
Un important ajustement patrimonial
Cette étude porte sur la situation d’un particulier dont les objectifs sont divers. Sur le plan financier, il est question de réaffecter une part importante du patrimoine en actions et en immobilier pour accroître substantiellement les revenus perçus par son détenteur. Dans le même temps, le souhait de transmettre une partie du dit patrimoine et de réaliser une donation à l’un des membres de sa famille vient complexifier les préconisations d’autant qu’il doit être tenu compte de l’aspect fiscal des solutions proposées.
A. ÉNONCÉ DU CAS PRATIQUE DES TALENTS DU PATRIMOINE 2020 (*)
1. Les protagonistes
1.1. Monsieur André Angelus, né le 10 octobre 1898, fils d’Armand Angelus et de Berthe Troispère, a contracté un mariage en premières noces avec Madame Yvonne Badoit, sous le régime de la séparation de biens suivant l’acte du 19 mai 1925.
De cette union sont issus deux enfants :
νAlbert Angelus, né le 11 mars 1936
νMarie Angelus, née le 9 juin 1937 et décédée le 21 juin 1998.
Madame Yvonne Badoit est décédée le 9 juin 1937 à la naissance de sa fille Marie.
Monsieur André Angelus a alors recueilli, aux termes de l’article 5 de son contrat de mariage, la pleine propriété de la totalité du mobilier meublant, argenterie et linge de ménage, à l’usage des époux.
Par ailleurs, il était légataire de son épouse de la quotité disponible la plus étendue entre époux aux termes du testament de cette dernière en date du 23 mai 1925 ainsi qu’ayant droit à l’usufruit du quart en vertu de l’article 767 du Code civil.
1.2. Le 13 mars 1929, Monsieur André Angelus a contracté une seconde union avec Madame Marcelle Pallas, sous le régime de la séparation de biens avec constitution d’une société d’acquêts, selon contrat du même jour. Aux termes de l’article 5 de ce contrat de mariage, les époux ont constitué une société d’acquêts comprenant :
-l’excédent des revenus quelle qu’en soit l’origine,
-les bénéfices et économies faits pendant le mariage.
Qui se partageront par égales portions et appartiendront par moitié à chacun des époux et à leurs héritiers.
De cette union sont nés quatre enfants (dont deux vivants) :
-Bertrand Angelus, né le 23 décembre 1939, décédé le 31 mars 1993,
-Chantal Angelus, née le 27 janvier 1933, décédée le 20 novembre 1977,
-Isidor Angelus, né le 29 août 1935,
-Sylvie Angelus, née le 27 novembre 1940.
1.3. Monsieur et Madame Armand Angelus sont décédés respectivement en 1932 et 1943, laissant à leur fils André Angelus des meubles et objets mobiliers et un portefeuille important de titres et valeurs mobilières.
En outre, de son vivant, Madame Armand Angelus avait fait une donation à titre de partage anticipé à son fils André Angelus, en 1938.
1.4. Madame Marcelle Angelus, née Grappe, seconde épouse de Monsieur André Angelus, est décédée le 3 mai 1989 à Paris, laissant pour recueillir sa succession :
Son conjoint survivant, donataire de la plus large quotité disponible entre époux, aux termes d’un acte reçu par Maître Cloche, notaire à Paris, le 21 mai 1968 :
-Bertrand Angelus,
-Isidor Angelus,
-Sylvie Angelus.
Par acte du 25 octobre 1989, Monsieur Angelus a déclaré opter pour un quart en pleine propriété et trois quarts en usufruit de la succession dont l’actif net était évalué à 10.427.665,50 francs. Aux termes du même acte, Monsieur André Angelus a aussitôt déclaré renoncer partiellement à l’exécution de l’option choisie en décidant de l’exercer dans les limites suivantes :
-en ce qui concerne la pleine propriété, à concurrence de 2.400.000 francs,
-en ce qui concerne l’usufruit, à concurrence de 19.593.470 francs.
En conséquence de cette renonciation partielle, André Angelus n’a recueilli sur la succession de sa seconde épouse que 4.359.347 francs, soit 2.400.000 francs au titre du montant de son option en pleine propriété et 1.959.347 francs au titre du montant de son option en usufruit évalué à 10 %.
A la suite du décès de Madame Pallas, la société d’acquêts ayant existé entre les deux époux et la succession de Madame Pallas ont alors été partagées suivant acte reçu par Maître La Fripouille, notaire à Paris, les 21 et 27 décembre 1989, et suivant acte rectificatif et complémentaire du même notaire, du 12 novembre 1991, entre Monsieur André Angelus et les enfants du second lit.
1.5. Monsieur André Angelus est décédé le 8 décembre 1991, laissant :
-ses deux enfants du premier lit, Albert et Marie Angelus,
-ses trois enfants du second lit, Bertrand Angelus, Isidor Angelus, et Sylvie Angelus.
Par testament olographe du 18 mai 1990, André Angelus a légué :
-à Albert et Marie Angelus, chacun pour la moitié, un appartement de 180 mètres carrés situé à PARIS 16ème, y compris ses dépendances à l’exclusion du mobilier le garnissant à son décès,
-à Bertrand Angelus, la totalité des parts qu’il possédait dans deux groupements forestiers propriétaires, le premier d’une forêt de 250 hectares en Bourgogne (peuplement de hêtres) et le deuxième d’une forêt de 100 hectares (peuplée de chênes) en Bretagne
-à Isidor Angelus, la totalité des parts qu’il possédait dans un troisième groupement forestier propriétaire d’une forêt de 80 hectares de châtaigniers en Limousin
-à Sylvie Angelus, tous les biens situés à Conche, une maison de village de 150 mètres carrés avec un jardin de 2.000 m2.
Ledit testament précise que les legs ci-dessus sont faits en compte sur les droits de chacun dans la succession et que les enfants sont libres de les accepter en tout ou en partie. Par ailleurs, concernant les valeurs mobilières, celle-ci seront partagées par cinquième déduction de la part de chacun dans les dits legs.
1.6. Bertrand Angelus est décédé le 31 mars 1993, laissant :
-Madame Marie-Catherine, son épouse survivante, commune en biens.
Et pour héritiers ses trois enfants
-Elodie Angelus
-Anne Angelus
-Hector Angelus
1.7. Marie Angelus est décédée le 21 juin 1998 sans postérité.
Marie Angelus a institué son frère, Albert Angelus, légataire universel, selon testament olographe en date, à Bordeaux, du 23 juillet 1985.
Par ordonnance en date du 15 octobre 1998, Madame le Président du Tribunal de Bordeaux a envoyé Monsieur Angelus en possession de la succession de Mademoiselle Marie Angelus.
2. Questions liées au règlement de la succession d’André Angelus :
Monsieur Albert Angelus vient vous voir pour vous demander votre avis sur les questions suivantes :
-l’inclusion, lors du partage de la société d’acquêts ayant existé entre Madame Pallas et Monsieur Angelus, de biens propres de ce dernier dans la masse à partager entre les époux constitue-t-elle une donation indirecte au profit des enfants du second lit de Monsieur André Angelus ?
-la renonciation par Monsieur André Angelus, à l’issue du partage de la société d’acquêts, à une donation qu’il venait d’accepter de son épouse constitue-t-elle également une donation indirecte à ses enfants du second lit ?
-peut-il demander le rapport à la masse des donations indirectes dont ont bénéficié les enfants du deuxième lit de Monsieur André Angelus ?
Par ailleurs, il vous consulte sur sa situation patrimoniale.
3. Consultation sur la situation patrimoniale :
Albert Angelus vous expose sa situation familiale et patrimoniale qui se résume comme suit.
3.1. Situation familiale
Monsieur Albert Angelus est né le 11 mars 1936 à Paris (75008) de nationalité française.
Madame Odette Aspard épouse Angelus est née le 29 juillet 1955.
Il sont mariés en troisièmes noces sous le régime de la séparation de biens aux termes d’un contrat de mariage reçu par Maître Hubert Lelong, notaire à Vannes (Finistère) préalable à l’union célébrée à la mairie de Ploerdut (56160) le 2 août 2007.
Ce régime n’a subi aucune modification conventionnelle ou judiciaire depuis.
Monsieur Albert Angelus a un enfant majeur né d’une précédente union, Alfred Angelus, né à Neuilly-surSeine (92200) le 29 juin 1965, agriculteur. Monsieur Albert Angelus a un petit-enfant, Hector, issu de cette union née à Blois en 2005.
Albert et Odette sont tous deux retraités. Leur résidence principale commune est à Arcachon.
3.2. Situation patrimoniale
3.2.1. L’actif
Le tableau A (cf. page 38) synthétise leur patrimoine selon les documents et renseignements que vous nous avez transmis.
Du fait de sa qualité de légataire universel de sa sœur, ce patrimoine s’enrichira dans les prochains mois. Même s’il est prématuré de chiffrer le montant précis qui doit lui revenir, il peut toutefois être estimé, compte tenu des éléments dont nous disposons à ce jour, à une somme au moins égale à 500.000 euros.
3.2.2. Le passif
A notre connaissance aucun passif.
3.2.3. Graphique de répartition du patrimoine (voir tableau B).
3.3. Situation en termes de revenus
3.3.1. La nature des revenus
Les sources de revenus sont indiquées dans le tableau C.
3.3.2. Fiscalité de vos revenus
Intégration de tous les revenus ordinaires dans les déclarations annuelles.
3.4. Charges et imputations diverses, voir tableau D.
4. Situation successorale :
Compte tenu du déséquilibre patrimonial dans le couple, la protection du conjoint survivant en cas de décès est l’une des préoccupations. Il conviendrait de prendre des dispositions adéquates. Albert Angelus souhaite prévoir un testament avec attribution de la quotité disponible la plus étendue possible entre les conjoints.
5. Objectifs :
Albert Angelus vient vous consulter avec les objectifs suivants :
5.1. Placer 50 % de son patrimoine en actions, immobilier commercial ou investissement dans des entreprises non cotées
5.2. Doubler les revenus actuels pour atteindre 70.000 euros annuels.
5.3. Protéger Odette en lui transmettant la quotité disponible.
5.4. Remplacer l’assurance vie par un autre placement par exemple, un investissement dans la forêt.
5.5. Pouvoir chiffrer les charges fiscales futures liées à l’augmentation de son patrimoine.
5.6. Faire une donation au père d’Hector, son petit-fils, à charge pour le père donataire de constituer une fiducie. En effet, Albert s’entend mal avec son fils qui est en quasi-faillite et ne lui fait pas confiance pour l’éducation de son petit-fils. Il pense qu’un fiduciaire permettrait de veiller à ce que son petit-fils puisse avoir les moyens de financer des études aux Etats-Unis dans une grande université.
B. RÉSOLUTION DU CAS PRATIQUE PAR L’ESEMAP ANGERS
Monsieur Albert Angelus, vous avez 84 ans. Votre situation familiale est décrite dans le schéma 1 ci-dessus.
Vous êtes marié en troisièmes noces à Odette Angelus, 64 ans, sous le régime de la séparation de biens. Selon nos informations, vous êtes son seul héritier en cas de prédécès.
Vous avez un enfant, Alfred, 54 ans, issu d’une précédente union.
Vous avez un petit enfant, Hector, 15 ans.
Vous êtes légataire universel de votre sœur Marie, prédécédée sans postérité, et allez recevoir 500.000 euros de sa succession, taxation déduite.
Vous avez des demi-frères et sœurs issus d’une seconde union de votre père, dont Bertrand, prédécédé, laissant pour lui succéder son épouse Marie-Catherine et ses trois enfants. (voir tableau 1)
Votre ménage dispose d’un patrimoine de 1.942.808 euros détenu à 86 % par Monsieur. La diversification de ce patrimoine est traduite dans le tableau 1. Les revenus de votre couple sont de 45.667 euros dont 94 % proviennent de vos revenus (pensions de retraite de 25.000 euros et revenus du patrimoine de 18.000 euros). Les revenus de votre épouse proviennent de rachats sur son contrat d’assurance vie. Hors avantages fiscaux, votre imposition prévisionnelle serait de 4.400 euros (TMI = 11 % et PS = 17,2 %). Un audit permettrait de déterminer l’éventuelle pension de retraite de votre épouse ainsi que ses droits à réversion dans le cas de votre prédécès. En cas de prédécès sans disposition, votre patrimoine serait dévolu comme décrit dans le tableau 2.
Vos objectifs
Vous souhaitez protéger Odette, votre épouse, en raison du déséquilibre patrimonial au sein de votre union. Vous envisagez de transmettre une somme d’argent à votre petit fils, Hector, pour lui permettre de financer ses études aux Etats-Unis. Vous souhaitez augmenter vos revenus actuels, pour atteindre 70.000 euros par an. Vous vous préoccupez de la valorisation et la diversification de votre patrimoine. Au préalable, vous nous interrogez sur des questions liées à la succession de votre père.
Vos questions sur la succession de votre père
Votre père est décédé postérieurement à votre belle-mère. Lors de la dévolution successorale de cette dernière, une masse de biens susceptibles de vous revenir a été transmise à vos demi-frères et sœurs tel que décrit dans le schéma 2 à travers les points (1) et (2).
Pour le point (1) nous constatons qu’une part des biens propres de votre père, inclus dans la société d’acquêts, a été liquidée lors de la succession de son épouse Marcelle. Or l’inclusion de biens propres à une société d’acquêts est susceptible d’être requalifiée en donation indirecte au profit des enfants du second lit, tel que le rappelle l’arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 20 mai 2017.
Pour le point (2), la renonciation partielle de votre père à la donation au dernier vivant a eu pour effet de diminuer sa part dans la succession de Marcelle et augmenter corrélativement celle de vos demi-frères et sœurs. Or la possibilité pour le conjoint survivant de ne prélever qu’une partie des biens dont il a été disposé en sa faveur n’a été introduite qu’en 2006 par la loi. Aucune législation, au moment du règlement de la succession de Marcelle en 1989 ne permettait au conjoint survivant de cantonner ses droits, comme l’a fait votre père. En l’absence de fondement juridique sur cette renonciation, celle-ci peut être remise en cause. La part refusée par votre père ayant été redistribuée à vos demi-frères et sœurs, pourrait être qualifiée de donation indirecte.
Se pose alors la question de la possibilité, à ce jour, d’un rapport à la masse successorale de ces parts controversées. A l’époque du règlement de la succession de votre père (1991), le code civil prévoyait à l’article 2262 réformé en 2008, que les actions se prescrivent par 30 ans. Si cet article trouvait à s’appliquer à votre situation, en considération du principe de non-rétroactivité de la loi en Droit français, cela vous permettrait d’intenter une action en rapport jusqu’en 2021. Un avocat spécialisé serait à même de vous donner davantage d’indications sur une possible procédure. Dans l’hypothèse où la qualification de donation indirecte serait reconnue, il conviendrait de refaire un calcul sur la valeur des lots reçus par chacun de vos demi-frères et sœurs afin de voir si ceux-ci dépassent ou non la quotité disponible, et le cas échéant si votre réserve héréditaire ainsi que celle de votre sœur, ont été atteintes. Si tel est le cas, une action pourrait être mise en œuvre. Aussi, nous ne pouvons que vous avertir des enjeux familiaux d’une telle procédure. Celle-ci peut être longue et mettre en cause les ententes au sein de votre famille. Il convient donc de vous interroger sur ce point avant d’engager toute action.
La protection de votre épouse Odette Angelus
A ce jour, en cas de décès, Odette pourrait disposer d’un quart en pleine propriété de votre patrimoine. Votre notaire a évoqué le changement de régime matrimonial afin de répondre à votre objectif (choix d’un régime communautaire ou adjonction d’une société d’acquêts), option que vous avez refusée. Si vous souhaitez attribuer des droits plus étendus dans votre succession à Odette, nous devons prêter attention à la part éventuelle qui lui serait transmise en pleine propriété. La masse de biens transmise en pleine propriété à votre épouse n’aura pas vocation à revenir à vos descendants à son décès (sauf adoption simple de votre fils, Alfred, par votre épouse). La solution serait de léguer à Odette 100 % de votre patrimoine en usufruit, la nue-propriété reviendrait alors à votre fils. Votre épouse continuerait à percevoir les revenus de votre patrimoine. Au décès d’Odette, l’usufruit rejoindrait la nue-propriété des biens en franchise de droits. Votre fils Alfred serait alors plein propriétaire de votre patrimoine. De plus, cette disposition permettrait à Odette, grâce au mécanisme du cantonnement, de renoncer partiellement à une partie des biens dont il a été disposé en sa faveur, à sa convenance. Les biens objets de cette renonciation seraient attribués immédiatement à votre fils (article 1094-1 du C. Civ).
Un démembrement dans le cadre d’une famille recomposée pose la question de la gestion des biens et de la prise de décision sur le patrimoine. La création d’une société civile est à envisager. Vous et votre épouse seraient désignés gérants dans les statuts. Votre prédécès désignerait votre épouse comme seule gérante des biens de la société civile et usufruitière des parts, tandis qu’Alfred serait nu-propriétaire. Pour protéger votre épouse, les statuts maximiserons les droits de l’usufruitier pour les prises de décisions et appréhension des revenus et plus-values, dans le respect des droits du nu-propriétaire. Enfin, il serait prudent qu’Odette détienne au moins une part en pleine propriété, lui conférant la qualité d’associée, et que les statuts prévoient la révocation du gérant à l’unanimité pour éviter qu’Alfred ne puisse la révoquer.
Aide au financement des études de votre petit-fils
Vous souhaitez mettre une somme à disposition de votre petit fils pour le financement de ses études aux Etats-Unis. Nous avons estimé que la somme de 250.000 euros permettrait de financer un cursus sur 5 ans. Vous nous avez indiqué ne pas souhaiter que votre fils gère cette somme. Un de vos proches a évoqué la possibilité d’une donation à votre fils avec charge de constituer une fiducie au bénéfice d’Hector. Nous l’avons écarté en raison de la prohibition de la fiducie libéralité. Afin de répondre à votre objectif nous préférons une donation grand-parent – petit enfant. Pour éviter la gestion par votre fils, une donation avec tiers administrateur ou une donation d’un contrat de fiducie sont deux solutions possibles. Dans le cas de la donation avec tiers administrateur, les 250.000 euros transmis sont gérés par une personne physique ou morale désignée dans la donation. Les pouvoirs du tiers administrateur sont les mêmes que ceux de l’administrateur légal à défaut de précisions. Votre fils est ainsi écarté de la gestion du patrimoine transmis. Il est recommandé de prévoir la désignation d’un tiers administrateur subsidiaire en cas de décès ou incapacité du tiers administrateur. La principale limite de ce dispositif réside dans la difficulté d’organiser la non libre disposition des capitaux par votre petit-fils à sa majorité.
Pour éviter cet écueil, vous pourriez, préalablement à toute donation, apporter un patrimoine de 250.000 euros à un fiduciaire (avocat par exemple) qui aurait pour mission de placer et redistribuer ce capital en fonction du besoin de financement d’études aux Etats-Unis. Puis vous procéderiez à la donation de ce contrat de Fiducie à votre petit-fils ; celui-ci devenant constituant et bénéficiaire à votre place, tel que décrit par le schéma 3 ci-dessous.
Le mécanisme est plus lourd que la donation avec tiers administrateur mais offre une meilleure protection. Le Code civil ne permet pas la mise en place d’une fiducie pour le patrimoine d’un mineur, mais cette prohibition ne remet pas en cause la possibilité d’un tel montage, les biens objets de la fiducie ne provenant pas du patrimoine de votre petit fils. Un avocat peut déterminer la meilleure solution et le coût d’un contrat de fiducie. Pour les aspects civils et fiscaux, nous vous conseillons de vous rapprocher de votre notaire. La combinaison d’une donation transgénérationnelle imputable sur la réserve héréditaire de votre fils et d’une donation « classique » imputable sur la quotité disponible permettrait de bénéficier des abattements de 100.000 euros et 31.865 euros. Les droits de donation seraient de 21.812 euros. Ce schéma est conditionné à sa faisabilité dans le cas de la transmission d’un contrat de fiducie mais aussi à l’accord de votre fils Alfred. Les droits seraient de 41.812 euros dans le cas du non-recours à la donation transgénérationnelle. Les droits seraient payés par le donateur sans être considérés comme une donation.
Diversification et revenus complémentaires
Votre objectif est la diversification de vos actifs afin d’améliorer leur rentabilité et de bénéficier de revenus complémentaires à hauteur de 45.000 euros par an. Les placements financiers de votre ménage s’élèvent à 1.742.808 euros dont 64 % de placements monétaires et liquidités. Les 36 % restants sont principalement investis dans des parts de SCPI et marginalement sur des titres financiers et le fonds euros.
Pour la transmission de 250.000 euros à votre petit-fils, il s’agira de privilégier la donation de tel ou tel actif suivant le schéma juridique retenu. Après cette transmission, la masse de placements à réorganiser s’élèvera à 1.492.808 euros, que nous arrondirons à 1.490.000 euros.
Pour satisfaire à votre objectif de revenus complémentaires, le taux de rentabilité devra être en moyenne de 3,02 % par an.
Nous devrons déterminer votre profil de risque afin de réaliser une allocation d’actifs sur-mesure. Pour protéger votre épouse, nous privilégierons la gestion au sein d’une société civile. Cette solution permettra de profiter d’une souplesse de gestion et d’une liberté dans les choix d’investissement. En pratique, il s’agira de tenir compte des éventuels frottements fiscaux et frais lors de l’apport. Pour optimiser la transmission, un investissement en assurance vie à hauteur de 30.500 euros est opportun, afin de bénéficier de l’abattement prévu à l’article 757B du CGI.
Afin d’établir une allocation d’actifs, nous devons analyser le contexte macroéconomique actuel.
Depuis décembre 2019, le monde est frappé par la crise sanitaire du COVID 19. Cette pandémie a poussé de nombreux pays à prendre des mesures de confinement. Cela entraine une chute brutale de leur activité économique qui aboutira à la plus importante récession mondiale depuis 1945. La réaction des marchés actions a été d’une violence similaire avec une baisse d’environ 30 % des grands indices en un temps record (21 jours pour le S&P 500). Afin de soutenir l’économie mondiale, les gouvernements et les banques centrales ont annoncé des plans de soutien (programmes budgétaires et monétaires pour environ 10 % du PIB mondial annoncés en mars et avril 2020).
Début avril 2020, les marchés actions ont rebondi mais restent loin de leurs niveaux d’avant crise. L’incertitude sur l’ampleur de l’impact de cette crise sanitaire sur l’économie réelle est totale, notamment pour la croissance et l’inflation. Après une inévitable récession, le profil de reprise de la croissance peut être un retour à la normale ou une nouvelle trajectoire. Globalement, il s’agira d’analyser les phénomènes de démondialisation (relocalisation des secteurs stratégiques) et l’augmentation des endettements qui pèseront sur l’ensemble de l’économie. L’endettement record, en partie monétisé par le biais des grandes banques centrales, pourra avoir un impact sur la trajectoire d’inflation à moyen terme. A court terme, la récession exercera des pressions déflationnistes. Des hausses ponctuelles de prix pourront cependant être observées sur des produits en sous offre ou sur demandés. A moyen terme, les relocalisations, la baisse de la population en âge de travailler et la masse monétaire pourraient engendrer une inflation plus élevée.
Enfin, nous devons prendre en compte deux scénarios noirs. Le premier serait que les individus choisissent d’épargner par peur de l’avenir, même contre une rémunération de l’épargne nulle voire négative. Dans ce cas, la monnaie ne sert pas à consommer et l’activité économique chute, entrainant avec elle le niveau général des prix. C’est un cercle vicieux déflationniste (exemple : Japon des années 1990). Le second scénario serait une perte de confiance des individus dans la monnaie et les institutions financières. Ils se tourneraient ainsi vers des actifs réels. C’est un cercle hyper inflationniste (exemple : Venezuela depuis 2017). Ce contexte d’incertitude nous rappelle que la diversification est la règle d’or en gestion de patrimoine. La faible corrélation, voire la décorrélation entre certains actifs permet de réduire le risque global du portefeuille. Notre positionnement tactique est expliqué dans le tableau 3 (voir p.43).
En tenant compte de votre profil de risque, de vos objectifs patrimoniaux et du contexte macro financier actuel, nous vous conseillons la création de trois poches d’actifs.
Premièrement, une poche financière intégrant des actions cotées, des obligations et une part raisonnable de capital investissement. Nous vous conseillons le recours à un mandat de gestion discrétionnaire auprès d’une société de gestion qui sélectionnera les titres en fonction du contexte économique (exemples de secteurs : digital, santé, investissement socialement responsable). Les obligations d’États et d’entreprises bien notées seront privilégiées afin de limiter le risque de défaut, tout en faisant preuve de discernement. En matière de capital investissement, il sera important de sélectionner un fonds présentant la bonne stratégie dans le contexte actuel, l’impact en termes de valorisation des entreprises non cotées étant incertain.
Deuxièmement, une poche immobilière composée majoritairement de SCPI. Nous analyserons au préalable les SCPI en portefeuille. Le cas échéant, d’éventuels arbitrages pourront être réalisés afin d’être particulièrement sélectifs et diversifiés quant aux emplacements et aux typologies des biens. Nous privilégierons par exemple l’immobilier de bureaux plutôt que les centres commerciaux. L’investissement dans les SCPI se fera progressivement car n’étant pas cotées, nous ne savons pas l’impact de la crise actuelle sur leurs valeurs.
Afin de profiter de la décote récente des marchés qui accentue le phénomène de sous valorisation de l’immobilier coté, nous allouerons une part de cette poche sur des foncières immobilières cotées. Dernièrement, une poche composée d’actifs réels alternatifs avec l’accompagnement d’un banquier privé et d’un spécialiste produit, afin de profiter de leur décorrélation aux autres actifs et de leur valeur stable en période d’incertitude. La moitié de cette poche sera allouée à l’investissement en bois et forêts. La prise de participation dans un groupement forestier offre un avantage fiscal et une exonération des droits de mutation à titre gratuit à hauteur de 75 %.
Afin d’optimiser la transmission de votre patrimoine, nous vous conseillons de réaliser cet investissement à titre personnel. L’autre moitié de cette poche sera investie en or, actif refuge de référence en contexte de taux d’intérêts réels négatifs et de perturbation monétaire. L’investissement en or peut se faire en direct avec l’achat d’or physique (solution entrainant des coûts liés au stockage ou des risques de vol ou de perte) ou par le biais d’un instrument financier (tracker ou certificat). Nous privilégierons cette dernière solution dans un premier temps. Nous conserverons 90.000 euros de liquidités en épargne de précaution, permettant d’ajuster votre budget et de payer les droits de donation. Au sein de votre contrat d’assurance vie, nous opterons pour une gestion financière équilibrée similaire à celle du contrat d’assurance vie de votre épouse. Vous trouverez notre allocation stratégique dans le graphe 1 ci-contre.
Il est important de préciser que cette répartition évoluera dans le temps en fonction du contexte de marché avec la surpondération ou la sous-pondération de certains actifs. Les espérances de rentabilité indiquées dans le tableau 4 sont des moyennes annuelles susceptibles d’évoluer. Les performances passées ne présagent par des performances futures. (voir tableau 4, p.44).
Cette allocation permet d’obtenir environ 55.000 euros de budget brut complémentaire avant fiscalité (revenus récurrents et plus-values). En s’appuyant sur le tableau 4, hors avantages spécifiques, la fiscalité ne dépassera pas 30 % avec l’application du prélèvement forfaitaire unique pour les revenus de capitaux mobiliers et plus-values mobilières (12,8 % + 17,2 % de PS), ce qui permet de maintenir une TMI de 11 % sur les principaux autres revenus (+ 17,2 % de PS dont 6,8 % de CSG déductible). Enfin, la réorganisation patrimoniale globale présentée ne génère aucun impôt sur la fortune immobilière (IFI) et limite les droits de succession à 202.142 euros, soit une réduction de 109.378 euros. Une approche interprofessionnelle nous permettra de répondre au mieux à vos objectifs. Le tableau 5 ci-contre récapitule les actions à mener. Nous vous proposons de vous accompagner lors de la mise en œuvre de ces préconisations.
(*) Ce cas pratique a été réalisé par la Compagnie des conseils et experts financiers (CCEF) sous la direction de Silvestre Tandeau de Marsac, avocat au barreau de Paris