
Un 115e congrès sous le signe de l’international

Plus de la moitié des expatriés sont en couple et mariés, et deux tiers de ces couples ont un enfant ; plus de 40.000 mariages ont été célébrés à l’étranger en 2017… le lien des Français avec l’international est de plus en plus présent dans un contexte économique globalisé. Les notaires ont donc tout intérêt à s’emparer du sujet. Les trois jours du dernier congrès des notaires, qui s’est déroulé du 3 au 5 juin 2019 à Bruxelles et a réuni plus de 3.000 participants, auront donc permis de rappeler à la profession les bases du droit international privé, mais aussi de se prononcer comme à son habitude sur des propositions d’améliorations juridiques. Pour Marc Cagniart, président du congrès, les notaires sont des « observateurs privilégiés » du monde car ils reçoivent « toujours plus de non-résidents ou des résidents aux prises avec leurs éléments d’extranéité familiaux ou patrimoniaux ». Et de fait, lorsque Pierre Tarrade, rapporteur du congrès, a fait un sondage dans l’assistance pour savoir qui se reconnaissait dans la phrase « J’ai un proche qui vit à l’étranger », la majorité de la salle a levé la main. Sans surprise, la totalité des propositions ont reçu un vote favorable, et deux d’entre elles ont même été accueillies à l’unanimité. « Nous avons su rencontrer l’esprit de nos confrères. Certaines de nos propositions avaient plus un aspect pédagogique de bonnes pratiques », confie Pierre Tarrade.
Doubles impositions. Jean-Christophe Rega, président de la deuxième commission et notaire à Saint-Martin Laguépie, et Olivier Lecomte, rapporteur et notaire de Paris, ont notamment défendu l’idée d’éviter certaines doubles impositions en matière d’assurance vie et d’immobilier. Les notaires ont ainsi voté une proposition appelant à modifier l’article 990 I du Code général des impôts relatif à la fiscalité de l’assurance vie en cas de décès. « Dans cet article, l’assurance vie est imposée sur la base d’un prélèvement sui generis que l’on ne peut pas classer dans les impôts de succession. Nous avons donc ajouté dans cet article les termes “impôts de succession sous forme de prélèvement”, afin que cet impôt puisse “voyager” dans les conventions fiscales évitant ainsi cette double imposition », explique Olivier Lecomte. Par ailleurs, les plus-values immobilières peuvent être taxées deux fois en l’absence de convention fiscale entre deux pays, et c’est le cas pour plusieurs pays d’Amérique du Sud (Uruguay, Pérou,…). Le 115e Congrès suggère donc de créer un nouvel article dans le CGI qui permettrait d’imputer le montant des impôts de plus-values immobilières acquitté hors de France lors d’une vente sur l’impôt acquité en France.
Promesses unilatérales. Autre proposition, cette fois-ci présentée par la quatrième commission, qui était présidée par Antoine Desnuelle, notaire à Cannes : prévoir la signature de promesses unilatérales de vente authentiques et une désignation de la loi du pays applicable (si possible la loi de la situation de l’immeuble) afin de sécuriser les avant-contrats dans un contexte international. Bien sûr cette proposition n’a pas manqué de faire réagir les notaires de province de l’assemblée qui privilégient traditionnellement la promesse synallagmatique. Antoine Desnuelle, notaire à Cannes, a expliqué que la promesse unilatérale présente plusieurs garanties intéressantes lorsqu’une des deux parties ne réside pas en France : « avec la promesse, le vendeur pourra à nouveau contracter dès que l’option n’est pas levée, et il pourra éviter des frais lourds de signification ». Thierry Delesalle, notaire à Paris et spécialiste du marché immobilier, confirme que ce type de contrat est indispensable à Paris où sont observées « beaucoup de rétractations d’étrangers », qui « achètent sur un coup de tête ».
Titre exécutoire international. En matière de garantie de paiement, les notaires ont plaidé pour la création d’un titre exécutoire international, à l’image de ce qui existe au niveau européen. Créé par un règlement de 2004, entré en vigueur le 21 octobre 2005, le titre européen exécutoire (TEE), délivré par un notaire, permet de faciliter la libre circulation des créances, et d’éviter des procédures judiciaires lourdes en matière de reconnaissances de celles-ci et de leur exécution (1). Il peut être utilisé notamment selon le rapport du congrès pour la signature d’un bail commercial et le versement de loyers pendant la durée légale. Or, selon Cécile Sainte-Cluque-Godest, hors de la zone de l’Union européenne, « les banques hésitent parfois à prêter de peur de garantie d’exécution insuffisante ». Selon la quatrième commission du congrès, la conférence de La Haye serait la mieux placée pour créer un tel titre exécutoire au niveau international.
Certificat successoral européen. Le certificat successoral européen (CSE) a également beaucoup fait parler de lui. Issu d’un règlement européen entré en vigueur en août 2015 (2), il permet de prouver plus facilement sa qualité d’héritier ou de légataire dans les autres pays de l’Union européenne parties au règlement. Or, il ne rencontre pas le succès escompté, selon Valérie Marmey-Ravau, présidente de la troisième commission et notaire à Lyon. Seuls 440 CSE ont été signés en France entre 2015 et aujourd’hui. Un des points de blocage selon la professionnelle provient de la durée de validité des copies du CSE limitée à six mois. La profession suggère donc la création de fichiers nationaux recensant ces CSE et demande à l’Union européenne de les interconnecter afin d’assurer leur opposabilité. La création et la connexion de ces fichiers permettraient ainsi de ne plus limiter la durée de validité des copies.
Mandat de protection future. Dans la même veine, la deuxième commission du congrès souhaite que le décret créant un registre national des mandats de protection future, prévu par la loi du 28 décembre 2015, soit publié rapidement, et qu’une interconnexion de ce registre français avec d’autres registres nationaux soit assurée. Pour rappel, les « mandats d’inaptitude », ont été consacrés par la Convention n°35 du 13 janvier 2000, et intégrés dans le droit français sous le terme « mandat de protection future » par l’article 477 du Code civil. Cet outil permet depuis le 1er janvier 2009 à une personne d’être représentée dans le cas où elle serait dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération de ses facultés. Si Thomas Andrieu, directeur des affaires civiles et du Sceau, présent lors du congrès, n’a apporté aucune certitude quant à la mise en place prochaine d’un tel registre, il a toutefois précisé qu’un décret de « toilettage » de la partie règlementaire du Code de procédure civile interviendra prochainement pour permettre au juge de substituer facilement une habilitation familiale à des mesures judiciaires (et inversement) en application de la loi Réforme pour la justice promulguée en mars dernier. Ce décret devrait aussi désigner l’autorité habilitée en France à émettre le certificat facilitant la circulation des décisions de protection et des mandats de protection future dans le cadre de la Convention de 2000.
Publicité de la loi applicable. Autres règlements européens sujets de discussions lors du congrès : ceux relatifs aux régimes matrimoniaux et aux partenariats enregistrés entrés en vigueur le 29 janvier dernier (3). Ils règlent les conflits de lois applicables lorsqu’il y a un élément d’extranéité dans un couple (nationalité des époux, résidence habituelle à l’étranger…). Pour améliorer la sécurité juridique du changement de lois applicables pour les partenariats (dont le Pacs en France), les notaires veulent que soient organisées à la fois la publicité de la désignation d’une loi étrangère lors de la conclusion d’un Pacs français, ainsi que celle de la convention modifiant en France la loi applicable d’un partenariat conclu à l’étranger. Une avocate au conseil a réagi dans la salle en espérant que ce vœu soit suivi d’effet rapidement, ce défaut de publicité étant « dangereux pour les banques ».
Les notaires appellent à un choix de régime matrimonial plus large pour les époux. Depuis le 29 janvier 2019, un couple de Français qui a vécu à l’étranger, ne pourra choisir que le régime de la communauté légale s’il revient en France et souhaite le modifier. Les notaires de France proposent donc que le couple puisse, lors de son retour en France, opter parmi l’ensemble des régimes matrimoniaux dont la séparation des biens. Pour cela, ils envisagent de modifier l’article 1397-2 du Code civil afin d’ouvrir son champ d’application, actuellement limité à la Convention de la Haye du 14 mars 1978 applicable aux époux mariés entre le 1er septembre 1992 et le 28 janvier 2019, au règlement européen. S’agissant du règlement Bruxelles II bis (4), les notaires souhaitent que la clause d’élection de for - permettant de choisir le juge de l’Etat compétent - soit permise en matière de divorce, de séparation de corps et d’annulation de mariage, ce qui n’est pas le cas actuellement.
Trust. Le sujet des trusts a également été abordé lors de ce congrès. La troisième commission a demandé ardemment la ratification par la France de la Convention de La Haye relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance datant du... 1er juillet 1985. « Il ne s’agit pas de pouvoir constituer des trusts en France », rappelle Frédéric Varin, rapporteur de la troisième commission et notaire à Distré, mais de « pouvoir donner effet en France aux trusts valablement constitués à l’étranger et ainsi résoudre les nombreuses difficultés rencontrées par la pratique notariale au stade de la publicité foncière ». Interpelé à de nombreuses reprises par l’assistance sur les risques que peuvent représenter les trusts pour la réserve héréditaire, le notaire a rappelé que ce texte « met en place une technique permettant de respecter l’institution spécifique du trust, tout en évitant par trois mécanismes que celui-ci soit utilisé dans des buts frauduleux pour échapper par exemple aux dispositions de lois applicables à un autre titre, telle que la réserve reconnue par la loi successorale ».
Code de DIP. Parmi, les autres propositions du congrès, les notaires se sont notamment prononcés pour l’adoption d’un code international de droit privé français. A ce titre, la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, a confié en juillet 2018 une lettre de mission à Jean-Pierre Ancel, président de la chambre honoraire de la Cour de cassation, pour réfléchir à ce sujet. Le groupe de travail missionné devrait terminer ses travaux fin 2019 et au plus tard au premier trimestre 2020. La profession souhaite aussi que la loi confirme la possibilité de recourir à une version bilingue des actes notariés français, à la demande des parties, à condition que la langue française continue de faire foi. L’ensemble de ces propositions seront présentées au pouvoirs publics.
(1) Règlement n°805 /2004 du Parlement et du Conseil du 21 avril 2004. Il n’est pas utilisable dans certaines matières : par exemple en droit de la famille, des régimes matrimoniaux, des testaments et successions.
(2) Règlement européen sur les successions internationales n°650/2012 du 4 juillet 2012.
(3) Règlement (UE) 2016/1103 du Conseil du 24 juin 2016 relatif aux régimes matrimoniaux et 2016/1102 relatifs aux partenariats enregistrés.
(4) Règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003.