
Scor gagne la première manche de sa riposte contre Covéa et son PDG

Le jugement fera date dans le monde des affaires. Après deux ans de conflit ouvert, le tribunal de commerce de Paris a rendu mardi un premier jugement très attendu dans l’affaire qui oppose le réassureur Scor et l'assureur mutualiste Covéa. Thierry Derez, le PDG de Covéa, a violé ses obligations d’administrateur en son nom propre de Scor en transmettant à son groupe et à ses conseils des informations et documents confidentiels, indique le jugement rendu public par le plaignant. Ces informations sensibles lui avaient permis de préparer et mettre en œuvre, en 2018, un projet de prise de contrôle non sollicitée de Scor.
Thierry Derez est condamné à payer 479.000 euros, majorés des intérêts, en réparation du préjudice causé par les violations de ses engagements en matière de responsabilité civile, «relatifs au conflit d’intérêts, à la confidentialité et à la loyauté», précise le jugement. Le montant de la sanction est inédit pour un administrateur de société française, les membres des conseils d’administration étant par ailleurs rarement mis en cause dans l’Hexagone.
Le dirigeant de Covéa et les structures faîtières du groupe (Covéa SGAM et la holding Covéa Coopérations), considérées comme ses «tierces complices», sont également condamnés solidairement à payer 19,6 milions d'euros, majorés des intérêts, au titre des honoraires et frais juridiques et de communication engagés par Scor, des commissions de ses conseils financiers et de la «perte de chance» liée à un programme de rachat d’actions. Celui-ci avait été réalisé à un prix majoré par la tentative d’OPA (offre publique d'achat), qui avait fait monter le cours du réassureur.
Fait notable, le communiqué de presse diffusé le 4 septembre 2018, par lequel Covéa avait annoncé au marché le rejet de son offre par Scor, constitue en lui-même une «faute délictueuse en tierce complicité».
Pas de violation du secret des affaires
Le tribunal n’a en revanche pas retenu l’accusation de violation du secret des affaires, formulée par Scor. Pour autant, le groupe dirigé par Denis Kessler «accueille favorablement la décision du tribunal de commerce de Paris» et rappelle que d’autres procédures sont en cours. Le procés au pénal intenté à l’encontre de Thierry Derez et Covéa, pour abus de confiance et recel d'abus de confiance, se tiendra en juillet 2021 à Paris. Le procès civil à l’encontre de Barclays, banque conseil de Covéa, pour violation grave de la confidentialité et du secret des affaires, est quant à lui prévu en juin à Londres.
De son côté, Covéa a annoncé son intention de faire appel suite au jugement du tribunal de commerce, considérant que «c’est dans l’intérêt social de Scor et de ses actionnaires que Covéa a voulu présenter une proposition de rapprochement entre les deux sociétés». En outre, «si cette décision faisait jurisprudence, elle limiterait considérablement les droits des administrateurs dans l’exercice de leur mission de défendre, en toute liberté, l’intérêt social d’une société et de ses actionnaires», estime le groupe mutualiste, maison-mère de la Maaf, MMA et la GMF.
La gouvenance de Covéa en question
«A ce stade, les premières décisions de justice renforcent évidemment la position de Scor, mais affaiblissent encore davantage celle de Covéa en tant que premier actionnaire du groupe de réassurance, juge Louis Nonchez, analyste chez Octo Finances. La stature du PDG de Covéa s’en trouve en outre écornée. L’opposition Covéa/Scor et Derez/Kessler ne nous apparaît aujourd’hui toujours pas en mesure de conduire à une collaboration efficace et sereine. Cela n’a pas porté préjudice, jusqu’à présent, aux activités du groupe, mais la durée potentielle de détention du capital de Scor par Covéa ne peut qu’être diminuée par cette affaire, d’autant plus si les jugements, négatifs pour Covéa, se trouvent confirmés par la justice.»
En attendant, le jugement de mardi fragilise un peu plus Thierry Derez, accusé de concentrer les pouvoirs. Covéa a déjà procédé à quelques ajustements dans sa gouvernance suite à l’affaire Scor et sous la pression de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Le groupe mutualiste a aussi dû renoncer au rachat du réassureur PartnerRe, qui avait été annoncé au début de la première vague de Covid-19 en Europe. Ironie de l’histoire, sa tentative de prise de contrôle de Scor aurait découlé de la volonté de contrecarrer le rachat de PartnerRe… par le groupe de Denis Kessler.