Impôt sur la fortune immobilière

Un nouveau contentieux se profile

Patrice Bonduelle, notaire associé, Michelez Paris, chargé d’enseignement, Paris-I Panthéon Sorbonne et Luc Jaillais, avocat associé, CMS Bureau Francis Lefebvre, coprésident de la commission fiscalité du patrimoine de l’IACF
​A côté du passif déductible, le passif pris en compte pour le calcul de l’IFI doit être étudié
Une nouvelle fois, les garde-fous prévus modifient les habitudes des conseils en patrimoine

Patrice BonduelleLuc Jaillais

Patrice Bonduelle, notaire associé, Michelez Paris, chargé d’enseignement, Paris I Panthéon-Sorbonne, et Luc Jaillais, avocat associé, CMS Bureau Francis Lefebvre, coprésident de la commission fiscalité du patrimoine de l’IACF

En complément de l’étude portant sur le passif déductible, tel qu’il est mentionné à l’article 974 du Code général des impôts (CGI) (lire L’Agefi Actifs, n°715, p.17), il est question de revenir désormais sur le dispositif de l’article 973 du CGI qui vise le passif pris en compte. Le passif des sociétés ou des organismes détenant directement ou indirectement des biens immobiliers taxables constitue en effet un autre sujet d’attention du législateur. Sa prise en compte pour l’évaluation des participations taxables reste de principe mais sous certaines restrictions.

A - Le principe : évaluation des participations sur la base de leur valeur vénale

Conformément aux dispositions des articles 965 et 973 CGI, qui renvoient aux règles applicables en matière de droits de mutation par décès, ces participations seront estimées sur la base de leur valeur économique, puis pour définir la fraction taxable, il y sera appliqué « un coefficient correspondant au rapport entre, d’une part, la valeur vénale réelle des biens ou droits immobiliers imposables et, le cas échéant, la valeur (1) des parts ou actions représentatives de ces mêmes biens et, d’autre part, la valeur vénale réelle de l’ensemble des actifs de la société ou de l’organisme » ( art. 965 2° CGI), autrement dit un ratio actif brut taxable/actif brut total, que nous proposons de qualifier de « coefficient immobilier ».

Le passif social, quelles qu’en soient la nature et l’origine, viendra donc bien minorer la valeur taxable. Y compris, par conséquent, les dettes non liées aux biens ou droits immobiliers détenus. Exemple : une dette d’acquisition de valeurs mobilières ou d’autres biens immobiliers exonérés (professionnels) et le passif courant (dont l’IS)(2)

Ces règles d’apparence simple recèlent en réalité une certaine complexité. Ainsi, une société ne détenant aucun bien immobilier, dont la valeur économique des titres serait de 5 millions d’euros pour un actif de 6 millions d’euros, achète un immeuble de rapport pour 24 millions d’euros entièrement financé par un crédit bancaire ; l’assiette taxable ressort à :

Valeur économique (VE) : 5 + 24-24 = 5 millions d’euros ;

Coefficient immobilier (CI) = 24/(6+24) = 80% ;

Valeur taxable : VE x CI = 5 x 80% = 4 millions d’euros. Constat : alors que la valeur initiale de 5 millions d’euros était totalement hors du champ de l’IFI, l’acquisition d’un immeuble par un endettement à 100 % qui n’augmente en rien la valeur de la société la rend néanmoins très lourdement et artificiellement taxable.

Enseignement n°1 : mieux vaut éviter de mélanger l’immobilier imposable et les actifs non imposables ! On observe en outre, en poursuivant l’exemple ci-dessus, qu’une majoration de valeur des seuls biens non taxables entraîne une hausse de valeur des titres non totalement compensée par la baisse du coefficient. Ainsi, pour une hausse de 3 millions d’euros limitée aux actifs non immobiliers, majorant d’autant la valeur économique des titres, l’assiette taxable augmente de 1,8 million d’euros !

- Valeur économique (VE) : (5+3) + (24–24) = 8 millions d’euros ;

- Coefficient immobilier (CI) = 24 /(6+3)+24 = 72,7% ;

- Valeur taxable : VE x CI = 8 x 72,7% = 5,8 millions d’euros.

Enseignement n°2 : loger l’actif immobilier avec sa dette d’acquisition dans un véhicule ad hoc évite de créer un coefficient immobilier déconnecté de la valeur nette réelle de l’immobilier. Ici, une acquisition par la formule classique d’une SCI aurait maintenu l’assiette imposable à zéro, les parts de la filiale immobilière ayant une valeur nulle et ne majorant pas le coefficient immobilier. Par ailleurs, l’article 973 prévoit certaines restrictions.

B -  Les dettes prises en compte sous condition d’un objectif non « principalement fiscal »

Certaines catégories de dettes souscrites directement ou indirectement par une entité sont présumées suspectes et ne seront prises en compte que si le redevable justifie du caractère non principalement fiscal du prêt, condition des plus imprécises...

Suspicion causée par l’origine du bien financé. Sont visées les dettes sociales souscrites « pour l’acquisition d’un bien ou droit immobilier imposable » appartenant à une des personnes membres du foyer fiscal « qui contrôle, (...) seule ou conjointement avec les autres personnes » l’entité concernée (art. 973 II 1°).

Le schéma visé ici est celui couramment qualifié de « vente à soi-même », c’est-à-dire de vente d’un bien immobilier à une société contrôlée, qui restera évidemment praticable dès lors que le ou les objectifs qu’il poursuit sont principalement autres que fiscaux (et tout particulièrement ceux d’une transmission organisée, sans indivision, de l’opportunité de dégager des liquidités pour des investissements « productifs »...). Relevons que seule la vente d’immeubles par les redevables est mentionnée ici.

Suspicion causée par l’identité du créancier. Sont ainsi visées les dettes sociales souscrites :

- Auprès d’un membre du foyer fiscal (art. 973 II 2°) ;

- ou « auprès d’une société ou d’un organisme contrôlé » directement ou indirectement par un membre du foyer fiscal, seul ou conjointement avec un autre de ses membres, leurs ascendants ou descendants ou leurs frères et sœurs (art. 973 II 4°) pour l’acquisition d’un bien ou droit immobilier imposable (3) ou pour des dépenses d’entretien ou d’amélioration ou construction visées à l’article 974 I 2° et 3° (4).

Le financement d’une société par compte courant d’associé, pratique des plus banales en matière d’investissements immobiliers, serait donc discutable ? Suffira-t-il de faire constater aux vérificateurs fiscaux qu’il a toujours été pratiqué, et bien avant l’invention de l’IFI ? et qu’il conserve tout son intérêt en raison de sa souplesse et de sa réversibilité, que n’offre pas l’apport en capital ? Faudra-t-il distinguer les comptes courants établis avant et après l’instauration de l’IFI ? On peut craindre une atteinte flagrante à la liberté de gestion du patrimoine et une explosion du contentieux si l’administration fait un usage déraisonnable de cette disposition. 

Heureusement, l’éventuelle réintégration de la dette ne sera opérée qu’ « à proportion de la participation que détient cette personne dans la société ou l’organisme, seule ou conjointement avec les autres personnes mentionnées au 1° de l’article 965 ». Autrement dit, à proportion de la participation que détien(nen)t dans la société emprunteuse le ou les prêteurs « familiaux » visés au 2°, le ou les contrôleurs familiaux de la société prêteuse visés au 4°, et enfin, le cas échéant, les autres membres du foyer fiscal.

C -  Les dettes prises en compte sous condition de normalité

Enfin, lorsque le prêteur est  directement, ou par l’intermédiaire d’une ou de plusieurs entités interposées, l’ascendant, le descendant (majeur), le frère ou la sœur d’un membre du foyer fiscal, les dettes souscrites directement ou indirectement par une entité ne seront prises en compte que sous la même condition mentionnée au I-F ci-dessus (lire L’Agefi Actifs, n°715, p.17) , de justifier du « caractère normal des conditions du prêt, notamment du respect du terme des échéances, du montant et du caractère effectif des remboursements ». Ici encore le prêt familial est frappé de suspicion, certes réfragable, mais sous quelle(s) condition(s) ?..

Comme dans le cas précédent, cette exclusion a vocation à n’être opérée qu’à proportion de la participation que détien(nen)t dans la société emprunteuse le ou les prêteurs « familiaux » et les membres du foyer fiscal.

En conclusion, nous pressentons que l’IFI soulèvera d’innombrables débats susceptibles de dégénérer en autant de contentieux tant la frontière entre actif taxable et non taxable, mais surtout celle entre passif retenu ou écarté, paraissent complexes voire imprécises. Difficulté renforcée par la multiplication des dispositifs anti-abus censés prévenir des optimisations présumées déviantes. Encore une belle occasion ratée de simplifier la fiscalité.

1) On aurait préféré lire ici « ...la fraction de la valeur représentative de ces mêmes biens »...
2) Et sans application des plafonnements frappant notamment les prêts in fine (cf I - C, in
L’Agefi Actifs, n°715, p.17).
3) Et non des parts.
4) Ici paradoxalement mais bien entendu, seuls les prêts « afférents » à l’immobilier subissent ces restrictions.