Marges cachées

Rebondissement dans l’affaire des fonds à formule

L’UFC-Que choisir engage une action de groupe contre Natixis AM
La société a déjà écopé en juillet 2017 d’une amende de 35 millions d’euros
Natixis

Olga De Souza, juriste, UFC-Que choisir

L’association de défense des consommateurs a annoncé le 7 mars dernier qu’elle assignait Natixis Asset Management (NAM) devant le tribunal de grande instance (TGI) de Paris dans le dossier des frais cachés. Une pratique qui a valu à la société de gestion de décrocher une amende record de 35 millions d’euros devant la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Hasard du calendrier, NAM a annoncé le même jour qu’elle adoptait à compter du 3 avril 2018 la marque Ostrum Asset Management. Hélène Feron-Poloni, avocate de l’UFC, cabinet Lecoq-­Vallon & Feron-Poloni, s’étonne « de la curieuse concomitance entre ce changement de nom et le dépôt de l’assignation ». Du côté du groupe bancaire, l’équipe dirigeante affirme que cette nouvelle identité s’inscrit dans « un processus de mise en cohérence des marques de Natixis Investment Managers ».

Elément déclencheur. A l’origine de cette affaire, le directeur de la conformité et des risques de NAM qui a signalé en septembre 2014 l’existence de « marges cachées » dans les fonds à formule structurés et gérés par la société de gestion de portefeuille (SGP), filiale de Natixis Global Asset Management (NGAM) et de Natixis SA. Alertée par ces déclarations, la société a diligenté un rapport interne sur les pratiques de la SGP, qu’elle a ensuite transmis à l’AMF. Le gendarme de la Bourse s’est saisi du dossier et a procédé au contrôle de 133 fonds à formule, dont les mécanismes de facturation des frais de gestion ont laissé apparaître de graves irrégularités.

Produits litigieux. Dans le détail, l’autorité de contrôle s’est intéressée aux frais de gestion prélevés par Natixis sur certains de ses fonds structurés. Les produits en question garantissent au porteur de récupérer à échéance l’intégralité de son capital, augmentée de la performance, définie par une formule connue dès la souscription. Pour délivrer le rendement promis, le fonds conclut avec une contrepartie bancaire une convention de garantie, ou swap de performance. A terme, le garant s’engage à combler l’écart entre la valeur du fonds à échéance et la valeur liquidative garantie aux investisseurs. Le coût de cette couverture est intégré aux frais de gestion supportés par les investisseurs.

Coussin de sécurité. A côté, la société constitue un coussin composé de la marge de structuration – la différence entre le flux reçu par le swap et le flux versé au garant – et des commissions de rachat acquises au fonds en cas de sortie anticipée. A terme, cette réserve permet au gestionnaire de servir la valeur annoncée au porteur lorsque la valeur liquidative à échéance est inférieure à celle promise. C’est la constitution de cette réserve qui est au cœur des débats. A la décharge de la société de portefeuille, la Commission a tenu compte du fait que la totalité des fonds ont atteint la formule à l’échéance et que, depuis le contrôle, NAM a modifié ses méthodes comptables pour ses nouveaux produits.

Distribution. Ces fonds ont été commercialisés via les réseaux d’agences Caisse d’Epargne et Banque Populaire, actionnaires majoritaires de Natixis. Le nombre de porteurs et le montant des encours souscrits restent pour l’instant inconnus. « Tout laisse à penser que ces structurés étaient destinés à une large clientèle de particuliers et non pas aux seuls clients patrimoniaux, constate Hélène Feron-Poloni. A la lecture de certains prospectus de commercialisation, nous avons remarqué que les objectifs de capitalisation étaient très élevés, certains atteignant jusqu’à 300 millions d’euros, ce qui confirmerait que le produit a été diffusé massivement. »

Une sanction historique. Pour avoir gonflé sa rémunération en ponctionnant à son seul profit des frais non justifiés, Natixis AM s’est vu infliger, le 25 juillet 2017, une amende de 35 millions d’euros, soit la plus grosse condamnation pécuniaire jamais prononcée par la Commission des sanctions. Une sévérité que l’AMF justifie par « la particulière gravité des manquements commis par l’un des acteurs importants de la gestion d’actifs en France et qui se sont échelonnés sur une durée de trois ans », entre 2012 et 2015. Le régulateur a reproché à la société de gestion d’avoir partiellement détourné des commissions de rachat et d’avoir dépassé, pour 18 des 133 fonds audités, le taux maximal des frais de gestion. Depuis, la société a introduit un recours devant le Conseil d’Etat pour contester sa condamnation et d’importants remaniements ont eu lieu dans le groupe, conduisant au licenciement du directeur des risques et à la démission de son directeur général, Pascal Voisin.

Détournement des commissions de rachat. En cas de sortie anticipée en cours de vie du fonds, les porteurs sont redevables d’une commission de rachat de 4 % de la valeur des parts remboursées, dont 2 % acquis au fonds pour « compenser les frais supportés pour désinvestir les avoirs confiés ». Or, selon les éléments recueillis par les contrôleurs de l’AMF, les coûts réels de restructuration des fonds n’étaient que de 0,5 % et non pas de 2 %. La soulte a été accaparée par la SGP au moyen d’un subterfuge comptable consistant à inscrire temporairement les sommes acquises à l’actif des fonds avant de les basculer immédiatement sur un compte de dette établissant une créance de NAM sur le fonds. Par ce procédé, la société a transformé le reliquat de commissions en frais de gestion complémentaires.

Frais injustifiés pour les porteurs. Une pratique dont NAM s’est défendue en arguant qu’il ne s’agissait pas d’un supplément de rémunération mais d’une provision pour risque alimentant le coussin de sécurité de ses porte­feuilles. Elle a estimé pouvoir en disposer jusqu’à échéance des fonds « pour faire face aux aléas réglementaires et fiscaux, exclus de la garantie bancaire, qui ne couvre que le risque de non-­atteinte à l’échéance de la valeur liquidative garantie ». Dans les faits, l’AMF a relevé que le coussin en question n’avait été utilisé qu’à une reprise entre 2012 et 2015, pour couvrir les frais générés par la taxe sur les transactions financières. Le reste du temps, le gérant conservait les fonds dès lors que la valeur liquidative garantie à la sortie était atteinte. A partir de ces observations, la Commission des sanctions a conclu que la société, « en décidant arbitrairement de l’affectation de ces sommes en considération de ses seuls intérêts commerciaux », percevait une rémunération déguisée aux dépens des investisseurs.

Dépassement des frais de gestion. En second manquement, l’AMF a reproché à NAM d’avoir prélevé sur 18 fonds des frais de gestion supérieurs aux taux maximums annoncés, soit un trop-perçu estimé à 12,5 millions d’euros. Là encore, c’est indirectement que la société a grossi sa rémunération en captant la totalité de la marge de structuration censée assurer la valeur des fonds à l’échéance. Plus simplement, lorsque la valeur des fonds arrivés à terme dépassait la valeur promise aux porteurs, Natixis AM a pris le parti de conserver la totalité du gain réalisé. Comme pour les commissions de rachat, la société a maquillé cette marge en frais de gestion et en a fait un élément de sa rémunération. Un procédé que le gestionnaire a assumé en précisant que, une fois « atteint le montant prédéterminé par la formule, rien ne [lui] interdisait de percevoir la différence issue de la marge de structuration dans le respect du taux maximum des frais de gestion, calculé non pas annuellement mais globalement sur la durée de vie du fonds ». Un lissage avantageux pour la société qui, dans ces conditions, pouvait capter la totalité de la marge durant la vie du produit sans dépasser les frais maximums prévus dans les prospectus. Une analyse rejetée par l’AMF selon qui « ce taux doit être apprécié, non pas sur la durée de vie du fonds, mais par exercice » et « une fois atteint le taux maximum de frais, NAM aurait dû reverser aux porteurs la différence issue de la marge de structuration ». Autrement dit, le respect du taux maximum s’apprécie annuellement et tout excédent de frais revient au porteur.

Assignation devant le TGI. L’opacité et la complexité du système font que peu d’investisseurs peuvent estimer leur préjudice et défendre leurs intérêts isolément. Avertie par voie de presse et confortée par la décision de l’AMF, l’UFC-Que choisir a engagé une action de groupe contre NAM afin d’obtenir « réparation du manque à gagner découlant de la sous-valorisation de la valeur liquidative en cours de contrat ou à l’échéance », précise Olga de Sousa, juriste à l’UFC-Que choisir.

Signalement. Sur son site, l’association a répertorié une soixantaine de fonds à formule susceptibles d’être litigieux. « Toutefois, il ne s’agit que de présomptions. Nous ne disposerons des éléments d’enquête de l’AMF et du nom des fonds contrôlés qu’au cours de la procédure. Une fois en possession de ces informations, nous pourrons affiner le périmètre de notre action », indique l’association. Mais, ces produits structurés ayant été massivement diffusés, l’UFC invite les porteurs potentiellement lésés à se manifester rapidement via le formulaire disponible sur son site. Les développements judiciaires promettent d’être longs, « il faut compter environ dix-huit mois pour obtenir un jugement du TGI de Paris. Ensuite, il est très probable que le dossier remonte devant la cour d’appel et la Cour de cassation, soit au minimum quatre ans de procédure pour obtenir une décision définitive qui constatera les manquements et la responsabilité de la société et qui demandera à chaque investisseur de se signaler selon les modalités fixées par le juge », avertit Hélène Feron-Poloni.