence à la réglementation jusqu’alors existante, bien que les règles fiscales et juridiques n’aient pas été pensées pour gérer des sujets comme les cryptoactifs. Sur ce point, la législation évolue pour définir et encadrer les monnaies numériques et le régime fiscal qui leur est associé », relèvent les avocats. Une définition issue du projet de loi Pacte, qui prévoit de donner une définition légale des actifs numériques au sein du Code monétaire et financier.
Régime fiscal des jetons. « Même si la fiscalité de ces actifs n’est pas totalement clarifiée, un cadre fiscal commence à poindre », constatent Simon Desplanques et Alexandre Rosin.
En 2018, l’administration avait choisi d’imposer les gains résultant des cessions de cryptoactifs dans la catégorie de BNC ou BIC, « cette dernière étant la plus pénalisante qui soit, puisque les plus-values étaient assimilées à des revenus professionnels sur lesquels sont prélevées des cotisations sociales ». Puis le Conseil d’Etat (1) a censuré Bercy, jugeant qu’un particulier qui se contente d’acheter et de revendre des cryptomonnaies à titre non habituel est soumis au régime des plus-values sur bien meubles et à la flat tax. La loi de finances pour 2019 « prévoit également que les gains provenant d’opérations d’échanges entre monnaies virtuelles bénéficient du sursis d’imposition ». Pour aller plus loin dans le contrôle des cryptomonnaies, le projet de loi Pacte instaure un cadre juridique dédié aux offres de jetons virtuels.
(1) Décision du 26 avril 2018, 8e - 3e chambres réunies, n°417809.