
Que reste-t-il de l’optimisation dans le secteur professionnel ?
Depuis 2009, nous assistons à une augmentation constante de la fiscalité du patrimoine, et notamment de la fiscalité immobilière : instauration du plafonnement des niches fiscales qui est de 10.000 euros en 2014, augmentation des durées de détention pour bénéficier des abattements et exonérations de plus values (22 ans) et de prélèvements sociaux (30 ans). Dans la réalité, un foyer fiscal disposant de revenus confortables réduira essentiellement son impôt sur le revenu par des emplois à domicile.
On pourra donc s’interroger sur la pertinence de certains réflexes du passé : il sera probablement plus important de valider la cohérence de l’investissement au regard des objectifs patrimoniaux plutôt que regarder ces opérations comme des opportunités fiscales.
LES CHOIX
Risques de gestion de l’immobilier commercial…
Dans le cadre de la mission de conseil en stratégie patrimoniale, nous rencontrons dans ce contexte économique ralenti des personnes qui expriment leur inquiétude quant à la gestion de leurs parcs immobiliers, surtout lorsqu’ils sont constitués d’immobilier de nature commerciale. En effet, il existe à la fois un risque économique, relatif, d’une part, à la nature commerciale du contrat de bail (art. L. 145-1 du Code du commerce) et d’autre part, à la défaillance potentielle du locataire dans le paiement des loyers : de cette situation découle le difficile parcours de la procédure de redressement ou de la liquidation judicaire. Les propriétaires qui subissent les affres de cette procédure comprennent ce qu’est un créancier non privilégié.
… et poids de la fiscalité.
L’investisseur qui a un locataire solide et solvable va devoir subir un tiers associé silencieux mais très présent : l’administration fiscale. Elle va s’imposer avec ses impôts et taxes qui affectent ses revenus locatifs : l’impôt sur le revenu, la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, les prélèvements sociaux, la taxe foncière (si elle n’est pas prise en charge par le locataire), les contributions sur les revenus locatifs des immeubles de plus de 15 ans détenus par des sociétés à l’impôt sur les sociétés et la cotisation foncière des entreprises (locations autres que des immeubles nus à usage d’habitation et recettes supérieures à 100.000 euros). Cet inventaire à la Prévert a de quoi impressionner plus d’un investisseur : aussi, il est concevable de penser qu’un propriétaire d’immobilier commercial cherche désespérément des pistes d’optimisation.
L’usufruit temporaire surtaxé.
Les conseils ont développé des schémas consistant à céder l’usufruit temporaire de leur immeuble à une structure d’exploitation qui porte une charge d’emprunt inférieure au paiement du loyer. Pour le cédant, la possibilité de remplacer un flux de revenus fonciers fortement taxé par un capital (exonéré au terme par les abattements prévus à l’art. 150 UC du CGI) permet de réaliser une réelle optimisation fiscale et patrimoniale. Seulement, la loi de Finances rectificative pour 2012 a sonné le glas de cette solution puisque l’art. 13-5 du CGI prévoit, à présent, que la cession à titre onéreux d’un usufruit temporaire n’est plus taxée dans la catégorie des plus-values des particuliers, mais comme un revenu foncier soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu, des prélèvements sociaux et de la contribution sur les hauts revenus sans bénéficier d’aucun abattement pour durée de détention. Vue sous cet angle, l’opération ne présente donc plus aucun intérêt pour le vendeur.
En 2010, le cédant d’un usufruit temporaire d’une valeur de 800.000 euros déterminé à partir d’un immeuble détenu depuis plus de 15 ans était exonéré de plus-value. En 2014, ce dernier serait imposé à hauteur de 60,5 % du montant cédé, soit 484.000 euros. Ceci concourt à dissuader bien des investisseurs à la recherche d’optimisation fiscale.
L’option de l’impôt sur les sociétés.
De fait, sur des revenus de locaux commerciaux, où la ponction des impôts directs est devenue élevée, beaucoup de propriétaires se résignent à opter pour l’impôt sur les sociétés dans le cadre de sociétés civiles. Effectivement, ce régime fiscal offre un différentiel positif en limitant la fiscalité sur les revenus à 33,3 %. Si l’option IS n’a pas été prise à la création de la société, il conviendra d’être prudent sur les conséquences fiscales d’une telle option. En effet, le passage à l’impôt sur les sociétés d’une société de personnes emporte l’imposition immédiate des revenus perçus ou à recevoir ainsi que des plus-values latentes (article 202 ter II du CGI) sauf si les biens figurent au bilan d’ouverture de la société pour leur valeur d’origine en tenant compte des amortissements qui auraient dû être déduits si l’entreprise avait été soumise à cet impôt dès le départ (CE, 3e et 8e ss-sect., 10 juillet 2007, n°287661, SA SCA Ouest : Dr.fisc. 2007, n°57, comm. 1056).
De plus, dans le cas de l’apport en nature de l’immeuble à la constitution de la société de personnes, l’option fiscale IS va rendre exigible les droits d’enregistrements sur des biens immobiliers au taux de 5,8 % calculés sur la valeur vénale du bien à la date du changement de régime fiscal. En cas de plus-value sur l’immeuble, les associés apprécieront cette mesure ! (art 809 II du CGI et 298 annexe II du CGI).
Les avantages de l’IS peuvent se résumer à trois points :
1. L’amortissement de l’immeuble. La baisse de l’assiette soumise à l’IS par les dotations aux amortissements va limiter la fiscalité des revenus perçus. Deux cas de figure peuvent se rencontrer dans le cas de l’option à l’IS ultérieure. Si les associés optent pour l’inscription de la valeur historique au bilan d’ouverture (faculté offerte par l’article 202 ter II du CGI en l’absence de création d’une personne morale nouvelle), les amortissements restant à pratiquer dépendent de la date d’acquisition du bien immobilier dès l’origine par la personne morale ; de facto, si l’immeuble est ancien, les amortissements restant à pratiquer risquent d’être minimes. Si les associés ont acquitté l’impôt sur la plus-value au moment du changement d’option fiscal, l’immeuble sera amorti à partir de la valeur vénale sur la durée d’usage du bien.
2. Conformément aux règles des BIC, l’intégralité des charges engagées seront déductibles (frais financiers, honoraires…), soit un champ plus large qu’en matière de revenus fonciers.
3. Le taux à l’impôt sur les sociétés est minoré à 15 % jusqu’à 38.120 euros de résultat courant et 33,33 % au delà, bien en deçà des 60 % de la fiscalité des revenus fonciers.
4. L’ensemble des travaux pourra être amorti.
Fort de ces avantages, le contribuable va optimiser son couple rendement/fiscalité, surtout pendant la période de remboursement de l’emprunt. La même opération aux revenus fonciers tournerait rapidement au drame compte tenu de l’effet d’étranglement occasionné par la baisse importante des intérêts d’un emprunt de 10 à 15 ans, après le cap des 4-5 premières années. En effet, l’amortissement du capital génère un revenu foncier fictif fiscalisé dans la déclaration du contribuable alors que les loyers sont le plus souvent corrélés pour faire face aux échéances du crédit mais en aucun cas à celle du fisc !
CAS PRATIQUE
Soit une SCI à l’IS qui a acquit un terrain pour 50.000 euros et a édifié une construction pour 450.000 euros totalement amortie sur 25 ans. Supposons que la SCI cède son immeuble pour 800.000 euros.
Conséquences d’une vente en pleine propriété de l’immeuble.
Cette vente engendrera de la plus-value professionnelle (art. 219 du CGI) qui se détaille comme suit :
- Plus-value = prix de vente (800.000 euros) - prix d’acquisition (valeur nette comptable = 0 euro + 50.000 euros de terrain)
- Plus-value = 750.000 euros, qui va entraîner un IS de 242.988 euros (15 % jusqu’à 38.120 euros puis 33,33 % au-delà).
Il restera en trésorerie dans la société 557.012 euros.
Imaginons que les associés souhaitent récupérer les capitaux et décident de liquider la société. Ces derniers devront acquitter l’impôt sur le revenu correspondant au montant de 557.012 euros assimilés à une distribution de dividendes. Tout d’abord, les prélèvements sociaux viendront ponctionner de 86.337 euros (15,5 %), puis l’impôt sur le revenu sur la tranche à 30 % (hypothèse de travail favorable afin de ne pas aggraver le calcul par application de la tranche à 45 % + la CEHR), soit 100.262 euros (30 % de 60 % de 557.012 euros), soit un total de 186.599 euros de fiscalité globale.
Il reste donc à nos associés un capital perçu de 370.413 euros. Au total, la cession de l’immeuble aura généré 429.587 euros de fiscalité, soit 54 % du prix de cession initial.
Des investisseurs avisés pourraient en déduire qu’il serait plus opportun de céder les parts de la SCI pour éviter la double peine (impôt société + impôt sur revenus de capitaux mobiliers). Mais peu de candidats souhaitent acquérir les parts d’une SCI qui a totalement amorti son immeuble. En effet, l’investisseur souhaite dans ce cas « réinitialiser » le cycle des amortissements. Dans la négociation, il est probable que ce dernier acceptant d’acquérir les parts sociales exige de déduire du prix payé la totalité de l’IS sur les amortissements qu’il aurait dû pratiquer s’il avait acquis directement l’immeuble.
Un schéma consiste à ne pas vendre ses actifs et se contenter de percevoir les revenus des dividendes en cas de besoin de revenus. L’expérience montre qu’il est bien difficile de s’interdire de vendre face aux évolutions des situations personnelles et de la transmission des patrimoines. Par conséquent, on voit nombre de SCI à l’IS cédées à des sociétés foncières avec des décotes impressionnantes !
Nous pouvons aisément mettre en avant qu’en termes de stratégie, l’idéal de tout investisseur immobilier sera d’être soumis à l’IS pour percevoir des loyers qui rembourseront les emprunts et de « finir » à l’IR pour permettre la vente de l’immeuble dans des conditions fiscales plus attractives.
Intérêt de la cession de la seule nue-propriété.
Depuis longtemps, les conseils ont proposé des schémas de dissociation des droits immobiliers comme un véritable outil de stratégie. En effet, le démembrement de propriété permet à un usufruitier de jouir de la chose ou d’en percevoir les fruits mais de façon temporaire (art. 578 du Code civil), alors qu’un nu-propriétaire préférera différer l’usage ou la perception des fruits à une époque future.
Ainsi, une SCI ou une société d’exploitation à l’IS, détenant un immeuble en phase de remboursement d’emprunt, gagnerait à envisager la cession de la nue-propriété au profit d’une SCI à l’IR dont le capital serait majoritairement détenu par les enfants des associés de la structure possédante actuelle.
Intérêt des parties dans cette opération.
Du point de vue de la structure à l’IS, la vente de la nue-propriété permettra :
- De percevoir un capital lui permettant soit de se désendetter, soit de disposer d’une ressource supplémentaire afin de saisir des opportunités, et de réaliser son objet social.
- En cas de détention de l’immeuble par une société d’exploitation, d’anticiper la cession future de l’entreprise en assainissant l’actif social de la société pour n’y laisser que le core business au terme du démembrement souvent concomitant à la cession de l’entreprise.
Au plan fiscal, la cession de la nue-propriété emportera des conséquences fiscales limitées puisque portant seulement sur une fraction de la pleine propriété (en général entre 30 % et 40 % en valeur économique sur 21 ans sur des immeubles commerciaux). Rappelons que l’usufruit temporaire détenu par une personne morale ne peut excéder trente ans (art 619 du CC).
Il conviendra d’être vigilant quant à la détermination de la valeur de cession retenue afin d’éviter toute contestation. Une expertise immobilière devrait être diligentée car une vente sous-évaluée pourrait valoir aux mandataires sociaux une qualification d’acte anormal de gestion (arrêt du Conseil d’Etat, 3e et 8e sous-sections, du 5 janvier 2005, n°254556, Sté Raffypack relatif à l’acquistion à prix minorée) en plus d’une rectification de valeur par l’administration fiscale.
Du point de vue comptable, la société étant propriétaire d’un droit réel immobilier – l’usufruit temporaire – pourra procéder à son amortissement, ce dernier étant une immobilisation incorporelle amortissable. Nous attirons l’attention sur la différence entre amortir un droit d’usufruit et amortir un immeuble. Nous avons vu que l’amortissement d’un immeuble provoque un décalage de l’IS puisque, à sa cession, l’immeuble reste malgré son amortissement, un actif social de la société qui se réévalue naturellement. En revanche, le droit d’usufruit s’amortit linéairement jusqu’à son extinction complète au terme de la convention sans frottement fiscal, la perte de valeur de l’usufruit au sein de la société se reconstituant mécaniquement chez le nu-propriétaire qui devient plein-propriétaire en franchise de droit (art 617 du Code civil et 1133 du CGI) au terme.
Pour la SCI cessionnaire de la nue-propriété, l’intérêt majeur est que pour un investissement financier limité (30 ou 35 % de la valeur d’un immeuble), elle deviendra plein-propriétaire au terme de la durée conventionnelle du démembrement.
Si la SCI cède son immeuble 800.000 euros dans 25 ans, au terme du démembrement, l’imposition de la plus-value se fera dans le cadre de la plus-value des particuliers qui, depuis le 1er septembre 2013, exonère totalement de plus-value la cession d’un immeuble détenu depuis plus de 22 ans ; seuls les prélèvements sociaux seront dus sur la plus-value après un abattement de 55 %. Soit un prélèvement fiscal de 6,98 % sur une base imposable de 187.500 euros, pour 800.000 euros cédés, soit 786.922 euros dans la poche ! Mais attention, le prix sera réparti entre deux générations.
Le principal obstacle de cette opération est le financement de la nue-propriété. Or, dans le cas d’un emprunt bancaire, les intérêts ayant servi à financer un droit de nue-propriété ne sont pas déductibles des autres revenus fonciers sauf lorsque l’usufruitier est un bailleur social ou bien que l’usufruit est détenu par une personne physique ou morale soumise à l’impôt sur le revenu qui donnerait le bien en location. Aussi l’idéal consiste à apporter le montant en numéraire au capital de la société, puis de faire des donations aux enfants afin qu’ils soient majoritaires dans la SCI et que la volonté transmissive soit clairement établie. Nous rappelons que l’on peut aisément dissocier en société civile la détention du pouvoir (liberté rédactionnelle des statuts).
Conclusion.
Dans le cadre de ce schéma, les conseils peuvent imaginer un nombre important de variantes : acquisition codémembrées d’immeubles ou de sortie de la nue-propriété par distribution de dividendes en nature, par réduction de capital, par compensation avec le compte courant d’associé…
Mais il convient de considérer ces schémas dans une stratégie patrimoniale globale qui s’inscrit dans la durée et sur plusieurs générations. Le rôle du consultant patrimonial est déterminant dans l’adéquation entre la définition des objectifs des investisseurs et les réponses techniques de l’ingénierie patrimoniale.