
Un périmètre plus étendu qu’il n’y paraît

Depuis de nombreuses années, je m’attache, avec bienveillance, en ma qualité de président de Fidroit, à vous faire part de convictions qui sont autant de témoignages de l’intérêt que je porte au conseil en gestion de patrimoine.
Rappel à l’ordre. C’est aujourd’hui la jurisprudence qui, malheureusement et plus douloureusement, vient préciser les contours de vos obligations de conseil, avec plusieurs coups de boutoir successifs que nul ne pourra plus ignorer à l’avenir. Elles sont beaucoup plus vastes que ce à quoi on a voulu les réduire… Attention au défaut de conseil ! Contraints et mal préparés par votre environnement, je n’ai pas, nous n’avons pas toujours réussi à vous convaincre de l’étendue de votre obligation de conseil. Or, différents arrêts de justice étayent plusieurs de nos propos. Ceux que nous tenons de longue date pour vous permettre d’anticiper. Ce sont, à ce stade, de sérieux rappels à l’ordre de la part des juges mais il s’agit d’une mutation profonde.
Une obligation spécifique de conseil. Le 23 septembre 1994, la Cour de cassation a rappelé que le métier de conseil en gestion de patrimoine (CGP) était un métier de conseil et qu’il reposait sur ce professionnel une obligation spécifique de conseil. A cette occasion, elle a montré qu’elle avait une vision autonome de la mission de CGP, celle-ci étant différente de celle d’un CIF, du courtier, de l’agent général. Vous le voyez, la Cour de cassation ne s’arrête pas à l’absence de statut. Sa mission est de délivrer un conseil fondé sur une approche globale. Elle précise que la vente de produits ne doit être qu’un accessoire du conseil, et qu’une stratégie patrimoniale ne doit pas être menée « soit directement par l’orientation vers des produits de placement, ni indirectement ». La définition du principal et de l’accessoire est très claire pour la Cour de cassation. Attention aux modes opératoires actuels et au modèle économique qui pourraient donner un signal opposé.
Une obligation professionnelle plus étendue que l’obligation contractuelle. Cet arrêt a été un premier avertissement à ceux qui, en qualité de CIF, voyaient dans la réglementation un cadre tout à la fois contraignant mais cependant limité à la seule matière financière. Ce n’est pas le cas… Il est non seulement conforté mais il est renforcé. A côté du conseil en investissement, les préconisations fiscales ne sont pas à l’abri de mises en cause. Le 29 juin 2017, la cour d’appel d’Aix-en-Provence (n°15/00805) a rappelé aux métiers du « conseil » qu’ils sont tenus à une obligation d’information et de conseil (L’Agefi Actifs, n°709, p. 24). Or cette obligation est lourde. La sphère du conseil définie par les arrêts de la cour d’appel de Rouen, le 14 janvier 2015, et de la cour d’appel de Paris, le 25 avril 2017, qui traitent du manquement au devoir d’information et de conseil, dépasse de loin une idée très largement répandue. Ces arrêts rappellent que l’obligation professionnelle est plus étendue que l’obligation contractuelle envers son client.
Suggérer les mesures les plus propices. Dans l’affaire citée, l’avocat devait non seulement répondre, selon les juges, à la question précise qui lui était posée, mais également faire part à ses clients de la possibilité de bénéficier de solutions fiscales plus intéressantes. C’est dit ! Et cela est très engageant pour celles et ceux qui se présentent à leurs clients comme conseils en patrimoine. Je retiens volontairement ces deux mots car ils révèlent sur quoi portent les engagements du professionnel. Dans ces affaires est évoqué le fait que le professionnel a une obligation générale d’information et de conseil à l’occasion des actes qu’il instrumente, c’est vrai d’un notaire, d’un avocat, ce serait vrai à l’identique d’un CGP. L’arrêt mentionne qu’il appartenait au notaire d’informer son client des conséquences fiscales de la déclaration de succession qu’il établissait et qu’il lui revenait de conseiller utilement ses clients en leur suggérant les mesures les plus propices pour obtenir le résultat qu’ils désirent atteindre et minimiser les répercussions fiscales.
Un écrit indispensable. En conséquence de quoi, il a été condamné pour ne pas avoir fait prendre un pacte d’engagement Dutreil post mortem. Mesurez dès lors vos obligations en qualité de conseil en gestion de patrimoine ! Imaginez, par exemple, ceux des professionnels qui assument la déclaration d’ISF de leurs clients et qui ne proposeraient pas de pacte Dutreil ISF ! Or, là encore, le tribunal mentionne que c’est au professionnel d’apporter la preuve du respect de ses obligations professionnelles. L’écrit est donc indispensable, et, encore une fois, bien au-delà des obligations réglementaires. Il est évoqué ici tous les éléments qui fondent l’exécution de la mission du professionnel conseil à l’égard de son client.
Un devoir d’anticipation ? L’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 29 juin 2017 démontre que le CGP doit réaliser un investissement constant par l’actualisation de ses connaissances mais aussi par une formalisation précise de ses missions et des informations et préconisations prodiguées. Il rappelle qu’un CIF titulaire de la compétence juridique appropriée doit renseigner son client non seulement sur l’état du droit mais également sur les projets législatifs. Ceci rappelle une nouvelle fois que l’absence de statut du CGP ne l’exonère pas pour autant d’obligations qui lui sont propres. Lorsque des évolutions législatives, nous disent les conclusions de l’arrêt, conduisent à un préjudice pour le client en raison des conséquences qu’elles impliquent sur les stratégies patrimoniales proposées, le professionnel est susceptible d’engager sa responsabilité.
S’informer pour informer. En conséquence, les professionnels doivent préalablement à tout conseil juridique et fiscal fourni se renseigner sur les projets législatifs non encore adoptés et intégrer l’éventualité d’une modification des règles applicables aux préconisations présentées à leurs clients. Ils doivent donc aviser leurs clients sur les évolutions potentielles et leurs conséquences sur la stratégie envisagée. La Cour de cassation a d’ailleurs, dans des attendus récurrents, rappelé que « celui qui a accepté de donner des renseignements a lui-même l’obligation de s’informer pour informer en connaissance de cause ». Les juges d’Aix-en-Provence ont enfoncé le clou en précisant que la société de conseil en investissement financier devait porter à la connaissance du client la possibilité de la rétroactivité de la loi de finances dans la mesure où le risque existe que l’opération envisagée ne corresponde plus aux objectifs du client.
Suivi et formation. L’obligation de suivi est pleinement matérialisée, combinée à une obligation de formation continue pour en assumer totalement la charge. Nous nous éloignons des seules contraintes réglementaires qui imposent le suivi pour légitimer sa rémunération récurrente. Il s’agit de se protéger des foudres des tribunaux. En synthèse, il convient de rappeler que votre métier dual vous a permis d’agir aussi bien en qualité de conseil que de distributeur. Toutefois, ces jugements nous rappellent avec une acuité certaine plusieurs réalités des obligations d’un CGP.