
Réforme du courtage : les arguments fusent devant le Conseil Constitutionnel

Mémoire après mémoire, les parties échangent leurs arguments sur la conformité des associations professionnelles agréées à la Constitution dans le cadre du recours de l’ANCDGP contre la réforme du courtage. Depuis la transmission de la QPC déposée par l’association de CGP du Conseil d’Etat au Conseil Constitutionnel le 25 juillet, les services d’Elisabeth Borne ministre ont formulé des observations pour défendre la réforme. Ils ont été rejoints par cinq associations professionnelles sur les sept agréées par l’ACPR (Anacofi, la CNCGP, la CNCEF assurance et crédit, l’Afib et la compagnie des IAS-IOBSP) après une demande d’intervention volontaire. En retour, l’ANCDGP vient de déposer un mémoire en réplique. Le point sur les argumentaires.
L’atteinte au principe d’égalité devant la loi
Le texte ne s’impose qu’aux courtiers d’assurance, de réassurance, aux IOBSP et à leurs mandataires. Les intermédiaires opérant en libre prestation de services et les agents généraux ne sont pas concernés. Pour l’ANCDGP, cette distinction est constitutive d’une rupture d’égalité devant la loi.
«Les distinctions sont motivées par des situations différentes et la défense de l’intérêt du consommateur nécessite que l’exercice des professions soient régulés, défend Antoine Delvolvé, avocat des associations professionnelles agréées. Que des professionnels qui ne sont pas placés dans une situation identique puissent être traités différemment est un principe largement admis par le Conseil d’Etat comme le Conseil constitutionnel.»
L’exécutif rappelle que la Directive sur la distribution d’assurance (DDA) pose que la législation applicable est celle de l’Etat d’origine et non celle de l’Etat d’accueil et qu’à ce titre, ils n’ont pas la possibilité d’établir des règles plus contraignantes. Par ailleurs, les opérateurs en LPS sont déjà immatriculés dans leur état d’origine et n’ont pas à le faire de nouveau en France.
«L’adhésion à une association agréée ne constitue pas une nouvelle immatriculation, objecte Safine Hadri, conseil de l’ANCDGP. L’objectif de la loi est la protection du consommateur avec une exigence de supervision identique pour tous les opérateurs nationaux comme de ceux qui opèrent sur le sol français.»
Coté agents généraux, les pro-réformes font valoir un contrôle quasi-permanent des assureurs, les "anti" que la part du courtage réalisée par 60% d’entre eux n’est pas soumis au contrôle du mandant puisque hors mandat exclusif.
L’atteinte à la liberté d’entreprendre et d’association
Pour l’ANCDGP, l’obligation d’adhésion est excessive au regard de l’objectif de protection du consommateur et contraire à la liberté d’entreprendre et d’association. Elle met en avant les pouvoirs des commissions disciplinaires, qui peuvent prononcer une palette de sanctions pouvant aller jusqu’au retrait de l’adhésion et y voit une atteinte au principe de nécessité et de proportionnalité et des peines.
Les services de la Première ministre considèrent que l’adhésion à une association professionnelle agréée constitue une «simple formalité administrative», à l’instar de l’immatriculation à l’Orias ou l’inscription au Registre du commerce et des sociétés (RCS). Ils rappellent que le législateur peut apporter au principe d’égalité des limitations justifiées par l’intérêt général, en l’occurrence la protection du consommateur.
«Aucune des dispositions n’empêche d’entreprendre ou de s’associer, argue Antoine Delvolvé. En réalité, les adhérents peuvent aller d’une association à l’autre, le pouvoir de sanction est interne à l’association et ne concerne pas l’exercice de la profession. Les associations agréées n'ont pas le pouvoir d’interdire à un professionnel d’exercer la profession mais seulement d’adhérer à l’association.»
Dans son mémoire en réplique, l’ANCDGP fait valoir que l’Orias refuse d’immatriculer un nouveau professionnel sans preuve d’adhésion et que le retrait de l’adhésion conduit, si le professionnel n’adhère pas à une autre association dans un délai de trois mois, à la radiation du registre de l’Orias. «C’est un droit de vie ou de mort, un retrait de la faculté d’exercer qui empiète manifestement sur les prérogatives de sanction propres à l’ACPR », affirme Safine Hadri.
Si les associations sont soumises au contrôle du juge judiciaire et non administratif, c’est pour l’avocate une preuve de plus que leurs missions ne se limitent pas à des aspects purement administratifs.
L’atteinte au principe d’impartialité et d’indépendance
Dans la lignée des arguments précédents, l’ANCDGP considère que les pouvoirs de sanctions des associations portent atteinte à l’indépendance et à l’impartialité des décisions, la séparation des fonctions de poursuite, d’instruction et de jugement n’étant pas garantie. La composition de la commission disciplinaire, avec un tiers de personnalités qualifiées extérieures à la profession mais un tiers de représentants de l’assemblée générale et un tiers de représentants du conseil d’administration, fait par ailleurs craindre à l’ANCDGP un risque de conflit d’intérêt.
Pour l’exécutif, les associations professionnelles sont des «autorités administratives ordinaires» chargées d’une mission de service public administratif, ce qui ne nécessite pas de cloisonner les fonctions de poursuite et de sanction.
«Comment qualifier d’ordinaire un service dont les décisions peuvent être contestées devant un tribunal, avec un esprit de contrôle et de sanction ?, interroge Safine Hadri. Cette qualification est une création en opportunité par les services de la Première ministre et non partagée par le législateur qui a prévu des voies de recours.»
To be continued…
L’exécutif et les associations professionnelles agréées ont toujours la possibilité d’apporter de nouveaux arguments en réponse à ceux de l’ANCDGP. Le Conseil constitutionnel étant maître du calendrier procédural, il lui appartiendra de prononcer la clôture du débat et la mise en audience, le 25 octobre au plus tard.
Si les Sages censurent le texte et l’obligation d’adhésion des intermédiaires, l’équilibre financier des associations professionnelles agréées et leur pérennité sera remise en question. Endya et l’Afib, tout en continuant d’être ouvertes aux adhésions, ont freiné leurs investissements dans l’attente de la décision.