Jurisprudence

Sanction du conseil fiscal

Un cabinet a vu sa responsabilité engagée pour ne pas avoir tenu compte de l’évolution de la fiscalité
De son côté, l’assureur responsabilité civile n’a pas réussi à faire jouer la clause d’exclusion
DR, Olivier Rozenfeld, président de Fidroit

A côté du conseil en investissement, les préconisations fiscales ne sont pas à l’abri de mises en cause. Le 29 juin 2017, la cour d’appel d’Aix-en-Provence (n°15/00805) a rappelé toute la discipline nécessaire à l’exercice du conseil en gestion de patrimoine (CGP). Cet arrêt n’a que plus de force à l’heure des premières réflexions autour de la mise en œuvre du projet de loi de Finances pour 2018.

Montage. Dans l’affaire portée à la connaissance de la justice, une entreprise a confié à un cabinet de conseil l’étude des incidences juridiques et fiscales d’un projet d’acquisition immobilière. Une solution avec création d’une société civile immobilière (SCI) et démembrement des parts de cette SCI a été envisagée. Par lettre du 5 novembre 2012, l’affaire a été scellée : la mise en œuvre de la préconisation a été confiée à ce CGP moyennant le versement d’un acompte de près de 10.000 euros, soit 30 % des honoraires. Peu après, le cabinet a rédigé une délégation de créance, une cession temporaire d’usufruit de parts sociales mais aussi des statuts modifiés d’une SCI. Il a également procédé aux formalités de publication et fait enregistrer l’acte de cession, les droits d’enregistrement s’élevant à 10.350 euros.

Travail législatif. Entre temps, la loi de finances rectificative du 29 décembre 2012, dont le projet a été déposé le 14 novembre 2012, a modifié le régime fiscal des cessions d’usufruit temporaire et a été rendue applicable aux cessions réalisées à compter du 14 novembre 2012. Coup dur pour le conseiller, l’acte de cession temporaire d’usufruit au bénéfice de son client a été enregistré après cette date. En réaction, son client a établi un acte de résiliation de la cession temporaire d’usufruit et a vainement réclamé le remboursement des droits d’enregistrement auprès de l’administration fiscale. Il a aussi demandé le remboursement des honoraires versés qu’il n’a pas obtenus.

Obligation de renseignement. Le conseil et son assureur ont été assignés en justice. Ecartée en première instance, la faute du conseiller a été retenue par la cour d’appel d’Aix-en-Provence au motif que « celui qui a accepté de donner des renseignements et a fortiori un conseil a lui-même l’obligation de se renseigner ». Plus précisément, elle a considéré que « l’existence de collectifs budgétaires et de loi de finances rectificatives survenant en fin d’année civile ne pouvait être ignorée » par le conseiller en qualité de professionnel du conseil en investissements financiers, et « il lui appartenait dans le cadre de son obligation de conseil, de se renseigner sur les projets législatifs en cours et sur leur date d’application ». L’erreur est d’autant moins excusable que ce type d’information est public et qu’il aurait dû s’informer des projets en cours et en tenir compte. Il résulte de ces deux oublis, à savoir le renseignement sur les dispositions fiscales et l’information du client, que le cabinet a commis une faute contractuelle. Le préjudice est constitué par la perte totale des frais d’enregistrement et par la perte totale de l’acompte versé.

Défaut de conseil. Selon Olivier Rozenfeld, le président de Fidroit, « le risque de défaut de conseil est en train de se développer avec deux risques majeurs : le manque d’informations des professionnels et, plus grave, l’idée que les mises en cause pourraient concerner la seule matière financière. Cette idée est d’ailleurs cultivée par le statut de CIF qui se concentre sur la matière financière. Une sorte de doctrine s’est d’ailleurs installée amenant les professionnels à ne considérer le risque qu’au travers de leur statut de CIF. Or, cet arrêt qui traite du rôle du professionnel qui agit sous couvert de la compétence juridique appropriée, doit être compris à la lumière de son importance. Les règles auxquelles sont astreints les CGP ne relèvent pas uniquement de leur statut de CIF. L’autre enseignement est très engageant : il montre l’obligation des professionnels de s’informer des évolutions légales potentielles pour assurer une proposition adaptée ».

Responsabilité professionnelle. Dans l’arrêt en question, l’assureur du cabinet ayant opposé une clause d’exclusion, la cour lui a rétorqué que de telles restrictions sont d’interprétation stricte. La responsabilité professionnelle de l’assuré a été prise en compte : il a commis une faute dans l’exercice de son activité assurée et ce préjudice est réparé par l’allocation de dommages et intérêts.